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L'Azerbaïdjan, l'opportunité indépendantiste du Tavini


credit photo Emmanuel Dunand AFP
credit photo Emmanuel Dunand AFP
Tahiti, le 18 janvier 2024 - Le parlement azerbaïdjanais vient de recommander à la France de prendre des mesures pour l'indépendance de la Polynésie française. L'occasion de faire le point sur les relations entretenues depuis l'année dernière entre le Tavini et ce pays qui préside le mouvement des pays non-alignés luttant contre le colonialisme. Il n'hésite pourtant pas à bafouer les droits de l'Homme, mais le Tavini veut faire “la distinction”. Explications.  
 
Les tensions entre Paris et Bakou (la capitale de l'Azerbaïdjan) sont encore montées d'un cran ce jeudi avec l'annonce, via un communiqué, de la commission des affaires étrangères du parlement azerbaïdjanais de couper tout lien économique avec la France. Et, pour ce qui nous intéresse, de “prendre des mesures” en vue de la reconnaissance de l'indépendance de la Corse, de la Nouvelle-Calédonie... et de la Polynésie française.
 
Pourquoi cet intérêt pour le Fenua ? Il faut savoir que depuis l'année dernière, le Tavini Huiraatira a commencé à tisser des liens avec l'Azerbaïdjan en tant que pays présidant le mouvement des pays non-alignés (NAM), deuxième organisation internationale après l'ONU.
 
“J'ai été invitée une première fois en juillet. Monsieur Antony Géros et monsieur Temaru y étaient également. On devait assister à un colloque sur deux jours à Bakou sur l'éradication totale de la colonisation dans le monde. C'était à ce titre et en tant que membre du parti que je me suis rendue à Bakou où on a fait la connaissance de tous les pays membres du NAM. C'est comme ça que les relations ont commencé à se ficeler entre le parti du Tavini et l'Azerbaïdjan”, nous a ainsi expliqué, ce jeudi, Ella Tokoragi, très proche d'Oscar Temaru et membre du conseil d'administration du groupe d'initiative de Bakou.
 
Pour elle, le fait que l'Azerbaïdjan marche sur les droits de l'Homme et soit accusé par certains observateurs de “génocide” après une offensive ayant fait fuir la quasi-totalité de la population arménienne dans le Haut-Karabakh (ce petit territoire enclavé en Azerbaïdjan, à proximité de la frontière avec l'Arménie) est une affaire qui relève des “relations internes” entre la France et ce pays du Caucase.
 
Pas de leçon à recevoir de la France
 
Je pars du principe où les affaires internes, donc entre la France et l'Azerbaïdjan, se règlent entre elles”, justifie-t-elle. “C'est leur problème ! Et la France n'est pas mieux. Elle vient, elle s'impose. Elle a évacué des familles nombreuses sur le littoral pour nous imposer son CEP, etc. On en paie un peu les conséquences aujourd'hui sur le plan sanitaire, environnemental et social. Donc je pense sincèrement que la France est vraiment mal placée pour nous faire des leçons de morale”, ajoute--t-elle.
 
Même son de cloche du représentant Tavini Heinui Le Caill : “Nous sommes un petit pays, donc on n'entre pas dans ce jeu de grands pays. Ça peut nous échapper. On fait très bien la distinction. S'il y a réellement génocide, on ne défend pas cela”, a-t-il argumenté au micro de Tahiti Infos ce jeudi.  
Un discours beaucoup plus policé que lorsqu'il était en Azerbaïdjan en octobre dernier pour assister à une conférence sur le néocolonialisme au cours de laquelle il n'a pas manqué de fustiger la France avec des propos pour le moins ubuesques pour ne pas dire mensongers : “La France tire chaque année 25 milliards de dollars du charbon et du gaz polynésien”, déclarait-il ainsi selon l'Agence de presse nationale d'Azerbaïdjan (Azertac), ou encore “Chaque mois, des milliers de jeunes Polynésiens sont enrôlés dans l'armée française et meurent pour maintenir la politique coloniale française”. Dont acte.
 
