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Karl Anihia 10 années de combat avec THC


TAHITI, le 19 octobre 2022 - Il est président de l’association Tahiti Herb Culture et président adjoint du syndicat polynésien du chanvre. Karl Anihia se bat pour une légalisation du cannabis à usage thérapeutique. Un combat né puis encouragé par les nombreuses rencontres de sa vie.

Jardin de l’assemblée, lundi 17 octobre. “Tu vois ? C’est là ! ” Karl Anihia pointe du doigt une zone de la pelouse. L’herbe semble plus récente au sein d’un cercle. Lequel présente en plus un léger dénivelé. Karl Anihia raconte : “C’est là que j’ai planté un pied de cannabis. Je voulais faire avancer les choses, rien ne bougeait, personne ne répondait à mes demandes.”

Karl Anihia est le président de Tahiti Herb Culture (THC). Il se bat pour le développement d’une filière de production de cannabis encadrée et pour la fabrication de produits à base de cannabis à visée thérapeutique. “Il n’est pas question de cannabis récréatif”, insiste-t-il.

Un projet de loi légalisant le cannabis thérapeutique en Polynésie française a été approuvé mercredi 12 octobre en conseil des ministres. Une surprise pour Karl Anihia qui serait, selon lui, contreproductive. Ce projet de loi du Pays prévoit une refonte de la réglementation de 1978 sur l'importation, l'exportation, l'achat, la vente, la détention et l'emploi des substances vénéneuses (lire aussi notre article paru lundi 17 octobre. Une réforme globale dans laquelle est inséré un chapitre complet consacré au cannabis. Actuellement, le principe est celui d'une interdiction générale de tout usage du cannabis ou de ses dérivés au fenua, sans aucune dérogation possible. Si ce n'est pour la recherche.

Si ailleurs, la question évolue, notamment avec la mise en place d'expérimentations de l'usage du cannabis médical, Karl Anihia reste vigilent. “Il aurait aussi fallu faire une expérimentation, on a mis la charrue avant les bœufs.” Karl Anihia pense aux patients qui espèrent. “Il ne faut pas leur donner de faux espoirs ! Des recours vont certainement être déposés. L’État lui-même pourrait réagir.”

Tubuai, Tahiti, Hawaii


Originaire des Australes, Karl Anihia, 39 ans, est né et a grandi à Tubuai. Il est allé à Tahiti pour poursuivre sa scolarité. “Après le bac, je voulais rentrer chez moi, je ne me voyais pas ailleurs.” Une opportunité s’est présentée à lui, celle d’aller, par le biais de la religion, à la Brigham Young University d’Hawaii. Il a opté pour le business management et l’informatique. “J’envisageais de poursuivre dans le tourisme. On était en 2011, c’était le plein essor d’internet et des réseaux sociaux.”


Il est resté deux ans à Hawaii, n’a pas terminé ses études mais “je me suis bien familiarisé avec le pakalolo”, avoue-t-il. Il s’est rapproché en particulier d’une association de surfeurs du North Shore. “Ses membres militaient déjà pour un usage médical du pakalolo. À travers la culture surf, ils n’interdisaient pas le paka récréatif, mais sensibilisaient les jeunes à un usage modéré de la substance.” De jeunes Américains de Californie se trouvaient parmi eux. “Le cannabis thérapeutique était légalisé chez eux depuis 1996, ils avaient des huiles, des crèmes qu’ils partageaient.” Karl Anihia explique que le cannabis était utilisé contre la douleur mais aussi les addictions. Il a fréquenté le Lai Gang à Hawaii. Il a vu l’ice et ses ravages. Il a vu également l’intérêt du cannabis thérapeutique contre les dépendances. Il ajoute qu’au Canada, depuis 2016, le cannabis est employé pour traiter les addictions à l’héroïne, la cocaïne, la méthamphétamine et l’alcool.

Il est rentré en 2003 à Tahiti, riche de toutes ces rencontres. Il a été ensuite agent commercial à Air Tahiti, puis gendarme, puis de nouveau agent chez Air Tahiti. Il a ensuite enchaîné dans l’événementiel et l’import-export. Il ne se cache pas d’avoir fumé du cannabis pour le plaisir. En 2009 d’ailleurs, il a été arrêté, “attrapé pour ma plantation indoor”. Il ajoute : “Les gendarmes ont été très surpris par la sophistication de cette plantation”. Il a fait trois jours de garde à vue.

Autour de lui circulaient des huiles et des crèmes à base de cannabis. Elles servaient à différents soins. Il s’est véritablement intéressé à la question pour sa sœur, tombée gravement malade à l’âge de 23 ans.

