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L'Autorité de la concurrence en ordre de marche


Jacques Mérot, président de l'autorité polynésienne de la concurrence dans son bureau. "L'autorité n'est pas là contre les entreprises mais pour favoriser l'envie et le pouvoir d'entreprendre.
Jacques Mérot, président de l'autorité polynésienne de la concurrence dans son bureau. "L'autorité n'est pas là contre les entreprises mais pour favoriser l'envie et le pouvoir d'entreprendre.
PAPEETE, le 9 février 2016. Après de longs mois d'attentisme, depuis la promulgation en juin 2014 de la loi du Pays créant son existence, l'Autorité polynésienne de la concurrence est effectivement au travail depuis le 1er février. Règlement intérieur, budget de fonctionnement ont été bouclés, les derniers recrutements de personnel sont finalisés. Le premier avis de l'autorité devrait être publié dès le mois prochain.

Les couloirs paraissent encore vides, les bureaux dénudés mais il y a de la vie et déjà trois ou quatre dossiers en cours d'instruction au sein de l'Autorité de la concurrence. Les modes opératoires et les moyens alloués à cette autorité indépendante, régis par un règlement intérieur et un budget annuel ont été publiés au Journal officiel de la Polynésie française il y a deux semaines à peine. Après quelques mois de doute et d'incertitude, le président de cette autorité nommé en juillet 2015 a donc les moyens de travailler. "L'autorité est en place puisque les membres du collège sont nommés, la rapporteur générale est nommée et au moins un rapporteur est en fonction, donc le droit de la concurrence en Polynésie est entré en vigueur au 1er février 2016". La première expression publique au fond de l'Autorité polynésienne de la concurrence devrait être publiée en mars prochain. Il s'agira, pour cette première fois, d'un avis formulé par l'autorité sur un texte à la demande du gouvernement.

Depuis plus six mois à présent qu'il a pris en main ses fonctions à Tahiti, le président de l'Autorité de la concurrence, Jacques Mérot, un magistrat issu de la cour des comptes, a déjà pris le pouls des entreprises locales, grosses ou petites. Certains sont venus l'approcher directement : plus d'une trentaine de chefs d'entreprises se sont présentés spontanément. "Certains craignent notre existence, d'autres sont dubitatifs, les plus nombreux attendent beaucoup de nous. Je sens plutôt une attente assez forte. A nous de faire nos preuves" indique-t-il.

Jacques Mérot sait bien qu'avant tout, c'est la véritable indépendance de cette autorité de la concurrence qui sera sous le feu des critiques. Mais il devance les mauvaises langues. Nomination des membres du collège, recrutement des rapporteurs : tout a été fait directement par l'autorité en toute indépendance, dans le respect de son règlement intérieur. Et il poursuit "Je le dis parce que je sais qu'il y a des gens qui suspectent mais en fait je devrai ne rien dire, parce qu'il n'y a rien eu. Aucune personne, d'une manière ou d'une autre n'a tenté d'influer". Pour le respect de cette indépendance des personnels de l'autorité, tous sont soumis à des déclarations d'intérêts (et même des déclarations de patrimoine auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique en ce qui concerne les membres du collège). Le président de l'autorité de la concurrence poursuit : "Il faut que les Polynésiens sachent que cette autorité travaille vraiment en complète indépendance : aucun membre n'est lié à aucune entreprise, aucun parti politique. Moi-même, j'ai rencontré déjà au moins 35 chefs d'entreprises. Donc, je les connais ! Mais, ce n'est pas ça avoir des intérêts. Avoir des intérêts, c'est avoir une participation dans une entreprise ou un membre de sa famille qui détient un pouvoir financier ou d'influence dans une société". Et il indique encore : "Je ne suis l'homme de personne. De ma part, il n'y a jamais d'éclat de voix, mais il y la fermeté ; il y a beaucoup d'échanges ce qui n'excluent pas la fermeté".