Une opportunité à saisir
 
De son côté, le président du Pays semble un peu gêné aux entournures et renvoie la France à ses propres travers en évoquant notamment l'accueil “en grande pompe” à une certaine époque (sous Sarkozy, NDLR) d'un certain Kadhafi...
 
Une chose est sûre, ils sont tous les trois d'accord pour fermer les yeux sur le non-respect des droits de l’Homme de ce pays du Caucase, préférant se focaliser sur le fait que cette relation entre le Tavini et l'Azerbaïdjan est une opportunité à saisir dès lors qu'elle est susceptible d'aider la Polynésie à accéder à son indépendance. Ni plus ni moins.
 
“Nous sommes dans le jeu de l’ONU. Et pour y participer, il nous faut des soutiens, des relations. Il s’agit donc d’un travail de recherche de soutien”, dit Heinui Le Caill. Appuyé par Ella Tokoragi pour qui l'objectif est de “se faire entendre à l'international”.  
 
“On va à l'ONU tous les ans. On est invité régulièrement en Azerbaïdjan. Pour ma part, j'y suis allée déjà quatre fois depuis le mois de juillet. On parle de nous et à partir de là, nos petites voix au milieu du Pacifique sont entendues un petit peu partout dans le monde”, se réjouit-elle, d'autant que “rien ne bouge” depuis dix ans alors que “la Polynésie française est réinscrite sur la liste des pays à décoloniser depuis 2013”.

Moetai Brotherson : “L’Azerbaïdjan est un pays souverain”

Le Tavini entretient depuis l'année dernière des relations avec l'Azerbaïdjan au titre des pays non-alignés. Si on peut comprendre la démarche politique, puisque l'idée est de faire accéder la Polynésie à son indépendance, quelle est votre position, en tant que président de la Polynésie encore française, sur les relations que cela pose avec l'État au regard des relations extrêmement tendues entre Paris et Bakou ? Comment arrivez-vous à naviguer dans tout ça ?
 
“Alors, déjà, vous m'apprenez cette décision qui a été prise par l'Azerbaïdjan qui est un pays souverain. Ils font ce qu'ils veulent a priori. Ensuite, je n'ai pas à donner d'analyse entre l'État français et l'Azerbaïdjan. Ce n'est pas du tout mon domaine...”
 
Mais sur les relations entre le Tavini et l'Azerbaïdjan ?
 
“Le Tavini d'une manière générale, personne ne l'aura oublié, est un parti indépendantiste. Et à ce titre, il va dans plusieurs pays dont l'Azerbaïdjan mais pas seulement, pour effectivement entretenir des relations politiques avec des instances dans ces pays, parfois des ONG, parfois les États eux-mêmes, pour expliquer notre position par rapport au processus de décolonisation et d'autodétermination. Ensuite ces pays prennent les solutions qu'ils veulent.”
 
Après, on sait quand même qu'au niveau du Haut-Karabakh (enclave montagneuse disputée entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie), l'Azerbaïdjan a tout de même été accusé de “génocide”. Ça ne vous pose pas un problème ?
 
“Non mais, c'est pour ça que je vous dis... Quand un pays vous soutient, il vous soutient. Ça ne veut pas dire que de votre côté, vous cautionnez tout ce que ce pays fait. Sinon, la France aurait cessé toute relation avec la Chine par exemple ou avec d'autres pays. On a quand même accueilli en grande pompe à une époque Kadhafi... voilà. Je n'ai pas plus d'avis là-dessus. L'Azerbaïdjan, encore une fois, est un pays souverain. S'ils ont décidé de prendre une résolution dont je ne connais pas le contenu mais qui évoque la souveraineté de Mā’ohi Nui, c'est leur droit. Je prendrai connaissance de cette résolution.”
 
Et ça ne vous pose pas plus de problèmes dans vos relations avec l'État en tout cas ?
 
“Non, pas du tout.”
 

Rédigé par Stéphanie Delorme le Jeudi 18 Janvier 2024 à 19:00 | Lu 5021 fois