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Interview Raymond Graffe, Marche sur le Feu ce 3 juillet 2013


Interview Raymond Graffe, Marche sur le Feu ce 3 juillet 2013
Le Sacerdoce de Te Arii Mana Marua Te Po.

« Je suis Raymond Te arii mana marua te poTeriioteraiGraffe, né le 16 novembre 1946 dans une charrette là où il y a la rivière Marua po, je suis né la nuit, d’où mon prénom Te Arii Mana Marua Te Po qui signifie le Roi né de la Nuit. » Ainsi se présente le Tahu’aUmu-Ti, qui orchestre chaque année, la Marche sur le Feu, à l’ouverture de Matari’iraro, période de disette. Il a 67 ans, les tatouages couvrent son corps bien plus que les vêtements, il est agile et tonique. Il récite plus qu’il ne parle.

Comment Raymond Graffe devint Tahu’aUmu-Ti

« De 1972 à 79, tous les mois de juillet, il y avait des fouilles organisées dans la rivière de Papenoo pour le super barrage qui devait être fait. Après des études faites dans le sol, on a conclu que le mur qui allait être construit ne pouvait pas tenir, puisque la roche à 80 mètres de profondeur était friable.

Il a fallu étudier en amont, sur 7 kilomètres, tous les sites, car si le mur se brisait, ces sites archéologiques allaient être inondés. Alors le pays et l’Etat ont débloqué des crédits pour la recherche et la remise en état des sites, pour les répertorier, entre autre, afin de mettre hors-zone de danger d’inondation les sites les plus remarquables.

Là un après midi, en présence d’un archéologue, je suis tombé en syncope, sur un site. On était quatre fouilleurs ce jour là, et pendant deux heures j’étais dans une sorte de coma. Dès mon réveil, j’ai écrit tout ce qui c’était passé dans ma tête, pour ne pas l’oublier.

Pendant ces deux heures où j’avais perdu conscience, j’ai vu des choses que je n’ai compris qu’après : J’avais vu une énorme fosse du Mu-Ti, un four immense dont je ne voyais même pas la fin, avec des racines du Mu-Ti à l’intérieur, il y avait aussi toutes les incantations nécessaires pour mettre en place cette structure… Mais rien ne s’est réalisé à ce moment, puisqu’en juin 1979 je suis parti suivre des études d’archéologie à Paris.

En janvier 1983, je reviens à Tahiti. Gérald Cowen, directeur adjoint de la Maison de la Culture à l’époque, me demande si je peux faire la marche sur le feu. Je lui réponds, surpris ‘Je ne sais pas !’ et là, il me montre un article de la Dépêche de 1982, où un prêtre avait officié la Marche sur le Feu, mais c’était une catastrophe, il y avait de la boue sur les pierres, et avec le feu, une quarantaine de personnes s’étaient presque ébouillantées les pieds, sans compter qu’il y avait eu de l’alcool consommé. Un désastre.
Alors j’ai demandé une semaine, avant de donner ma réponse. Je suis retourné sur le site où j’avais fait une syncope et eu ma vision. J’ai demandé à mes Dieux si je pouvais le faire. J’ai accepté.

Mais la plus grande marche sur le Feu que j’ai faite, c’était le 12 juillet 1983, au Musée de Tahiti et des Iles, il y avait au moins 2500 personnes et des gradins de chaque côté du four, qui était immense, car il y avait eu des erreurs dans ses mensurations. C’était semblable à ma vision.

Depuis, j’ai toujours orchestré la Marche sur le Feu, ça fera trente ans et j’ai l’intention d’aller jusqu’au bout.
»

Normalement, être Tahu’aUmu-Ti, c’est héréditaire, ça se transmet. Raymond Graffe vient d’une lignée de guerriers, rien ne le prédestinait à ce destin mais il a été choisi. Aussi a-t-il décidé de former son fils de 19 ans, pour prendre sa relève quand il ne sera plus là.

« C’est un sacerdoce, je ferai ça jusqu’à la fin, je suis d’une lignée guerrière mais j’ai été choisi pour être Tahu’aUmu Ti. Je suis obligé d’évoluer avec le temps, d’adapter le rite. »

Préparation du Rite de la Marche sur le Feu.

Symboliquement, il s’agit d’un feu purificateur. On prépare ce rite à la période de disette, mais c’est aussi pour vérifier si le grand prêtre a toujours ses pouvoirs : Si une personne se brûle, le pouvoir du prêtre est remis en question.

« C’est toute une organisation : Un mois avant on se prépare, psychologiquement, pour tout mettre en place. Et puis ce n’est pas n’importe quel bois que nous devons mettre pour le feu, c’est le bois aito et ça devient rare. »

Pendant un mois, le prêtre se prépare physiquement et mentalement, par des restrictions, un jeûne mais aussi l’abstinence.

« Après la Marche sur le Feu, nous sommes tous épuisés. Nous rentrons à Papenoo, nous rangeons nos affaires, nous dormons. Ensuite je regarde les dates lunaires, il y a des nuits bénéfiques et des nuits maléfiques. Puis nous allons à Tautira, faire nos offrandes au mara’e pour le remercier de nous avoir protégés. Toute ma famille assiste au rite de la Marche sur le feu, nous sommes une soixantaine avec les enfants et les petits enfants. A la fin du rituel, je mets l’interdit sur le four. Ensuite nous allons à la mer, nous purifier. Nous nous baignons et une fois sortis de l’océan, nous sommes propres, purifiés du mal. »

Culture ou Folklore : « Tu ne peux pas tricher avec le feu, avec ce qui est authentique »