LE CONSOMMATEUR NE DOIT PLUS ÊTRE CAPTIF

Quels sont les objectifs de l'Autorité de la concurrence inscrits dans la loi du Pays ? "Éviter les restrictions ou les barrières à la liberté économique, éviter les monopoles ou les réguler, éviter toutes restrictions de concurrence, il faut faciliter l'entrée de nouveaux concurrents sur les marchés" détaille Jacques Mérot. Au final "lutter contre la vie chère ce qui sera plutôt une conséquence de ce qui sera fait précédemment". L'autre conséquence, positive, attendue de l'action de l'Autorité de la concurrence sera de favoriser l'emploi en contribuant à libérer l'envie et le pouvoir d'entreprendre. "Aujourd'hui en Polynésie on a plutôt les entreprises qui imposent leur pouvoir aux consommateurs. Il s'agit de renverser la tendance : c'est le consommateur qui doit pouvoir choisir". Le rôle de l'autorité, indirectement au service du consommateur, sera de venir rechercher, constater et sanctionner les comportements et les mécanismes qui viennent pervertir le fonctionnement vertueux de la concurrence.

Car, rappel utile, ce ne sont pas les consommateurs individuellement qui peuvent saisir l'Autorité de la concurrence et signaler des dysfonctionnements. Cette dernière ne répond aux demandes d'intervention que du président du Pays ou du président de l'assemblée polynésienne pour des avis sur des textes, aux entreprises elles-mêmes signalant des problèmes de concurrence déloyale ou par le biais de la CCISM, des associations de consommateurs, d'organisations représentatives (syndicats). Enfin, l'autorité peut s'autosaisir de thématiques qui lui semblent utiles ou rendues incontournables par la rumeur publique.

"Nous ne travaillons que sur des problématiques de droit de la concurrence qui s'exercent entre les entreprises. Quand un consommateur n'est pas satisfait d'un produit ou d'une prestation de service, il faut saisir la direction générale des affaires économiques (DGAE) car il s'agit du droit à la consommation" précise Jacques Mérot.

Pour le président de l'Autorité de la concurrence, l'étroitesse du marché polynésien n'est pas un frein, au contraire. "C'est justement parce qu'on est dans un milieu insulaire qu'il faut renforcer la concurrence! Et on ne peut pas dire que ce n'est pas possible. Souvenez-vous pour la téléphonie mobile : il y a dix ans on disait que c'était impossible d'avoir un autre opérateur ! La preuve inverse a été apportée depuis. Actuellement on est à deux opérateurs, mais il pourrait y en avoir trois ou quatre. Après, ce qui n'est pas possible dans les industries de réseaux c'est de multiplier les infrastructures. Les entreprises concurrentes doivent pouvoir s'adresser à un fournisseur de réseau unique qui n'est pas un concurrent et sur lequel, les différents opérateurs peuvent s'installer. L'intérêt est de ne pas multiplier les coûts. On pourrait faire mieux pour les consommateurs polynésiens en mutualisant les réseaux afin que la concurrence s'exerce surtout dans l'offre de service".

La Polynésie française a déjà des handicaps importants : l'éloignement, sa géographie éclatée qui expliquent en partie des prix nettement plus élevés qu'en métropole par exemple mais "dans le prix aux consommateurs il peut y avoir bien d'autres choses qui peuvent être gommées, qui peuvent être diminuées voire supprimées. Il y a les comportements des acteurs économiques et un régime réglementaire de taxes qui peut être revisité en examinant les situations au cas par cas".


Les locaux de l'autorité de la concurrence, au rez-de-chaussée de l'ancienne présidence du Pays, sont encore en cours d'aménagement.
Les locaux de l'autorité de la concurrence, au rez-de-chaussée de l'ancienne présidence du Pays, sont encore en cours d'aménagement.
Qui fait quoi au sein de l'autorité ?

L'Autorité de la concurrence est composée comme suit :
Un collège de cinq membres (dont le président de l'autorité et quatre membres non permanents) : c'est l'organe de décision.
Un service d'instruction sous la direction d'une rapporteur générale Gwenaëlle Nouët, nommée fin 2015 et entrée en service le 15 janvier dernier. Le service d'instruction est composé de rapporteurs (chargés de mener les enquêtes qui ont été recrutés localement) : les deux premiers sont arrivés le 1er février dernier, le rapporteur général adjoint sera en poste le 15 février. Un 3e rapporteur arrive en mars et le dernier probablement en avril.

