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Jean-Marc Régnault : «je ne comprends pas l’attitude de la France aujourd’hui»


Jean-Marc Régnault présente son ouvrage. Il est déjà prévu un retirage du livre.
Jean-Marc Régnault présente son ouvrage. Il est déjà prévu un retirage du livre.
PAPEETE, mardi 27 août 2013. L’ONU, la France et les décolonisations tardives (l’exemple des terres françaises d’Océanie) aux éditions Presses Universitaires d’Aix-Marseille (Collection Droit d’outre-mer). C’est le dernier ouvrage publié par Jean-Marc Régnault, historien et chercheur associé à l’Université de Polynésie française. Un livre issu de recherches personnelles sur le cas de la Nouvelle-Calédonie -un sujet sur lequel Jean-Marc Régnault étudiait depuis de longues années-, et sur des recherches en partie financées par l’assemblée de Polynésie française. Au cours de l’année 2011 en effet, l’historien a été missionné par le président de l’assemblée de l’époque Jacqui Drollet pour aller consulter durant un mois les archives diplomatiques françaises. Certains lui reprocheront cette mission financée le faisant apparaître comme partisan des faits en faveur du parti indépendantiste et non pas neutre comme sa mission d’historien devrait l’imposer.
En janvier 2012, il remet un rapport à l’assemblée de Polynésie sur ce que ses recherches ont mis en lumières, mais ce rapport n’a pas été rendu public. «Je n’ai pas posé la question de savoir pourquoi le rapport n’avait pas été présenté publiquement. En revanche, j’ai utilisé une partie de ces recherches, avec l’accord du donneur d’ordre, pour publier cet ouvrage» précise encore Jean-Marc Régnault.

L’auteur se défend d’être d’un quelconque parti pris. «Les déclarations que je cite, elles ont existé ; les documents aussi». Effectivement, les citations sont nombreuses dans l’ouvrage et elles permettent d’avoir une idée précise -et de première main- de la façon dont les hommes politiques français de 1945 à aujourd’hui ont abordé les terres françaises d’Océanie. «En Nouvelle Calédonie je passe pour un universitaire intègre, ici pour un affreux partisan. Pourtant, Harold Martin le président (anti-indépendantiste NDLR) du gouvernement néo-calédonien, se scandalise comme moi, de l’attitude de la France depuis la réinscription de la Polynésie française sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU (…) Harold Martin considère même que le fait d’être sur cette liste est, au fond, la garantie que la France ne larguera pas ces territoires sans une consultation. Il estime que cela a permis de remettre le peuple kanak dans le circuit de la discussion». Enfin, il pointe du doigt les contradictions de la France d’aujourd’hui. «En son temps, le parti socialiste a beaucoup critiqué l’attitude de Bernard Pons (ministre des territoires d’outremer de Jacques Chirac, qui eut à gérer en 1986 les événements en Nouvelle-Calédonie). En 2004, François Hollande premier secrétaire du PS signe une convention avec le Tavini d’Oscar Temaru pour demander la poursuite de la décolonisation. Une fois président de la République, pourtant, il critique la réinscription de la Polynésie française sur la liste onusienne. C’est cela que j’ai voulu montrer, c’est le rôle de l’intellectuel de dénoncer les contradictions. S’il y a un côté personnel, engagé dans cet ouvrage, c’est là qu’il se situe».

L’intérêt du livre, très universitaire dans sa forme, est de présenter en parallèle la vision de la décolonisation à travers le prisme de l’ONU et celle mise en pratique par la France "qui adhère à la charte de l’ONU mais qui ne la respecte pas". C’est d’ailleurs toute l’ambiguïté d’une organisation comme celle des Nations Unies qui émet des critères par le biais notamment de ses résolutions mais n’a aucun moyen de les imposer (le Comité de la décolonisation a entamé en 2010 sa 3e décennie de l’élimination du colonialisme). Ainsi, on comprend mieux comment la Nouvelle Calédonie et la Polynésie française ont disparu de la liste des territoires non autonomes édictée par l’ONU en 1947, par la seule volonté de la France qui estimait alors avoir éliminé tout caractère colonial à l’intérieur de ses frontières, y compris ultramarines. D’autant que le Comité de la décolonisation de l’ONU (le Comité des 24) n’est créé qu’en décembre 1960. A ce moment-là, le sort des territoires français océaniens est scellé depuis longtemps.

Même si la position de l’ONU au sujet de la décolonisation se radicalise dès 1949, l’envisageant désormais comme une problématique internationale et non pas comme une affaire intérieure propre à chaque état, les terres françaises d’Océanie sont alors intégrées à la nation française. Jusqu’en 1967 les partis indépendantistes sont interdits et les relais locaux pour l’émergence d’autres alternatives tardent à se mettre en place. Ceci est d’autant plus vrai pour la Polynésie française où Oscar Temaru s’est accordé avec Jean-Marie Tjibaou pour laisser le processus de réinscription à l’ONU de la Nouvelle-Calédonie aller à son terme en 1986 avant qu’une action ne soit menée dans son propre territoire. Mais le leader du FLNKS est assassiné en 1989 et les indépendantistes polynésiens devront aller chercher ailleurs d’autres soutiens pour la reconnaissance de leur propre requête aux Nations-Unies. Un long cheminement qui a abouti finalement le 17 mai 2013 à la réinscription de la Polynésie française sur la liste de l’ONU des territoires non autonomes. Une date forcément historique, qu’elle soit ou non appréciée.



Jean-Marc Régnault : «je ne comprends pas l’attitude de la France aujourd’hui»
Quand l’actualité rattrape l’historien

Entre janvier 2012 (date de la remise de son rapport à l’assemblée de Polynésie) et juin 2013 (date de publication de son ouvrage), Jean-Marc Régnault travaille à la rédaction de son livre sur les décolonisations tardives des terres françaises d’Océanie, quand l’actualité polynésienne sur le sujet s’accélère. Son dernier chapitre, «La Polynésie française et le problème de la réinscription de 1996 à nos jours» est terminé : on y voit notamment comment Oscar Temaru arrivé au pouvoir en Polynésie a abordé cette question.
En pleine campagne pour les élections territoriales, la demande de la réinscription de la Polynésie est portée par trois petits états insulaires devant l’assemblée générale de l’ONU. «J’avais ordre de l’éditeur de remettre le manuscrit au plus tard le 18 mai. Le 17 mai, la réinscription est actée par l’ONU, j’ai donc rapidement écrit une postface» précise Jean-Marc Régnault. «Je pensais qu’effectivement c’était du domaine du possible. L’ONU qui n’a pas voulu fâcher la France a seulement retardé sa décision après la fin des élections. Mais j’y croyais un peu plus que la presse locale. D’autant que le texte qui a été finalement adopté par l’assemblée générale n’a pas été adouci par rapport à la demande première. Il a été formaté selon les critères particuliers de l’ONU qui a son propre langage, ce qui signifie que l’affaire était finalement déjà acquise».

Rédigé par Mireille Loubet le Mardi 27 Août 2013 à 15:07 | Lu 3698 fois