L’appel du 18 joint


En 2012, il a lancé “l’appel du 18 joint”. Il a invité les acteurs concernés par le sujet à se retrouver à l’assemblée. “On n’a rien inventé, le journal Libération avait déjà employé cette formule des années auparavant.” En 2013, il a fondé l’association Tahti Herb Culture. Il existe également le syndicat polynésien du chanvre dont Karl Anihia est président adjoint et Tahiti huile thérapeutique avec qui il est en contact étroit. Le 18 juin, chaque année, les militants se réunissent devant l’assemblée.

Lorsque l’expérimentation a démarré en France, il a interpelé le gouvernement polynésien. “Il ne m’a jamais répondu, j’ai planté le pied de cannabis en mars 2020 pour les faire réagir.” Le plan est resté une matinée en terre. Un procès a eu lieu, “j’ai été relaxé du chef de trafic de stupéfiants.” Entre le 26 juin 2020 et le 26 juin 2021, Karl Anihia a mené une expérimentation avec d’autres engagés. Il a fait pousser des plants de cannabis à Papara, fabriqué huiles, crèmes et gélules qu’il a mis à disposition de visiteurs à la recherche d’un soulagement. “Ils ont été nombreux à venir voir, grand public, mais aussi politiques.” Il dit avoir été suivi par des médecins mais rapporte : “On m’a dit ton expérimentation n’est pas valable. J’admets, mais pourquoi rien n’est fait ?

Karl Anihia continue le combat. Il sait que la demande est forte, il est convaincu que les effets du cannabis dans le cadre d’un usage thérapeutique sont significatifs. Et maintenant ? “Eh bien, on attend toujours le cadre…


Feu vert pour l'expérimentation en France

La question du cannnabis évolue. La commission des stupéfiants des Nations Unies a reconnu le “potentiel thérapeutique du cannabis” en décembre 2020. La France, qui n’a toujours pas touché à la loi, mène une expérimentation. L’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a initié les travaux sur le cannabis à usage médical en septembre 2018. Elle explicite le contexte de ces travaux sur son site internet. Elle a créé un comité scientifique pluridisciplinaire composé notamment de professionnels de santé et de patients afin d’examiner les connaissances scientifiques et les expériences étrangères. En décembre 2018, ce comité estimait qu’il était pertinent d’autoriser l’usage médical du cannabis pour les patients dans certaines situations cliniques et a souhaité que soit mise en place une expérimentation. À partir de janvier 2019, un autre comité (CSST) devait définir les modalités de l’expérimentation et un cadre permettant de sécuriser sa mise en place. Il fallait rédiger des cahiers des charges pour définir les médicaments utilisés durant l’expérimentation, le contenu de la formation destinée aux médecins et pharmaciens, le contenu de l’information aux patients ainsi que le contenu du registre de suivi des patients.

Le 25 octobre 2019, l'Assemblée nationale a donné son feu vert à une expérimentation de l'usage du cannabis médical dans le cadre de l'examen du projet de budget de la Sécurité sociale pour 2020. Un rapport au Parlement est prévu six mois avant la fin de l'expérimentation afin d'envisager les suites pouvant être données à cette expérimentation. Le Comité scientifique temporaire pour le suivi de l’expérimentation du cannabis à usage médical a été mis en place en juin 2021 afin de suivre et analyser les données du registre sur les modalités du circuit de prescription et de délivrance, ainsi que les données d’efficacité et de sécurité.

Trois facteurs principaux sont à l’origine de cette initiative : des données scientifiques convergentes qui montraient un intérêt du cannabis dans le traitement de certains symptômes de différentes pathologies, une demande grandissante de patients et de professionnels de santé et l’usage médical du cannabis dans de nombreux pays en Europe et dans le monde (Pays-Bas, Allemagne, Royaume-Uni, Portugal, Luxembourg, Lituanie, Canada, Israël, Chili, Colombie, etc. et 33 États aux États-Unis).

L’usage du cannabis à visée médicale est jugé pertinent par l’ANSM pour les patients dans certaines situations cliniques et en cas de soulagement insuffisant ou d’une mauvaise tolérance des thérapeutiques accessibles, qu’elles soient ou non médicamenteuses. Cet usage est à envisager en complément ou en remplacement de certaines thérapeutiques. Les cinq indications thérapeutiques retenues par le comité scientifique sont les douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles (médicamenteuses ou non), certaines formes d’épilepsie sévères et pharmaco-résistantes, certains symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou à ses traitements, les situations palliatives et les spasticités douloureuses de la sclérose en plaques ou des autres pathologies du système nerveux central. L’expérimentation porte sur 3 000 patients traités et suivis pendant au moins six mois. Tous les patients bénéficient du traitement jusqu’à la fin de l’expérimentation s’il est efficace et bien toléré. Le résultat de cette expérimentation fera, ou non, évoluer la loi.

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 19 Octobre 2022 à 20:53 | Lu 2657 fois