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Karel Luciani : “La diversité est une richesse”


Karel Luciani, le président de l'association Cousins Cousines. Crédit photo : Thibault Segalard.
Karel Luciani, le président de l'association Cousins Cousines. Crédit photo : Thibault Segalard.
Tahiti, le 10 février 2023- À l'approche de la Tahiti Pride Week, qui se déroule du 13 au 19 février, Karel Luciani le président de Cousins Cousines, l'association à l'initiative du projet, s'est livré pour Tahiti Infos sur la réalité de la situation LGBT à Tahiti. Celui qui est également le président d'Agir contre le Sida en Polynésie évoque en outre les raisons qui l'ont poussé à organiser cet événement.
 
Quelle est la situation de la communauté LGBT+ en Polynésie actuellement ?
 
“Elle est très complexe. Pour moi, il y a du progrès depuis quelques années. Mais il y a toujours trop d'hypocrisie, trop de tabou. Ce qui est intolérable, c'est qu'il y a aussi énormément de souffrance. J'ai trop de jeunes qui m'appellent avec des idées suicidaires ou qui sont à la rue parce qu'ils ont été rejetés par leur famille. Ces situations n'ont plus lieu d'être ! Les personnes nées différentes doivent être enfin acceptées, pour avoir enfin une place à part entière dans la société.”
 
Il y a de la violence aussi ?
 
“Bien sûr qu'il y en a ! Se faire rejeter c'est déjà de la violence… Il y a aussi de la maltraitance. Beaucoup de gens ont également du mal à trouver un travail, notamment les personnes transgenres. Même si ça progresse, beaucoup de secteurs sont bouchés pour eux. C'est de la discrimination. C'est à cause de ça que l'on trouve trop de jeunes adolescents transgenres dans les rues à se prostituer pour obtenir un peu d'argent.”
 
Dans ce contexte, quelles sont les missions de l'association ?
 
“L'association a déjà une mission d'information, mais nous tendons également la main à ceux qui en ont besoin, à ceux qui n'ont pas toutes les ressources pour faire face à cette discrimination et au rejet. On essaye de trouver des solutions pour les personnes qui sont à la rue notamment. On reçoit aussi des parents, à la recherche de conseils pour gérer la différence de leur enfant. On offre un accueil, des informations, de l'échange et du soutien.”
 
La présence très importante de l'église joue-t-elle un rôle dans la perception de la communauté et sur la politique menée sur ce sujet ?
 
“Oui forcément, même si certaines églises sont tolérantes en accueillant des mahu. Mais l'homosexualité reste condamnée par la religion, donc c'est compliqué d'assumer sa différence dans les familles. Les Polynésiens sont très majoritairement croyants, c'est aussi pour ça que nos politiciens n'ont jamais rien fait pour l'acceptation du Pacs en Polynésie, qui est autorisé depuis plus de 20 ans en France. Pour la loi sur le mariage pour tous, le président est allé à Paris pour dire qu'il n'en voulait pas. La religion a donc un poids très important sur ces questions-là et ça empêche le progrès. C'est ce même poids qui est présent sur les électeurs et qui fait que les hommes politiques n'osent pas aborder le sujet car ils veulent se faire élire. Certains sont quand même courageux, comme Nicole Sanquer, qui nous a dit qu'elle allait soutenir et travailler sur le dossier du Pacs.”
 
En présentant la Tahiti Pride Week il y a quelques jours, vous avez cité les îles Cook, en quoi sont-elles un exemple dans la lutte pour les droits LGBT ?  
 
“Premièrement ce sont nos voisins et la Pride Week c'est le moment pour les activistes de réclamer des droits. Les îles Cook font partie des sept territoires en Océanie où l'homosexualité est un délit. Là-bas, malgré ça, ils ont quand même mis en place une Pride et des actions de collecte de fonds pour demander la dépénalisation de l'homosexualité et montrer au gouvernement que ce sujet n'était plus tabou et qu'il fallait dépoussiérer les textes de lois. C'est inspirant. D'ailleurs, même si pendant notre événement peu de choses sont payantes, une partie des recettes sera reversée à Pride Cook Island pour qu'ils continuent leurs actions.”
 
Pourquoi avoir choisi cette année et plus particulièrement le mois de février pour organiser cet événement ?
 
“On a choisi le mois de février car les Pride sont généralement organisées, dans l'hémisphère sud, pendant ce mois-ci. En Nouvelle-Zélande c'est du 1er au 28 février et en Australie, c'est fin février-début mars par exemple. Donc on a voulu se caler sur ces dates-là. On a décidé de la faire cette année, car en 2023, il y a la World Pride, la plus grosse manifestation LGTB au monde, qui vient pour la première fois en Océanie, à Sydney. En même temps, il y aura la Human Right Conférence [Conférence sur les droits humains, NDLR] qui sera sur le thème LGBT, à Sydney aussi. Tout ça a été un déclencheur, c'était le moment d'organiser quelque chose à Tahiti. De plus l'État français donne des subventions depuis 3 ans à notre association, donc je me suis dit qu'il fallait me lancer.”
 
Qu'est-ce que tu attends de ce festival, de cette Pride Week ?
 
“Je souhaite qu’elle puisse ouvrir les esprits et les cœurs des Polynésiens, car c'est l'ignorance qui crée les problèmes, la maltraitance et la souffrance. Ce festival, ce n'est pas réellement un festival de fierté, car on n'est pas fier d'être homosexuel et différents, nous sommes juste fiers d'être nous-mêmes, d'arriver à nous accepter, de dire que nous avons le droit d'aimer qui nous voulons et de vivre comme nous le souhaitons. C'est juste le courage de dire ‘Vous ne nous mettez pas dans la norme, mais nous sommes normaux.’ En 2023, on doit être accepté, on ne veut pas de la tolérance, car nous sommes des personnes comme tout le monde. On est là pour enrichir la société. La diversité est une richesse.”

Avez-vous fait appel à des entreprises locales pour vous aider ?
 
“Non, on n'a pas sollicité des entreprises locales pour nous subventionner, car elles sont généralement frileuses. Ils sont conscients du poids de la religion ou alors peut-être que ça affecte leur image, je ne sais pas. La seule entreprise qui nous a aidé, c'est la compagnie aérienne Air Calin, qui nous a donné un coup de main pour faire venir une drag-queen de Nouvelle-Calédonie pour notre Pride Week.”
 
Il y avait d'autres événements pour la communauté LGBT en Polynésie avant ?
 
“Auparavant, il y avait des soirées, qui ont malheureusement disparu. C'était de très bonnes initiatives, car ça permettait aux jeunes de se retrouver dans des établissements sécurisés. À une époque, il y avait le carnaval aussi, mais il n'était pas estampillé LGBT. En France il y a des programmes, notamment éducatifs qui sont inscrits dans le bulletin officiel de l'Éducation nationale. Il y a des journées contre le harcèlement et pour l'inclusion comme le 17-mai. Mais ce sont des actions qui n'arrivent pas chez nous, car certaines personnes pensent encore que c'est de l'idéologie. D'ailleurs si cela en était, pourquoi la première ministre Elisabeth Borne nommerait un ambassadeur aux droits LGBT comme elle a annoncé qu'elle le ferait ?”
 

Rédigé par Thibault Segalard le Vendredi 10 Février 2023 à 15:32 | Lu 1552 fois