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Jack Renton, l’Ecossais chasseur de têtes décapité !


Jack Renton retourna en Grande-Bretagne, mais le climat était devenu trop froid pour lui et les Mers du Sud lui manquaient.
Jack Renton retourna en Grande-Bretagne, mais le climat était devenu trop froid pour lui et les Mers du Sud lui manquaient.
Tahiti, le 20 février 2020 - Jack Renton fait aujourd’hui partie des personnages légendaires de l’île de Malaita, aux Salomon. Il y vécut en effet pendant huit années, de 1868 à 1875, devint membre à part entière de la tribu des « Salt Water People» ; comme les autres guerriers, il combattait ses ennemis et leur coupait la tête. Mais par une pirouette du destin, l’Ecossais fut lui-même décapité en 1878 sur une île des Nouvelles-Hébrides. Retour sur un destin hors du commun...
 
Le plupart l’appellent Jack, d’autres Jackie, certains même John voire Jack John... Pas de doute en revanche sur son nom de famille, Renton embarqué gamin sur des navires de commerce comme tant d’Ecossais pauvres et sans travail au milieu du XIXe siècle.  

« Shangaiisé » à San Francisco

La vie du jeune matelot bascula un soir, dans une taverne du port de San Francisco où il était en escale. Lui et quatre autres de ses camarades furent abordés par des marins qui les entraînèrent à boire dans le but de les enlever. Et c’est ainsi que les cinq compagnons se retrouvèrent à bord du Renard, un navire affecté au transport de guano, cet engrais dont avait tant besoin l’agriculture de l’époque. A noter que le terme anglais pour désigner cette pratique qui consistait à enlever des membres d’équipage s’appelle le shanghaiing, en référence à ce qui se faisait apparemment couramment dans les ports chinois où la main d’œuvre volontaire était rare et où les capitaines décidés à payer leurs équipages ne courraient pas les rues non plus...
En effet, être « shangaiisé » ne signifiait pas se retrouver à bord d’un navire avec le même statut que le reste de l’équipage. Les victimes de cette pratique ne recevaient aucune rémunération, étaient considérés comme des esclaves et subissaient les pires mauvais traitements. 
A l’époque, Jack n’avait que vingt ans et l’on imagine que le traumatisme fut immense pour lui et ses quatre camarades. Aussi se résolurent-ils à prendre la poudre d’escampette à la première occasion. Ils savaient qu’à chaque arrivée dans un port, ils étaient consignés à bord et mis aux fers ; il leur fallait donc s’échapper en pleine mer, ce qu’ils réussirent à faire par une nuit noire, en dérobant une chaloupe non pontée, munie d’une paire de rames. 

Quarante jours de dérive sur 2 000 miles

On se doute que dans la précipitation de cette fuite nocturne, les cinq hommes n’avaient pas eu le temps de se constituer des réserves de nourriture. Leur geste était celui de garçons désespérés n’ayant guère eu le temps de réfléchir aux conséquences de leur acte. Certes, seuls en mer, ils se crurent un instant sauvés, mais où étaient-ils dans ce vaste Pacifique ? Ils n’avaient ni carte ni boussole ni aucun moyen de se diriger, et d’ailleurs vers quoi, vers qui ? 
Commença alors pour les fugitifs une longue errance qui s’avéra fatale pour trois d’entre eux. La faim et la soif les tenaillaient et ce ne sont pas les pluies qui pouvaient remplir leurs estomacs. La longue et mortelle dérive dura quarante jours, sur deux mille miles nautiques, sans aucun repère, jusqu’à ce qu’un matin, une côte se dessine à l’horizon. Sans doute était-ce le pire endroit où les deux survivants pouvaient arriver puisque les îles Salomon, c’étaient elles qui se présentaient à eux, avaient à juste tire la plus mauvaise des réputations, peuplées de guerriers redoutables et qui plus est cannibales pour beaucoup d’entre eux.
A terre, deux tribus voisines et rivales avaient repéré la barcasse à la dérive. Le compagnon de Jack, parvenu à terre, fut capturé par l’une d’elles et massacré sur place à coup de casse-tête. Le hasard voulut que l’autre tribu s’empare de Jack Renton, une tribu qui connaissait les hommes blancs pour en avoir déjà détenu un. Le chef Kabou savait qu’il n’avait rien à craindre d’un naufragé isolé ; ce dernier ne pouvait que lui être utile, ayant plus de valeur vivant que mort.

