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Jean-Christophe Gay, géographe : "le terme 'outre-mer' a remplacé celui de 'colonies'"


Tahiti, le 20 avril 2022 – Rencontré à la suite de sa conférence “La France d'outre-mer dans sa diversité” à l'UPF, le géographe Jean-Christophe Gay revient au cours d'un entretien sur ces territoires si particuliers de la République, ainsi que leurs rapports avec la métropole et entre eux. Jean-Christophe Gay est professeur des universités à l'IAE Nice, directeur scientifique de l'Institut du tourisme Côte d'Azur (ITCA) et membre du conseil scientifique de la chaire “Outre-mer” de Sciences Po Paris. Il a, entre autres, participé à la rédaction de l'Atlas de la Polynésie française (1993) et a dirigé celle de l'Atlas de la Nouvelle-Calédonie (2012).
 
 
Vous avez dit en conférence que le nom “outre-mer” lui-même, est problématique. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi ?

“Ce terme exprime un point de vue francocentré qui place directement les territoires dans l'éloignement. Depuis la Chine, la France, c'est l'Hexagone et l'Outre-mer. Depuis les territoires ultramarins eux-mêmes, c'est la métropole qui est lointaine et exotique. C'est donc une manière de repousser ces territoires dans les marges d'un rapport centre-périphérie. Le nom “outre-mer” porte ainsi en lui des processus de domination et exprime un déséquilibre entre dominant et dominé.
Le terme “outre-mer” a commencé, en France, à remplacer le terme “colonies” à partir des années 1920 -1930. Une opposition au fait colonial commençait à monter, ce qui a rendu le terme “colonies” de moins en moins fréquentable. Un certain nombre d'institutions ont donc été rebaptisées pour perdre cette connotation. C'est le cas de l'École Coloniale qui est devenue l'École nationale française d'Outre-Mer. Le terme “outre-mer” est finalement rentré dans la Constitution de 1946 et l'appellation “colonies” a disparu des textes officiels. C'est aussi à ce moment-là qu'apparaît la dichotomie entre départements et territoires d'outre-mer, les fameux DOM-TOM. Ce sigle est tellement ancré, qu’il est encore très utilisé, bien qu'il ait disparu légalement en 2003. C'est même devenu un substantif : “les domtoms”. Mais, il exprime aussi ce “métropocentrisme”.
En fait, il est très compliqué de trouver un terme qui se libérerait de cette centration sur la l'Hexagone. Pour l'instant aucune solution ne s'est dégagée en géographie pour nommer autrement ces territoires. Quoi qu'il en soit, c'est un terme qui exprime à lui seul une partie des difficultés rencontrées dans les rapports entre ces territoires et l'État français.”
 
Ce sont des territoires pourtant très divers, socialement, historiquement, culturellement, économiquement. Qu'est-ce qu'ils partagent réellement ?

“Ils partagent d'abord la colonisation dont ils portent l'histoire, mais sous des formes différentes. Il y a les territoires nés de l'esclavage et de la traite négrière, cette première phase de colonisation au 17e siècle où la France a colonisé la Caraïbe et les Mascareignes pour développer les plantations, en important une population exogène réduite en esclavage. Sur ces territoires se sont développées des sociétés créoles avec leurs langues bien particulières et des liens sociaux marqués par des hiérarchies héritées de l'esclavagisme. Puis, il y a les territoires qui ont été colonisés plus tardivement, autour du 19e siècle. Ils ne l'ont pas été pour les plantations sucrières, mais pour d'autres raisons diverses, plus stratégiques. Il y a, sur ces territoires, des populations autochtones. La relation entre ces populations et le colonisateur est très différente. La colonisation en Nouvelle-Calédonie ne ressemble pas à celle de la Polynésie. Les populations mélanésiennes ont souffert de l'a priori racial très négatifs des colonisateurs français, ce qui a eu des effets sur le métissage, la valorisation de ce métissage, le fonctionnement de la société elle-même, etc.”
 
Il y a-t-il d'autres points communs à ces territoires ?

“Ils souffrent tous des mêmes maux avec une économie en difficulté, sous perfusion de l'État, un taux de chômage très élevé et une émigration des jeunes assez importante. L'émigration économique vers la métropole est plus prononcée aux Antilles. Saint-Barthélémy est l'exception à la règle de ces difficultés économiques. On retrouve, en conséquence, dans ces territoires, des inégalités sociales très fortes, plus fortes qu'en métropole. Dans les outre-mer, les inégalités de revenus sont plus proches de ceux de pays comme le Brésil, par exemple. Elles s'expliquent également par la surrémunération des fonctionnaires qui est une  particularité des territoires ultramarins.

La part de la population qui vit dans des conditions insalubres est beaucoup plus forte qu'en métropole. A Mayotte, par exemple, deux tiers de la population vit dans des habitations insalubres ; 43% en Guyane. En Polynésie, on est autour de 26%. En métropole, le taux est de 7 % en moyenne. Les différences sont énormes.

En réaction à leurs difficultés économiques, il s'y développe souvent des réseaux de solidarité très forts, qu'ils soient d'origine familiale, clanique, ou religieuse. C'est ainsi qu'en Polynésie française, une partie importante de la consommation alimentaire provient de dons. Le phénomène s'accentue avec l'éloignement du centre, de Tahiti.”
 
Cette solidarité se retrouve-t-elle entre les différents territoires ultramarins ?

“Les habitants des outre-mer connaissent mieux la métropole que les autres territoires ultramarins. Quelque part, les territoires sont en concurrence vis-à-vis des transferts publics, de l'attribution des fonds venant de l'État ou de l'Europe, parce que tous ces territoires en sont extrêmement dépendant. Chaque homme politique va chercher à tirer au maximum la couverture vers le territoire qu'il représente. Les territoires ultramarins, qui sont placés à la marge de la République, ne se connectent que par le “centre”. En fait, ils ne se connectent presque pas entre eux. C'est un réseau radial, qui ne mène qu'à la métropole. Le réseau aérien en est un bon symbole. Il n'y a que très peu de connexion aérienne entre les territoires ultramarins.”
 

Rédigé par Antoine Launey le Mercredi 20 Avril 2022 à 18:08 | Lu 1586 fois