L'autorité dispose de moyens de procédures puissants : les mêmes moyens d'investigation que ceux de la police judiciaire. "Les textes sont en train d'être finalisés au niveau de l'Etat" par le biais d'une ordonnance précise Jacques Mérot, le président de l'autorité, qui étendra les dispositions du code de commerce métropolitain dans le code de la concurrence polynésien. "Lorsqu'un rapporteur va dans une entreprise, on doit nous transmettre toutes les pièces que nous demandons sous peine de sanctions définies dans le code de la concurrence ou même de sanctions pénales". Il peut y avoir aussi des opérations de visite et de saisie, comme une perquisition, sous ordonnance d'un juge en présence d'un officier de police judiciaire. S'il y a obstruction, des sanctions existent : l'autorité peut décider d'amendes, basées sur le chiffre d'affaires.

Comme pour la justice, il existe une séparation, "une frontière" entre l'instruction des dossiers effectuée par les rapporteurs et la décision, prise par le collège. Une séparation "standard" qui reprend celle de l'autorité de la concurrence métropolitaine et est identique à ce qui se pratique aux États-Unis ou dans les autres pays européens pour garantir un "procès équitable".

Du personnel administratif (secrétaire générale et secrétaire générale adjointe) complète les effectifs de l'autorité ; enfin une conseillère du président et du collège seront présents prochainement. Enfin, deux personnes issues de l'autorité de la concurrence métropolitaine et de l'Arcep (autorité de régulation des communications et des postes), viendront pour un mandat limité à deux ou trois ans non renouvelable, pour une mission de formation, de transfert de compétences et d'expérience. A l'issue de leur mission, elles seront remplacées par du personnel recruté localement et préalablement formé. L'effectif total s'établira ainsi à 12 personnes.

Les missions de l'autorité de la concurrence

• La lutte contre les pratiques anticoncurrentielles (ententes, abus de position dominante, abus de dépendance économique)
• Le contrôle a priori des concentrations, il s'agit d'une action préventive. L'autorité pourra autoriser ou refuser, ou encore autoriser moyennant des engagements de la part de l'entreprise pour que la concurrence ne soit pas faussée dans un secteur donné.
• Les avis au gouvernement sur tout ce qui touche à la concurrence (Ex : l'examen d'un tarif d'interconnection en matière d'industrie de réseau) et sur la fixation des prix qui ne sont pas pratiqués librement.

La perversion de la réglementation des produits de première nécessité

Si le Pays veut modifier la liste des PPN (produits de première nécessité) ou changer les prix pratiqués actuellement, il devra obligatoirement désormais saisir l'autorité de la concurrence pour avis. Par ailleurs, l'autorité peut s'autosaisir dans tous les domaines, et par exemple, de la réglementation polynésienne pour faire des recommandations. "On peut par une force pédagogique décrire tout ce que ça créé comme inconvénients aux consommateurs, à l'économie polynésienne. Il y a aujourd'hui un produit PPN qui est vendu à un prix supérieur à celui qu'on pourrait obtenir si on faisait simplement confiance à la concurrence sur les marchés. Il y a là quelque chose qui ne va pas. Le mécanisme des PPN est le suivant : le gouvernement fixe un prix de vente déterminé au consommateur avec une marge réglementée et un prix maximum d'approvisionnement par les importateurs. La différence entre le prix de l'importateur et le prix de vente est prise en charge par le Pays, et cela lui coûte très cher. Sur des produits PPN aujourd'hui on peut trouver des tarifs à l'importation, plus bas que ceux déterminés par le Pays, mais comme on impose ensuite le prix de vente aux consommateurs, les importateurs ne font pas d'efforts pour trouver moins cher".

Un des rôles de l'autorité de la concurrence en matière d'avis au gouvernement sera d'examiner par exemple certains produits PPN qui "subissent manifestement les inconvénients de cette réglementation". Au final, l'objectif noble, des PPN peut se trouver perverti : "la règle créée des effets de seuil, des comportements qui sont nocifs finalement pour l'économie". Il faudra vérifier, produits après produits si la méthode des PPN est la meilleure et si elle se justifie dans tous les cas. "C'est l'un des domaines dans lesquels on va devoir travailler, c'est un important champ d'actions pour nous" souligne le président de l'autorité.

EN CHIFFRES

150 millions de Fcfp, c'est le budget de fonctionnement pour l'année 2016 de l'autorité de la concurrence (dont 100 millions de Fcfp pour la rémunération des personnels). Par ailleurs, l'autorité dispose également de 30 millions de Fcfp d'investissement. Il s'agira notamment pour cette première année de construire un réseau informatique indépendant, de disposer de véhicules d'intervention.

Rédigé par Mireille Loubet le Mardi 9 Février 2016 à 17:49 | Lu 3680 fois