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Immersion littéraire au cœur de la Nouvelle-Zélande contemporaine


PAPEETE, le 18 juillet 2016 - Faisant figure de pionnière dans la littérature maorie, grande romancière de fiction, l’écrivain Patricia Grace rend hommage au célèbre poète maori Hone Tuwhare dans ce recueil de nouvelles, Des petits trous dans le silence. Présentant une multiplicité de voix maories, sous les nombreux aspects de leur quotidien, elle a ici choisit un thème pour le moins mélancolique : la solitude, et le silence qui l’accompagne.

Une première publication de la version française de ce recueil de 21 nouvelles, (après une publication originale en 2006 en Nouvelle-Zélande) permet une nouvelle fois de savourer le style plutôt direct, mais raffiné de Patricia Grace. Le choix du format "nouvelles" (entre 2 à 22 pages), courant chez l'auteur, met d'autant plus en avant sa maîtrise littéraire bilingue.

Avec une plume parfois dure, toujours authentique, Patricia Grace apporte des témoignages sur les liens qui unissent les hommes sur la terre de Aotearoa, sur les émotions qui guident chaque rencontre. Dans Ligne à ligne par exemple, les personnages sont confrontés à l’isolement social, le repli sur soi, la mélancolie, la frustration... Comme cette veuve d’un certain âge, au quotidien nostalgique, solitaire dans sa routine domestique. Jusqu’à ce que des étoiles viennent se déverser dans sa chambre à l’aube d’une belle journée.

D’autres ont la chance de vivre mieux lotis : même dans un cadre simplifié au strict minimum, les menus plaisirs sont pourtant biens présents et d’autant plus forts. Ces expériences de vie invitent au partage, au désenclavement des individus, à la recherche d’un entourage de confiance, emphatique et altruiste. Dans La petite rue, Sandwich grillé et autres nouvelles sur le banc, une femme (que l’on retrouve dans plusieurs nouvelles), seule, assise sur un banc à l’angle d’une petite rue, observe les passants. Elle écoute les bribes de conversations de-ci, de-là. Mais surtout, elle est témoin de retrouvailles émouvantes qui (lui) apportent du baume au cœur...

"Il pouvait (...) chanter à s'en rendre invisible"


L’érudition de Patricia Grace se traduit par sa capacité à mêler les cultures entre elles au cours de scènes de vie, instants volés sur quelques pages, en quelques lignes. Un habile mélange entre mythologie maorie, fiction et récit contemporain qui décrit une société néo-zélandaise sincère, vivante et actuelle. "Tiens, il pouvait changer de forme par exemple, c’était Tawhaki l’homme une minute et Tawhaki l’oiseau l’instant d’après. Ou il traversait les générations en une fraction de seconde, passant d’un corps de jeune homme à celui d’un vieux zigue tout ratatiné. Il pouvait franchir les océans en rasant la crête des vagues ou chanter à s’en rendre invisible." (cf. Histoire éclair).

Son talent se révèle aussi dans sa constante pratique d’un mélange des genres, de registres, de tons et de cultures, sublimé par la croisée des langues qui s’entremêlent selon les nouvelles, à travers les époques. D’où la précision du travail de traduction réalisé par Anne Magnan-Park, qui met en lumière avec brio les subtilités de registres et les figures de style, souvent utilisées par l’auteur qui joue avec les tournures du vocabulaire et des expressions populaires maories, reprises dans un lexique en fin d’ouvrage. Dans Wendel, lors de la dernière nuit de préparation avant les cérémonies sur le marae de Tainui, ce dialogue :

"Comment tu fais ? je lui ai demandé un jour."

"Tu dois te concentrer très fort, il a dit. Ça prend du temps. Tu te fais de plus en plus mince et après un moment, quand tu es devenu vraiment très mince, tu t’éloignes de toi-même et tu n’es plus là.
J’ai parfois pensé que ses paroles étaient plus rusées que sa ruse, mais je l’ai cru quand même
".

La réalité fataliste dépassée

Plus qu’une réflexion sur l’évolution de nos sociétés océaniennes (en l’occurrence, de la Nouvelle-Zélande moderne), l’auteur nous fait vivre des aventures dans lesquelles on ne peut que se retrouver, s’identifier et se sentir concerné. Au-delà du mélodrame, la réalité fataliste est dépassée -parfois- par des alternatives positives, témoignage sincère que malgré la solitude, la tristesse, la souffrance et autres afflictions du quotidien qui frappent les personnages, l’optimiste et la tolérance l’emportent toujours dans le cœur des justes.

Des Petits trous dans le silence est une "célébration du silence qui sculpte et dilue délicatement la langue, comme la pluie nouant avec le poète", selon Anne Magnan-Park. Il offre un partage de rencontres qui viennent rompre la solitude et briser le silence des différents protagonistes, au fur et à mesure que s’enchaînent les histoires.

Au Vent des îles

Une auteure maorie moderne à la plume engagée

Récompensée en 2008 par le prix Neustadt International Prize for Literature (équivalent américain du Prix Nobel de Littérature), Patricia Grace se distingue par son engagement et son rôle de "figure clé du monde contemporain de la littérature en Nouvelle-Zélande et tout particulièrement, dans la littérature maorie en anglais". Mais au-delà des nombreux prix littéraires et récompenses qui ont jalonné sa carrière d’écrivain, Patricia Grace reste une auteure qui met l’accent sur l’état de la société moderne maorie et néo-zélandaise, sur l’évolution culturelle d’un peuple aux origines métissées. Et ce, au fil de chacune des histoires de ce recueil ainsi qu’à de nombreuses reprises dans son œuvre littéraire.


Extrait

« Eben aimait les voyages en autobus. Il sourit de son sourire de boîte à lettres et se mit à se balancer d’avant en arrière sur son siège pendant que l’autobus s’ébranlait. Pani voyait les petites étincelles briller dans ses yeux. Les étincelles et son sourire de boîte à lettres étaient devenus sa raison de vivre. »

Rédigé par Au Vent des îles le Lundi 18 Juillet 2016 à 10:06 | Lu 1170 fois