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Impôt foncier : EDT doit-elle donner ses fichiers clients au Pays ?


PAPEETE, le 29 février 2016 - Une loi de Pays passée le 23 décembre dernier veut obliger les distributeurs d’électricité à communiquer chaque année la liste de tous leurs clients, avec leurs adresses, à la direction des Contributions. Mais EDT a décidé de consulter la Cnil, le texte semblant enfreindre la loi protégeant les données privées de ses clients.

Le 23 décembre dernier, à l'Assemblée de Polynésie française, au milieu du grand texte sur la réforme fiscale et la transition énergétique défendu par le vice-président et ministre des Finances Nuihau Laurey, de nouvelles dispositions étaient intégrées au Code des impôts, pouvant grandement améliorer la collecte de l'impôt foncier.

Les services de la Vice-présidence savent en effet depuis des années que l'impôt foncier est payé sur 50 000 habitations, alors qu'EDT totaliserait entre 70 000 et 80 000 compteurs. La différence entre ces deux nombres comporte des boîtiers électriques inutilisés, certains logements collectifs, les bâtiments publics... Mais elle pourrait également inclure des milliers de fraudeurs. Ces dernières années, l'augmentation des contrôles a permis d'augmenter la collecte de cet impôt de 200 à 300 millions de francs par an. Des collaborateurs proches du vice-président nous confient que le ministère des Finances estime qu'un tiers des personnes redevables de l'impôt foncier y échappent. Une perte à gagner pouvant aller jusqu'à 1,2 milliard de francs de recettes pour le Pays.

Pour contrer les fraudeurs, récupérer le fichier client d'EDT

D'où une tentative de récupération du fichier client des distributeurs d'énergie et d'eau. En substance, l'article 17 de la loi du Pays n° 2015-17 (texte en encadré) oblige désormais EDT et les régies d'eau (essentiellement) à communiquer chaque année au Pays la liste de tous leurs clients, avec leurs adresses, leur numéro de contrat et leur identifiant technique.

La mesure vise expressément à lutter contre la fraude à la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), appelée impôt foncier. Les données pourront ainsi être croisées avec les fichiers du fisc pour identifier les petits malins qui pensaient pouvoir ne pas payer. "L'objectif premier est de fiabiliser autant que possible la base d'imposition de l'impôt foncier", explique la vice-présidence. "Et il y a des précédents, la CPS doit communiquer chaque année à la direction des Impôts et des Contributions Publiques (DICP) la liste des praticiens et des actes qu'ils ont effectués."

Droit à la vie privée

Mais pour EDT, ainsi que plusieurs experts locaux de la loi Informatique et Liberté de 1978, un gouvernement ne peut pas exiger aussi simplement la liste des clients d'une entreprise privée. Pour éviter les abus, de nombreuses règles doivent être respectées, qui ont été ignorées par le texte. Un consultant juridique de la place doute de la légalité de certaines parties de la loi. Il manque en particulier un "avis motivé" de la CNIL, qui n'a même pas été consultée pour le projet de loi. Il faudrait également réussir à démontrer que l'objectif à atteindre est suffisamment important pour justifier cette mesure.

Car l'utilisation des bases de données incluant des informations personnelles est sévèrement encadrée par la loi Informatique et Liberté de 1978. Une loi qui s'applique en Polynésie. C'est la Commission nationale informatique et liberté (CNIL) qui est chargée de la faire respecter, et une jurisprudence très claire de la Commission interdisait dès 1982 à EDF-GDF de communiquer ses fichiers clients en entier au fisc, même si une loi pensait pouvoir l'y obliger (voir encadré). Le gouvernement de l'époque n'avait pas pu prouver que l'objectif en valait la chandelle.

Un écueil que la Vice-présidence pense éviter cette fois : "Cette loi fait suite à des démarches formalisées avec la CNIL depuis de nombreuses années, avec l'envoi d'agents de la DICP sur place pendant une semaine pour se former. On ne demande pas toutes les informations collectées par EDT, par exemple on ne demande pas les dates de naissance ou les adresses bancaires..."

Face à un risque de 5 ans de prison, EDT interroge la CNIL

Après le vote de la loi, des réunions ont eu lieu avec les communes et les distributeurs d'électricité, la dernière le 4 février. Mais il en est surtout ressorti des inquiétudes de la part des entreprises et des élus. Sans doute avaient-ils lu ce précédent article publié par Tahiti Infos en juillet 2015 intitulé "La Polynésie, Far West des données personnelles". Nous rappelions que le traitement des données personnelles inclus de nombreuses responsabilités pénales pour le directeur d'EDT et les maires des communes concernées : "Ne pas respecter la loi Informatique et Liberté, "y compris par négligence", c'est s'exposer à 5 ans de prison et 300 000 euros (35 millions de francs) d'amende" écrivions-nous…

Du coup il n'est pas étonnant que, lorsque nous avons demandé à EDT de réagir pour cet article, la seule réponse de l'entreprise a été : "Pas de commentaire pour le moment, nous attendons un avis que nous avons demandé à la CNIL." Une demande d'avis qui a fait bouger dans le ministère, puisqu'une source nous confiait mi-février que "le vice-président prépare un courrier de saisine de la CNIL pour faire confirmer la légalité de cette demande d'information, et rassurer EDT. (...) Ensuite, avec l'aval de la CNIL, EDT informera tous ses abonnés du traitement automatisé de leurs données. Ce sera écrit sur une de leurs factures, et cela permettra de respecter la loi." Ce proche collaborateur de Nuihau Laurey s'assure "confiant" sur le fait que la CNIL validera le texte.