« Lorsqu’un étranger considère ma Culture comme un folklore, je trouve ça offusquant. Le rite de la Marche sur le Feu est un pan de notre Culture qui est authentique, parce que tu ne peux pas tricher avec le feu… Il est arrivé qu’on fiche des journalistes dehors, qui se moquaient pendant le rite. Ici, le Tahu’a c’est moi, c’est à titre privé qu’on le fait, nous ne sommes tributaires de personne : Nous organisons tout nous mêmes… Il y a des années, il y avait plus de Polynésiens à venir. Depuis deux ans, je remarque la présence plus importante de l’ethnie chinoise ma’ohi. Pourquoi ça a disparu dans les mœurs, je ne sais pas, mais je continue malgré tout à pratiquer le Culte des Ancêtres. Je leur apporte des offrandes, bananes, taro, feuilles de taro qui représentent le cœur, je parle avec eux. L’ancêtre est vivant, tu parles avec, tu sens sa présence. Je jeûne aussi, avant et pendant le rituel, jusqu’à la bombance tout à la fin. »

Un tahu’aUmu-ti très actif, depuis plus de trente ans : Te Arii Mana Marua Te Po refuse de se laisser aller à une simple contemplation, il ne connaît pas l’oisiveté. Chaque jour il s’impose une tâche à accomplir.

Lorsque je lui demande s’il serait bon que les Tahu’a anciens et récemment révélés se rencontrent, il répond : « Pourquoi pas se rencontrer à nouveau, je ne suis pas contre. Il y a des Tahu’a avec lesquels je ne partage pas le même avis, comme Sunny Walker par exemple. Pour moi, se cantonner à la contemplation est impossible. Je ne peux pas rester à ne rien faire. » Il rajoute « L’activité maintient une certaine vigueur. Je ne peux rester là, à contempler, non. J’apprécie, oui, mais dès que je vois, je fais une incantation, c’est immédiat. Je ne connais pas l’oisiveté. »

« Je suis une personne très active. Je suis obligé de me consacrer au foncier : La terre, c’est relatif à la culture. Si tu n’as pas de mara’e, tu es sans langue, sans mœurs, sans coutume, tu es comme un oiseau qui ne sait pas où il doit atterrir. Nos ancêtres n’avaient pas encore la connaissance du code civil, nous voulons restituer une réglementation ancestrale mais les politiques ne veulent pas en tenir compte. Je me consacre aussi aux activités culturelles, qui requièrent une grande préparation et beaucoup de temps. La marche sur le feu en est une, le tatouage, faire boire les pirogues, l’abattage d’un arbre pour confectionner la pirogue, la purification des individus, le baptême, le mariage traditionnel, l’oraison funèbre… »

La journée, pour le Tahu’aUmu-ti, commence à 18 heures, à la tombée de la nuit. Car les esprits se libèrent à vingt-deux heures, chaque soir.

« La nuit, tu es plus près des Dieux. Tu es sur ton mara’e. Tu apportes les offrandes pour communier avec les Dieux. Tu leur parles. Tu t’assoies sur ta pierre. Tu attends les signes, les bruissements, un éclair, le chant inattendu d’un oiseau, les positions des étoiles… Tu as besoin d’être seul pour interpréter, comprendre. »

« Parfois à six heures, je m’exile dans la vallée de Papenoo, parce que ce n’est pas une journée qu’il me faut, mais une semaine, je pars jusqu’au mara’eTupuna. J’entends dans la journée les 4-4 qui passent pour les excursions, ils ne me voient pas mais ils savent que je suis là, et je les distingue, chacun avec leurs klaxons, ils ont chacun une façon de klaxonner, pour me dire qu’ils passent, qu’ils sont à côté. Le klaxon remplace le PU ! »

Il dort à peine, pendant ces périodes de préparation. Il note tout, chaque bruissement, signe floral ou animal, est noté dans son carnet, avec l’heure. Toutes les conditions doivent être favorables, l’environnement naturel et social. Raymond Graffe accorde à l’instinct autant de valeur que nous en apportons à nos sens vitaux.

La transmission du prénom, une culture de la Mémoire.

Lorsqu’on lui demande quel message il veut transmettre, il exprime à la fois son désarroi face au désintérêt des autorités devant l’importance de la Culture et il revient sur le prénom tahitien, sa symbolique, car s’il se fait appeler Raymond Graffe, c’est qu’il ne veut pas qu’on abîme son prénom et que c’est plus simple à retenir pour les popa’a. Il n’en demeure pas moins que ce Tahu’aUmu-Ti qui officie depuis trente ans, se nomme Te Arii Mana Marua Te Po et que le destin l’a bien nommé.

« L’attribution des prénoms aux enfants est une priorité. Il faut veiller à connaître l’ancêtre qui portait le prénom, si c’était une bonne ou une mauvaise personne. J’ai mon PutaTupuna (livre des ancêtres) : Après 1852, certains de mes Tupuna avaient l’écriture. Ils ont écrit noir sur blanc les noms avec la description des personnes. Pour la transmission du prénom, dans ma famille, je vérifie le caractère de la personne, ce qu’elle a fait dans sa vie, grâce à mon PutaTupuna.

Je suis Te Arii Mana Marua Te PO, le Roi de la Nuit. Je suis né à Paea, la nuit, dans une charrette. Voilà aussi pourquoi, pour moi, la journée commence à 18 heures.
»

C’est aujourd'hui, mercredi 3 juillet 2013, à Mahana Park, à Paea, sur un terrain semé des âmes des ancêtres, que Raymond Graffe, ou Te Arii Mana Marua Te Po, Tahu’aUmu-Ti depuis trente ans, officiera le rite de la traditionnelle Marche sur le Feu.

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Rédigé par Ariirau Richard-Vivi le Mercredi 3 Juillet 2013 à 11:09 | Lu 1804 fois