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Jeunes, Polynésiens, diplômés…Et écoeurés par l’instabilité


Jeunes, Polynésiens, diplômés…Et écoeurés par l’instabilité
Ils ont fait de brillantes études en métropole ou à l’étranger, mais c’est en Polynésie qu’ils avaient choisi de venir travailler. Et c’est au sein des services du Pays ou des cabinets ministériels qu’ils ont fait leurs armes, durant les deux dernières années. Hiva, Titaua, Yannick, comme nous les appellerons, s’étaient engagés sans compter dans leur travail pour « faire avancer le Fenua ». Coupés dans leur élan par le dernier renversement de gouvernement, ils ont accepté de nous parler de leur amertume, et de leur déception.

« Je me sens frustré », confie Hiva, ancien conseiller d’un ministère stratégique. « Frustré de ne pas avoir pu faire aboutir mes dossiers, frustré du manque de reconnaissance d’un pays qui nous balaie d’un revers de la main ». Avec son équipe, Hiva avait de grands projets pour la Polynésie. Des réformes de longue haleine, qui partiront à la trappe, comme beaucoup d’autres avant elles. Pourtant ce jeune homme brillant, qui avait abandonné une carrière dans le privé, ne renonce pas à l’idée de retourner au service du pays, un jour. « On a envie de revenir si on nous laisse enfin le temps de faire aboutir nos dossiers. Mais laissez-nous enfin avoir cinq ans devant nous ! ».

Comme lui, ils sont nombreux à vouloir toujours travailler pour leur pays. Nombreux aussi à attendre que le téléphone sonne pour leur proposer un travail dans les nouvelles équipes gouvernementales. Titaua n’a pas eu à chercher. Elle a été appelée par le successeur de son ministre. « Je vais probablement accepter, pour clôturer les dossiers, et faire le lien avec la nouvelle équipe », explique la jeune femme, qui avoue qu’elle travaillera sans être payée, puisqu’elle touche, comme les autres « emplois cabinet » remerciés, trois mois d’indemnité. Et après ? « Je ne pense pas que je retravaillerai un jour pour un gouvernement. C’est totalement démotivant de s’investir pour rien. On voit que ça n’avance pas, que les gouvernements sont renversés…A quoi bon travailler pour le pays dans ces conditions ? ».

LA DELEGATION POUR LA PROMOTION DES INVESTISSEMENTS RELEGUEE…AU PORT DE PECHE

Les nouveaux bureaux de la DPI sont situés ici, au fond du port de pêche.
Les nouveaux bureaux de la DPI sont situés ici, au fond du port de pêche.
D’autres de ces Polynésiens promis à un brillant avenir sont épargnés, en apparence, par l’instabilité. Les agents des services du pays ne connaissent pas le sort de ces « emplois cabinet » désormais au chômage. Mais ils ont leur propre difficultés. Un travail à l’arrêt, faute de directives. Un déménagement qui leur fait perdre leurs repères, et leur temps. Sans compter ceux qui se retrouvent « placardisés » sans explication.

C’est ce qui est arrivé à la délégation pour la promotion des investissements (DPI). Ce service regroupe le secrétariat de la Commission consultative des agréments fiscaux, la Promotion des investissements et le Tahiti Film Office. Pour rappel, la DPI gère notamment la défiscalisation en loi locale, qui a accordé en 2010 7,4 milliards de crédits d’impôts, pour un total de 21 milliards d’investissements. Des aides qui ont permis la création de plusieurs centaines d’emplois, directs et indirects.

Vendredi, on a prié ce service stratégique de quitter ses bureaux de la présidence, direction…le port de pêche de Papeete. Pour le plus grand désarroi de cette jeune équipe, qui s’inquiète de l’image que renverra son service. Même le directeur du port, que Tahiti Infos a croisé sur place, se dit plutôt « surpris » de voir s’installer ces nouveaux voisins.

Désormais, un investisseur qui voudra rendre visite à la DPI devra traverser le port de pêche jusqu’à une petite ruelle réservée aux pêcheurs et aux mareyeurs, qui fleure bon le poisson. Quant au décor, il aurait sûrement fait rêver Mathieu Kassovitz, le réalisateur dont la DPI avait été l’interlocuteur l’an dernier. Ou les directeurs financiers de toutes les plus grandes sociétés du Fenua. Pour ubuesque qu’elle soit, la situation n’en reste pas moins profondément préoccupante. Le chef de service, brillant polynésien originaire des Australes et diplômé de Sup de Co, qui a décliné notre demande d’interview, laisse juste échapper que la situation est « difficile pour son équipe ».

« Frustrés », « démotivés », « déboussolés » …. Le Fenua n’a plus qu’à espérer que ces jeunes polynésiens brillants, et diplômés n’aillent pas faire profiter un autre pays de leurs compétences, que l’instabilité politique les empêche d’exprimer.

Rédigé par F K le Lundi 11 Avril 2011 à 12:33 | Lu 3143 fois