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Immobilier : Discorde sur les hauteurs de la Mission


Les membres de l'association 'A ti'a no te aru disent 'non' au projet de résidence Aloma.
Les membres de l'association 'A ti'a no te aru disent 'non' au projet de résidence Aloma.
Tahiti, le 24 août 2023 - La future Résidence Aloma, située sur les hauteurs de la Mission, divise. Si le projet immobilier a bel et bien été approuvé par la mairie de Papeete et la Direction de la construction et de l'aménagement (DCA), l'association 'A ti'a no te aru condamne certaines entorses au Plan général d'aménagement (PGA). Entre projet immobilier et protection de l'environnement, le bras de fer a commencé.
 
Le plan général d'aménagement (PGA) de la commune de Papeete joue-t-il toujours son rôle ? C'est la question soulevée par l'association 'A ti'a no te aru, en charge de la protection des forêts, suite à l'obtention du permis de construire par le promoteur immobilier Imagine Promotion sur une zone pourtant classée “naturelle de type NB”. Et pour cause, le PGA stipule que la zone concernée est non-équipée, et peut recevoir uniquement de l'habitat individuel, ou éventuellement collectif, à caractère diffus. Et c'est là que les ennuis commencent. Pour l'association 'A ti'a no te aru, ces termes ont été dévoyés de leur sens : “Des habitats individuels ou collectifs à caractère diffus ? Ça veut bien dire ce que ça veut dire ! On est loin des six bâtiments et 98 biens immobiliers proposés par Imagine Promotion !”, remarque le président de l'association 'A ti'a no te aru, Terava Teihotaata, au micro de Tahiti Infos.
 
En effet, la future résidence Aloma promet 98 appartements de standing, pour 172 places de parking, sur une surface de 9 031 m2. Du côté du promoteur immobilier, on nuance : “Nous avons obtenu le permis de construire après avoir réalisé une étude d'impact claire et transparente. Si nous avons pu l'obtenir, c'est que nous sommes dans les règles”, se défend le promoteur immobilier Franck Zermati. Mais ce qui pose problème pour l'association 'A ti'a no te aru, c'est le contexte dans lequel ce permis fut octroyé : “À l'origine du projet, le haut-commissaire en personne avait donné un avis défavorable. Et une fois que l'affaire s'est retrouvée au tribunal, il s'est retiré. Pourquoi ?”, se demande Terava Teihotaata. “La Direction de l'environnement avait également émis un avis défavorable. Ce qui m'amène à poser cette question : À quoi servent les différents services de ce Pays si leur avis n'est pas pris en compte ?”
 
Le faible poids de l'autorité environnementale
 
Du côté de la Direction de l’environnement (Diren), on s'explique : “Effectivement, lorsque le dossier nous a été envoyé la première fois, nous avons émis un avis défavorable car le projet ne respectait pas certaines normes, notamment en termes de gestion des eaux pluviales ou de l'assainissement. En revanche, depuis, les modifications ont été apportées. Et selon ces critères précis, le projet est désormais dans les normes.” Pour autant, la Diren le précise : “Il s'agit ici de deux interprétations du PGA qui s'opposent. Et au final, c'est la mairie et la Direction de la construction et de l'aménagement qui décident. À la Diren, nous n'avons pas l'autorité pour dire à la commune ce qu'elle doit faire ou décider en termes d'aménagement.” Si l'argument tient, il demeure tout de même regrettable que le champ d'action d'un tel établissement public se trouve si limité.
 
D'autant que pour l'association 'A ti'a no te aru, il est bien question ici d'une atteinte à l'environnement et aux règles en vigueur : “Permis de construire ou pas, des centaines d'arbres ont été abattus, sans permis accordés de la Direction de l'agriculture. Nous rappelons au promoteur immobilier qu'il faut un permis pour chaque arbre à abattre !” Mais l'association regrette qu'à l'heure actuelle, les condamnations pour ce genre de délits soient minimes : “Aujourd'hui, c'est 3 000 francs d'amende pour avoir abattu un arbre sans autorisation. Nous savons que c'est dérisoire pour ce genre d'entreprise, mais nous espérons que le Pays ouvrira les yeux sur l'urgence de réformer cette loi qui date du siècle dernier. En Nouvelle Zélande, c'est 10 000 dollars d'amende ! Il faudrait peut-être s'en inspirer”, suggère Terava Teihotaata. Pour Franck Zermati, les travaux n’ont causé aucune déforestation : “Il faut rétablir la vérité : ici, il n'y avait pas de forêt. Il y avait trois ou quatre maisons et quelques arbres, c'est tout.” Mais ce que le promoteur immobilier ne dit pas, c'est qu'il s'est entendu avec les propriétaires terriens d'à côté, en l'occurrence l'église protestante mā'ohi, pour abattre tous les arbres obstruant la vue sur la ville de Papeete. “Ici, il y avait des arbres centenaires ! Et on a détruit cette nature pour que quelques privilégiés puissent avoir une vue !”, s'offusque l'association. Du côté de la Diren, on relativise : “Hélas, il ne s'agit pas d'espèces rares protégées.”
 
Un quartier, deux mondes
 
Mais si l'environnement est le premier désaccord entre les deux parties, il n'est pas le seul. En effet, l'aspect social et sociétal du projet divise tout  autant. “Nous ne sommes pas contre la construction d'immeubles, nous disons ‘non’ à des projets démesurés qui ne profiteront même pas à la population locale. Il s'agit ici d'une résidence de standing, dont le prix des appartements est et sera toujours hors de portée de mes enfants”, observe le président de l'association 'A ti'a no te aru. Pour sa défense, Franck Zermati assure pourtant que “les prix pratiqués par Imagine Promotion sont les plus bas du marché aujourd'hui.” Un marché, qui hélas, échappe complètement aux moyens de nombre de Polynésiens. De plus, l'association s'indigne de l'incohérence entre le type de logement proposé et l'identité du quartier. En effet, sur les hauteurs de la Mission, on trouve essentiellement des logements sociaux, bien loin du standing recherché par la future Résidence Aloma. “Ce sont deux mondes complètement différents qui vont se faire face”, estime Temana Chang, résident du quartier, pour qui le projet n'a jamais tenu compte du voisinage : “Il n'y a pas eu de consultation de la population. Tout ce à quoi nous avons eu droit, c'est une petite feuille A4 affiché dans le quartier plus bas. Rendez-vous compte, certains habitants du quartier ont réalisé seulement hier qu'une résidence aller se construire ici ! Ils ne voulaient pas faire de bruit, sûrement.” Pour le promoteur immobilier, au contraire, la mixité représente l'avenir : “Il ne faut pas encourager la ghettoïsation, en plaçant les uns d'un côté et les autres de l'autre. Il faut vivre ensemble.” 
 
Si l'association 'A ti'a no te aru a bien conscience aujourd'hui qu'elle n'empêchera pas le projet de résidence de se faire, elle tient à avertir les différents pouvoirs publics que désormais elle prendra place à la table des discussions.

Pour dégager le panorama, le promoteur n'a pas hésité à demander à ses voisins de procéder à quelques abattages. .
Pour dégager le panorama, le promoteur n'a pas hésité à demander à ses voisins de procéder à quelques abattages. .

Rédigé par Wendy Cowan le Jeudi 24 Août 2023 à 19:11 | Lu 4044 fois