Contactée par la rédaction, la CNIL assure étudier la question.


Le texte controversé : article 17 de la loi du Pays n° 2015-17

"Art. LP. 17.— Obligation de renseignements des sociétés produisant et distribuant de l'énergie électrique par voie de concession de service public et des communes.

Il est créé, après l'article LP. 443-4 du Code des impôts, les articles LP. 443-5 et LP . 443-6 ainsi rédigés :

Art. LP. 443-5.— Les sociétés distribuant de l'énergie électrique par voie de concession de service public en Polynésie française, doivent adresser chaque année à la direction des Impôts et des Contributions publiques la liste des contrats d'abonnements souscrits auprès d'elles. Cette liste doit notamment indiquer :
- le nom du client et sa qualité (propriétaire ou locataire) ;
- son adresse géographique et les références de sa boîte postale ;
- le numéro du contrat d'abonnement ; l'identifiant technique du compteur.

Art. LP. 443-6. — Les communes doivent adresser chaque année à la direction des Impôts et des Contributions publiques une liste indiquant le nom et l'adresse géographique des administrés redevables de la taxe ou de la redevance d'enlèvement des ordures ménagères ou de la redevance d'eau".

>>> Lire sur le journal officiel

La jurisprudence CNIL

la CNIL a été très claire sur la possibilité pour le fisc de collecter les fichiers d'un distributeur d'électricité, dès 1982 : "Lorsqu'un texte législatif autorise expressément des administrations, collectivités publiques ou organismes publics à demander communication pour des opérations de contrôle d'informations nominatives, EDF-GDF sont tenus de donner une suite favorable à ces demandes sous réserve du respect des conditions suivantes : que ces demandes soient ponctuelles et motivées ; qu'elles ne portent que sur des informations individuelles et nominatives ; et qu'elles n'aboutissent pas à la communication ou à la transmission de fichiers ou de sous-ensembles de fichiers, ou à l'organisation d'interconnections."

Du coup, la loi du Pays est en contradiction avec ces principes, sauf si la Cnil décide que la nécessité pour la communauté est si importante qu'une dérogation à ses principes doit être accordée. La même décision de la CNIL précisait que "sur les demandes d'accès à l'ensemble des informations contenues dans un traitement nominatif (…) il appartient à EDF-GDF de refuser la communication des informations qu'ils ont recueillies pour la tenue d'un fichier des abonnés, dans la mesure où aucune obligation légale ne leur impose."

Concernant l'obligation faite aux communes de communiquer au fisc polynésien la liste de leurs administrés payant la redevance sur l'eau, la CNIL a publié une fiche pratique sur son site internet qui est très claire : "À quelles conditions une collectivité locale peut-elle communiquer à des tiers des renseignements sur ses administrés ? (…) - la demande de communication doit viser des personnes nommément identifiées ou identifiables. Il est exclu qu'elle porte sur l'intégralité d'un fichier".

Qu'est-ce que l'impôt foncier ?

La taxe foncière sur les propriétés bâties, appelée également "impôt foncier" dans les textes de l'administration, est due pour l’année entière par le propriétaire du bien au 1er janvier. Elle est égale à 10 % de la valeur locative annuelle, majorés des centimes additionnels votés par la commune où se situe l’immeuble (jusqu'à 50% supplémentaires).

La valeur locative est déterminée de manière différente si le bien est loué (on prend alors le montant des loyers diminué de 25 % pour les non meublés et de 30 % pour les meublés) ou s'il n'est pas loué. Dans ce dernier cas, qui concerne la vaste majorité des familles polynésiennes qui sont propriétaires de leur maison, ça se complique. La direction des Impôts et des Contributions publiques calcule un loyer estimé qu'elle diminue de 25 %. Pour son calcul elle a deux méthodes au choix qui peuvent donner des résultats très différents : soit comparer le bien avec un autre bien similaire loué dans la commune, soit déterminer la valeur du bien et y appliquer un taux fixé par la loi (4 % à Tahiti par exemple).

Pour les entreprises uniquement, en cas de vacance d'un bien ou d'un arrêt temporaire de l'activité, le contribuable peut demander une remise sur son impôt foncier.

Les biens de l’État, du Pays, des communes et des associations d'utilité publique sont exemptées de l'impôt foncier de manière permanente, tout comme les lieux de culte, les écoles, les marchés municipaux, les habitations principales valant moins de 500 000 Fcfp et certaines infrastructures agricoles.


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Lundi 29 Février 2016 à 18:11 | Lu 5487 fois