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Justice : "Nous avons un retard énorme à récupérer"


Tahiti, le 22 janvier 2022 – Comme ses collègues chefs de cour à Papeete, le procureur général, Thomas Pison, a insisté vendredi lors de l'audience solennelle de rentrée des juridictions sur la "problématique des moyens de la justice". Il a affirmé que cette problématique devait être résolue afin d'assurer "l'équilibre des forces au sein de notre démocratie" et la lutte contre la délinquance.
 

 La dénonciation du manque de moyens de la justice était unanime vendredi matin lors de l'audience solennelle. Comment cela se traduit pour la justice sur le territoire ?

 

"C'est la suite de la tribune des 3 000, signée par 7 000 personnes dans Le Monde. Et ce constat est partagé dans toutes les juridictions, tribunaux de grande instance et cours d'appel. En Polynésie, par rapport au ratio du nombre de magistrats en France, nous sommes plutôt dans la moyenne. Mais ce-dit ratio est déjà très en deçà de ce qu'il faudrait, et notamment par rapport à la commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ). Car par rapport à l'Europe, il y a quatre fois moins de parquetiers en France que la moyenne européenne. Localement, si l'on applique le ratio de la CEPEJ, nous sommes 12 magistrats pour l'ensemble du parquet alors que nous devrions être 30 puisque la moyenne européenne est de 11,2 magistrats du parquet pour 100 000 habitants. Nous avons un retard énorme à récupérer."

 

Le parquet n'est pas le seul à souffrir d'un manque d'effectifs ?

 

"Au-delà du manque de magistrats au parquet, il manque également des greffiers, des personnels et de l'immobilier. Si nous sommes 30 demain, il faudra loger ces nouveaux magistrats. Si l'on souhaite avoir plus de monde, et l'on devra en passer par là, c'est pour avoir une justice beaucoup plus présente dans tous les archipels de la Polynésie. Autrement, la justice restera concentrée sur Tahiti. Au regard des effectifs, je précise tout de même que les chiffres de notre activité sont très satisfaisants. Mais si l'on veut avoir une ambition plus forte sur la présence judiciaire, il faut plus de monde. Peut-être pas 30 mais 20 parquetiers, cela serait parfait. Cela voudrait dire que nous ne ferions pas les mêmes choses qu'aujourd'hui. Il faudrait prendre moins de dossiers, les lire, les analyser et donner plus de temps aux justiciables pour se faire entendre."

 

Après la publication de la tribune des 3 000 dans Le Monde et le véritable mouvement de protestation qui s'en est suivi, quelle a été la réponse du Garde des Sceaux ?

 

"Dans le cadre des états généraux de la Justice, M. Sauvé, qui préside ces états généraux, a demandé à toutes les cours d'appel de présenter librement leurs besoins en termes de magistrats. Toutes les cours d'appel sont donc en train d'adresser leurs demandes au Garde des Sceaux pour avoir du personnel supplémentaire. J'ai terminé ledit rapport pour le parquet et je demande au moins quatre parquetiers supplémentaires pour la justice de proximité, les violences faites aux femmes, l'ice et l'exécution des peines dont un seul parquetier s'occupe actuellement. 

 

Cette rentrée solennelle était également l'occasion comme chaque année d'évoquer les objectifs constants du parquet de Papeete ?

 

"Là aussi, malheureusement, d'année en année, les sujets perdurent. Les violences faites aux femmes sont l'une de nos priorités car les faits ont doublé ces dix dernières années. La Polynésie et la Nouvelle-Calédonie ont quasiment deux fois plus de faits de violences faites aux femmes que la métropole et la justice a son rôle à jouer. Mais encore une fois, nous n'y arriverons pas seuls. Le Pays doit aussi s'investir en matière de prévention. Il y a aussi la lutte contre le trafic de stupéfiants qui reste malheureusement un sujet qui perdure. Avant la Covid, les trafics étaient assez organisés et installés. Cela permettait le démantèlement de réseaux importants puisqu'organisés depuis longtemps. La covid a cassé cette dynamique et cela a dérangé les systèmes mis en place. Quand les vols se sont remis à fonctionner, on a plutôt retrouvé des petits "trafiquants fourmis" qui veulent se faire un peu d'argent. Ce sont des choses un peu plus artisanales. Mais je ne suis pas optimiste. Dès que l'on rouvrira de manière plus importante, nous retrouverons des trafics plus importants."

 

On ne peut évoquer ces priorités sans aborder de nouveau les affaires d'atteintes à la probité, dont la durée de traitement de certains dossiers fait réagir ?

 

"Cela reste une priorité, le procureur de la République l'a dit ce matin. Il est vrai que du fait de la technicité de certains dossiers et de l'embouteillage des services locaux sur d'autres thèmes, nous aurions parfois besoin de l'appui d'offices centraux spécialisés dans des dossiers particulièrement complexes que la Section de recherches ou le commissariat, déjà extrêmement mobilisés dans le domaine de la lutte contre le trafic de stupéfiants, ne peuvent pas traiter complètement."

 


Rédigé par Garance Colbert le Samedi 22 Janvier 2022 à 11:07 | Lu 2058 fois