Adopté par les « Salt Water People »

Jack Renton tel qu’il était après son long séjour aux îles Salomon, chez les coupeurs de têtes.
Jack Renton tel qu’il était après son long séjour aux îles Salomon, chez les coupeurs de têtes.
Certes, du peu que Renton avait avec lui, ses vêtements notamment et quelques effets personnels, le nouvel arrivant fut vite dépouillé lorsqu’il fut capturé et emmené sur un bout de terre qui allait devenir sa demeure pendant huit ans. 
Sulufou était une petite île artificielle au large de l’île de Mana’oba (extrême nord du lagon de Malaita), sur laquelle les Salt Water People s’étaient installés depuis cinq siècles au moins, non sans peine, pour échapper aux moustiques qui, sur l’île même de Malaita, étaient les implacables vecteurs du paludisme, entre autres. 
D’abord considéré comme une curiosité, Jack montra de suite qu’il entendait bien faire pleinement partie de la tribu, en partageant avec ses hôtes le peu qu’il savait : réparer des filets, pêcher, jardiner, manœuvrer des voiles... Toutes choses qu’il avait commencé à apprendre dès son plus jeune âge lorsqu’il vivait dans l’archipel des Orkney, à l’extrême nord de l’Ecosse. En bon Orcadien, il était résistant, débrouillard, travailleur et au final, non seulement le chef se félicita de l’avoir épargné mais il en fit même son fils adoptif, le protégeant des jeunes guerriers lui cherchant parfois querelle. Il fit en sorte que Renton puisse également apprendre le dialecte local afin qu’il soit à même d’asseoir son autorité sur ses nouveaux compagnons.
Ce renfort était d’autant plus le bienvenu sur Sulufou que la tribu était en guerre permanente avec d’autres clans vivant à terre et pratiquant le cannibalisme. Entre indigènes, on ne s’aimait guère, on se volait des femmes et surtout, outre déguster ses ennemis, on chassait les têtes, considérées comme des trophées.

Sa tête de Blanc mise à prix

Cette ancienne gravure du XIXe siècle montre des Salomonais, plus précisément des « Salt Water People » devant leur case, avec des têtes en guise de trophées.
Cette ancienne gravure du XIXe siècle montre des Salomonais, plus précisément des « Salt Water People » devant leur case, avec des têtes en guise de trophées.
Logé dans la grande case des hommes (en Mélanésie, hommes et femmes dorment généralement séparément), Jack n’était pas le dernier à participer à des expéditions punitives. Il savait se battre, après ses années passées comme marin à fréquenter les pires bouges et reconnut plus tard qu’il tua non seulement certains de ses ennemis, mais qu’il les décapita afin de ramener au village ces trophées si prisés. 
L’Ecossais, au fil du temps, était devenu un coupeur de têtes comme les autres, si réputé que toute la région le connut très vite à cause de sa couleur de peau et de son habileté au combat. Conséquence, sa tête fut mise à prix, un prix très élevé qui l’obligeait, lorsqu’il se rendait à terre, notamment pour se baigner dans une cascade, à toujours bénéficier de la protection d’un garde du corps. L’homme blanc aurait assuré la gloire de celui qui aurait ramené sa tête...
Année après année, Renton devint un héros local dont la renommée dépassa très largement le seul coin de Malaita où se trouvait la petite île de Sulufou. L’Orcadien aurait pu y passer le restant de sa vie si par bonheur pour lui, du moins le pensons-nous, il ne vit un matin un navire à l’ancre, le Bobtail Nag, non loin de son île. C’était en août 1871. Kabou et sa troupe étaient sur le pied de guerre car ils savaient parfaitement à qui ils avaient affaire : le bateau pratiquait le blackbirding, enlevant des indigènes pour les emmener dans les plantations de Fidji ou du Queensland. Les contrats de travail étaient des faux et les malheureux qui montaient à bord attirés par des promesses de cadeaux étaient tout bonnement réduits en esclavage. 

« S’il vous plaît, emmenez-moi »

