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Joana et Maxime Hauata, dévoués au patrimoine de Anaa


TAHITI, le 23 février 2022 - Joana et Maxime Hauata se sont rencontrés dans les années 1980 sur leur atoll, Anaa. Depuis, ils ne se quittent plus, visant un objectif commun : protéger le patrimoine culturel et environnemental de cet atoll des Tuamotu si particulier. Ils ont fondé, pour ce faire, l’association Pu tahi haka no ganaa.

"Ce que l’on fait à Anaa ? Un peu de tout", répond Joana Hauata en souriant. Anaa, c’est son île et celle de Maxime Hauata. Ils lui consacrent toute leur attention, leur temps, leur énergie. En somme, leur vie. Ils ont fondé l’association de sauvegarde Pu tahi haka no ganaa qui mobilise les anciens, les habitants, mais aussi des chercheurs. Ils vivent entre Tahiti et Anaa, "selon le besoin". Ce sont leurs deux points d’ancrage. Pour Maxime, la Polynésie est un "désert aquatique" parsemé "d’oasis". Il cite Epeli Hau’ofa, écrivain et anthropologue fidjien d’origine tongienne qui, lui, parle de l’Océanie comme "d’une mer d’îles". Le couple se déplace souvent, comme ses ancêtres les grands voyageurs. "C’est un trait de caractère", résume Joana.

Joana a étudié à l’école normale pour devenir institutrice. Un métier qu’elle a exercé à Anaa, dans d'autres atolls des Tuamotu et à Tahiti. Elle a repris des études à l’université dans les années 1990 et est devenue vacataire en reo tahiti pour l’établissement d’enseignement supérieur. Elle a mis un terme à ses interventions en 2016 "car, explique-t-elle, je ne peux pas tout faire".

Maxime est né à Tahiti. Il a été adopté par des habitants de Anaa. Il y a grandi jusqu’à l’âge de 9 ans. Il est allé à Tahiti pour suivre l’école primaire puis est rentré, occupant ses journées au coprah. "Après, j’ai fait diverses formations." Il est entré dans l’administration, travaillant au SDR en tant que technicien agricole à Tahiti et dans l’ensemble des Tuamotu. "Je suis devenu spécialiste des îles basses", précise-t-il. Il a enchaîné les missions dans les îles et a pris sa retraite en 2016.

Anaa, un atoll aux diverses richesses

Anaa est un atoll des Tuamotu situé à l’est de Tahiti. Il n’a pas de passe, sa couronne corallienne est surélevée. En fonction de son occupation, cet atoll a porté plusieurs noms différents. Anaa est son nom contemporain et administratif. Il est connu pour la beauté de son lagon, mais pas seulement. Son patrimoine culturel, géologique et environnemental est riche. Son histoire également. Sa population a été estimée jusqu’à 5 000 personnes, répartis en village tout autour de l’atoll. Joana et Maxime Hauata se sont rencontrés dans les années 1980, à Anaa. "On était jeune, on s’intéressait à l’histoire, le milieu, la culture", se rappellent-ils. À l’époque, ils ont travaillé avec l’ethno-archéologue Jean-Michel Chazine et le malacologue (spécialiste des mollusques) Bernard Salvat.

Pour formaliser leur intérêt et leurs actions, ils ont fondé, en 2000, l’association culturelle et environnementale Pu tahi haga no ganaa dont l’objectif est la préservation, la conservation, la promotion et la valorisation de la culture et de l'environnement de Anaa dans le cadre d’un développement durable. "On n’est pas dans un musée."


Qu’est-ce qu’on a ? Qu’est-ce qu’on peut en faire ?

L’idée dans un premier temps a été de faire un état des lieux. "On s’est dit : qu’est-ce qu’on a ? Qu’est-ce qu’on peut en faire ?" Ils se sont tournés vers les anciens de l’île pour enregistrer les chants, les récits, les savoir-faire. Joana tient à mentionner de fidèles et précieuses partenaires : mama Leonie Tegahe tuhoe gatata et Mama Rosalie Marere Aumera. Ils ont aussi fait appel à des scientifiques. Maxime a attiré l’attention du botaniste Jean-François Butaud, réunissant les fonds pour lui permettre d’étudier la biodiversité de l’île. C’était en 2005. Quelques années plus tard sont venus l’archéologue Tamara Maric et l’anthropologue Frédéric Torrente. Ce dernier a soutenu une thèse en 2010 intitulée Ethnohistoire de Anaa, un atoll des Tuamotu, sous la direction de Bruno Saura. Il en a tiré l’ouvrage intitulé Buveurs de mers, Mangeurs de terre sur l’histoire des guerriers de Anaa. Un livre qui pourrait être réédité sous peu. En 2009-2010, une grande mission pluridisciplinaire a été organisée. Aujourd’hui, 60% de l’atoll a été prospecté. "Grâce à ces travaux, on a par exemple confirmé l’existence d’une soixantaine de marae. On en connaissait une dizaine, on en suspectait plus sans les avoir identifiés. Nous avons remonté la trame du passé, nous avons des preuves tangibles."


"On continue à être moteur"

Joana et Maxime Hauata ont souhaité partager toutes ces connaissances amassées avec la population, "on ne garde pas tout ça pour nous ! ". Dans un souci de développement, ils ont mis en place des formations dispensées sur l’île avec le Sefi. "On a pris la voie de l’écotourisme, une niche qui a du potentiel." Même si aujourd’hui cet atoll de 500 habitants n’est pas une destination très touristique, ils ne baissent pas les bras et continuent sur leur lancée. "On essaie de rester moteur."

En 2017, ils ont répondu à un appel à projets dans le cadre de Best 2.0 afin de cartographier les zones de l’île à conserver en priorité. Un parcours botanique avec des panneaux de signalisation ont été installés. Cette année-là, un état des lieux de la population d’escargots (et notamment de Cyclomorpha flava) a été fait en lien avec le Museun national d’histoire naturelle (MNHN). "Nos escargots de terre, les pupu, qui servent à la confection d’objets artisanaux comme les fameuses couronnes de tête, ont disparu. Il faut les réintroduire." Ils attendent une réponse de l’Office français de la biodiversité après avoir répondu à un appel d’offres pour un projet de restauration 2022-2024. Le couple s’est rapproché de la société d’ornithologie de Polynésie, la Sop Manu, dans le but de réintroduire des ptilopes, des oiseaux aujourd’hui disparus sur l'atoll. "Ils sont essentiels ! Ils jouent un rôle dans la dissémination de graines."

Côté culture, ils ont mis sur pied un festival qui a été organisé en 2008 et 2009. Ils ont participé à l’organisation de celui de 2011, porté par la commune.

Ancrés dans le tissu associatif, ils sont, au-delà des problématiques de Anaa, dans les débats colonialiste et postcolonialistes, dans l’écologie, la transition énergétique. Ils veulent éveiller les consciences. Ils sont allés à Copenhague pour assister à la COP 09, en 2009, "car au bout d’un moment, il faut se décider et agir". Ils font partie de l’académie paumotu, Kāruru vānaga pour sauvegarder la langue et la culture. "Ah, c’est ennuyant cette culture-là, on est toujours occupés", s’amuse Joana. Avec Maxime, elle a eu cinq enfants. Le couple n’en finit pas d’être sollicité, "mais quoi qu’il arrive, on ne s’oublie pas".



Contact

FB : Pu Tahi Haga No Ganaa

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 23 Février 2022 à 20:25 | Lu 2060 fois