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"Invisibles de la justice": les greffiers "en colère" sont en grève nationale


Crédit FREDERICK FLORIN / AFP
Crédit FREDERICK FLORIN / AFP
Paris, France | AFP | lundi 03/07/2023 - Ils sont "épuisés", "invisibles"... et "en colère": de Marseille à Brest, Toulouse à Paris, les greffiers ont fait grève et se sont mobilisés devant les tribunaux lundi, pour protester contre leurs conditions de travail "dégradées" et leur rémunération jugée insuffisante.

Les chiffres officiels ne sont pas encore tombés mais l'intersyndicale constate un mouvement très suivi, "près de 100% de grévistes dans certaines juridictions", selon Hervé Bonglet, secrétaire général de l'Unsa Services judiciaires (majoritaire).

De nombreuses audiences ont été renvoyées, y compris celles de comparutions immédiates, bien chargées avec les émeutes urbaines à la suite à la mort de Nahel.

En région parisienne, le grand rassemblement était organisé sur les marches du palais de justice historique de Paris, sur l'île de la Cité, où ils étaient près de 400 vers 13H00.

Dans une ambiance bon enfant et sous le soleil, ils ont sifflé, chanté des Marseillaises, entonné des "Dupond, si tu savais..." à l'adresse du garde des Sceaux, et se sont allongés au sol en scandant "Justice morte".

Sur les pancartes, à Paris et ailleurs, les mêmes mots qu'ils brandissent depuis le début de ce mouvement spontané, hors syndicats, lancé en protestation contre un projet de nouvelle grille indiciaire, la "goutte d'eau" disent-ils, après des années de conditions de travail dégradées et de salaires qui n'évoluent pas.

"La gifle de trop", "Face au mépris la colère", "Injustice dans la justice", "Un seul greffier vous manque et tout est renvoyé", est-il écrit sur les pancartes.

Benjamin (prénom modifié) est greffier à la permanence parquet du tribunal de Bobigny, là où sont gérées, en lien avec la police, les gardes à vues.

Comme ailleurs, ils ont été "sursollicités" ces derniers jours, mais la surcharge de travail n'est pas récente, insiste-t-il. "Je sais à quelle heure j'arrive le matin, 8H00, je ne sais jamais quand je pars" - souvent vers 22H00.

"Par choix"

Son métier est peu connu du grand public, il est pourtant essentiel, soutient-il, comme les autres. "On est les spécialistes de la procédure. Le magistrat traite le fond, nous on constitue le dossier, et on s'assure qu'il est conforme au code de procédure pénale."

Ce sont aussi les greffiers qui avisent les victimes, les avocats, les interprètes si besoin... puis à l'audience, au pénal, eux qui "notent tout", qui s'assurent que les droits des mis en cause soient respectés... 

"A bout", lassés d'être les "invisibles de la justice", comme dit un greffier à Toulouse, ils racontent partout en France leur ras-le-bol: les "heures sup" qu'on ne compte plus, les "burn-out" et les "tableaux de remplacement" pour faire tourner le greffe. Le sentiment d'être les "grands oubliés" de la justice - loin derrière les magistrats ou les surveillants pénitentiaires. Et le logiciel de travail complètement obsolète avec "lequel on se bat tous les jours", dit un greffier à Bordeaux.

"Nous, greffiers, habituellement si silencieux, élevons aujourd'hui la voix", lance un greffier de l'instruction devant ses collègues à Marseille. "En l'état, l'adoption de cette grille conduirait à la paupérisation" d'une profession, "déjà au bord de l'épuisement et qu'on qualifie pourtant partout de rouage essentiel".

Cette nouvelle grille, ce serait seulement "15 euros de plus" sur sa fiche de paie, tout en perdant plusieurs échelons en ancienneté, lance une greffière à Bordeaux. 

A Paris, Claire et ses "23 ans de carrière" espère que la situation s'améliore pour "les nouvelles": la très grande majorité des greffiers sont des femmes.

"On fait ce métier par choix, pas par dépit, pour rendre une bonne justice", martèle celle qui met en avant son "grand sens du service public". "C'est la première fois de ma vie que je fais grève et je ne suis pas la seule", abonde une collègue.

"Les greffiers ne seront pas oubliés", a promis Eric Dupond-Moretti sur France Inter lundi matin. "Je récupère 30 ans d'abandon budgétaire, politique et humain. Ca ne se fait pas en un claquement de doigt, mais ça se fait", a-t-il poursuivi, rappelant que les "concertations" avec les syndicats se poursuivaient.

L'intersyndicale, sortie très déçue d'un rendez-vous à la Chancellerie la semaine dernière, y a de nouveau rendez-vous mardi.

le Mardi 4 Juillet 2023 à 05:18 | Lu 297 fois