Sur cette carte de l’île de Malaita, on aperçoit, à l’extrême nord-est une petite île au large du village de Manabo. C’est sur cette île que Renton passa quelques années et devint coupeurs de têtes.
Sur cette carte de l’île de Malaita, on aperçoit, à l’extrême nord-est une petite île au large du village de Manabo. C’est sur cette île que Renton passa quelques années et devint coupeurs de têtes.
Fort de son autorité dans le clan, Jack demanda à Kabou d’entrer en contact avec le navire. Kabou ne voulut pas laisser partir son guerrier favori mais le laissa rédiger avec du charbon de bois un message écrit sur un morceau de bois flotté, message explicite (aujourd’hui conservé à la National Library of Australia) : « John Renton. S’il vous plaît, emmenez-moi en Angleterre » (on note que le prénom avancé est celui de John, le plus utilisé étant pourtant celui de Jack).
Kabou joua le jeu et fit transmettre le message qu’il ne pouvait bien évidemment pas lui-même comprendre. Coup de chance, le capitaine du bateau, un dénommé Murray, était lui aussi Ecossais. Le contact fut établi rapidement et il fut convenu que Renton pourrait repartir à bord du navire sachant qu’il promit alors à sa tribu de revenir avec beaucoup de matériaux et de marchandises pour aider ceux qui étaient devenus ses compagnons à améliorer leurs rudes conditions de vie. 
Evidemment, à peine arrivé en Australie, il y fut accueilli en héros par une presse toujours friande de ce genre d’histoires. Il restait à Renton à parachever sa légende. Il retourna en Grande-Bretagne et fut reçu triomphalement à Stromness, sa bourgade natale où son père, qui le croyait toujours marin à bord de différents navires, avait fait des recherches pour avoir des nouvelles de son fils, loin de se douter qu’il était devenu chasseur de têtes aux antipodes...

Décapité aux Nouvelles-Hébrides

De retour chez lui, malgré sa célébrité, Jack eut du mal à s’adapter. Le froid le paralysait, les Mers du Sud lui manquaient et surtout il voulait tenir la promesse faite à Kabou et à sa tribu adoptive. Il repartit donc et six mois plus tard, il débarqua à Sulufou avec mille et un trésors : des tôles pour les toitures des huttes, des clous, des marteaux, des haches et même une grosse meule à aiguiser qui sera visible sur place jusque dans les années soixante.
Les autorités britanniques, notamment celles qui géraient le tout nouvel Etat du Queensland (créé le 10 décembre 1859), étaient à l’époque horrifiées par le trafic d’esclaves organisé par les blackbirders qui mentaient aux indigènes pour les enrôler. Renton parlait un dialecte salomonais et à ce titre, il fut recruté pour travailler à bord de ces navires, contrôler la légalité des embauches et expliquer aux indigènes quelle était la nature exacte des propositions qui leur étaient faites pour venir travailler dans les plantations du Queensland. 
En 1878, à bord d’un navire faisant route vers l’Australie, le Mystery, Renton et un de ses compagnons profitèrent d’une brève escale à Aoba, aux Nouvelles-Hébrides, pour se rendre à terre. Ils avaient pour but de revenir avec de l’eau fraîche pour le reste de la traversée, mais leur absence s’éternisa. Le capitaine envoya à terre une petite troupe de marins pour retrouver les deux hommes et les ramener à bord. Ils furent effectivement retrouvés, mais tous les deux morts. 
Ironie macabre, seuls les corps gisaient au sol ; les têtes avaient été coupées et emportées. 
Ainsi finit à trente ans à peine, Jack John Renton, l’Ecossais coupeur de tête de Sulufou.

Un héros à Malaita

Cette photo ancienne de guerriers salomonais représente des chasseurs de têtes exhibant des crânes pris à leurs ennemis.
Cette photo ancienne de guerriers salomonais représente des chasseurs de têtes exhibant des crânes pris à leurs ennemis.

Les habitants de Malaita gardent toujours le souvenir de Jack Renton et d’ailleurs sa hutte (sans doute refaite depuis 1878...) et certains de ses outils sont pieusement conservés.

Un réalisateur de documentaires, Nigel Randell, s’est rendu à de très nombreuses reprises sur place pour recueillir les différents récits concernant Renton que les tribus se racontent toujours, chacune ayant évidemment une version un peu différente de sa voisine.

La lance de Jack est exposée dans une collection de l’archipel d’Orkney tandis que l’un de ses trophées, un collier de soixante-quatre dents humaines, est exposé au National Museum of Scotland.

Lorsque les habitants de Sulufou apprirent les circonstances de la mort de leur héros, ils demandèrent à être emmenés aux Nouvelles-Hébrides pour le venger, vœu resté sans suite on s’en doute !


À lire

Le livre de Nigel Randell consacré à Jack Renton.
Le livre de Nigel Randell consacré à Jack Renton.
Diverses publications traitent de la vie de Renton. 
 
-« The White Headhunter : The Story of a 19-Century Sailor Who Survived a South Seas Heart of Darkness », par Nigel Randell, 2003.
 
-« White Headhunter » par Hector Holthouse (1988)
 
-« The adventures of John Renton », par J.G. Marwick, 1935.

Rédigé par Daniel Pardon le Jeudi 20 Février 2020 à 13:41 | Lu 2140 fois