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“Il y a une volonté d'orienter la défiscalisation sur la transition énergétique”


Tahiti, le 22 février 2023 – Le président de la Fédération des entreprises d'outre-mer et ancien ministre des Outre-mer, Hervé Mariton, va terminer dix jours de mission en Polynésie française marqués par un séminaire consacré à la transition énergétique. Il répond aux questions de Tahiti Infos sur les enjeux de la décarbonation des territoires ultra-marins, les leviers et les actions à porter pour faire avancer les initiatives privées des entreprises polynésiennes et ultra-marines dans ce domaine.
 

 
Vous avez lancé cette semaine en Polynésie le premier séminaire d'un cycle consacré à la transition énergétique dans les outre-mer, pourquoi cette démarche de la Fedom ?

“Nous avons initié cette démarche, un, parce que la transition énergétique est un enjeu de société et un enjeu économique majeur qui s'impose à nous, qu'il est important de traiter, de réussir et non pas de subir. Deux, parce que dans cette transition énergétique, il faut que les économies des outre-mer soient pleinement motrice et non pas en paragraphe annexe d'une préoccupation mondiale ou nationale. Les enjeux insulaires des transitions écologique et énergétique ne sont pas un enjeu annexe de l'ordre du jour de la planète. Et puis, il y a une troisième dimension, c'est que c'est un enjeu de transformation des entreprises. C’est-à-dire que la transformation des entreprises est un enjeu en tant que tel, mais c'est aussi un vecteur puissant pour que les entreprises bougent et s'interrogent sur leur avenir. On est sur des systèmes économiques qui sont en mouvement, avec des entreprises innovantes et un développement de la tech dans nos régions… Et justement, la transition énergétique, c'est aussi une manière de développer l'économie marchande sur des régions où elle n'est pas à ce point développée. On est sur un nouveau domaine d'activité et d'opportunités. Enfin, la transition énergétique est un sujet porteur qui peut intéresser les jeunes. Et donc c'est un domaine d'affaires qui peut encourager des jeunes du pays à se former, à rester ou à revenir. Dans des territoires qui sont en déclins démographiques, comme les Antilles ou la Nouvelle-Calédonie, ou qui ont du mal à garder des jeunes sur place, on est là sur des domaines attractifs.”
 
Est-ce que les enjeux de la décarbonation sont sensiblement les mêmes dans les différents territoires d'outre-mer et est-ce que votre démarche peut faire émerger des solutions communes aux territoires d'outre-mer ?

“Une partie de notre approche consiste d'abord à respecter les spécificités des collectivités locales, y compris dans les compétences. Ici, l'énergie est de la compétence du Pays. Mais l'État ne doit pas être indifférent, parce que ces territoires peuvent eux-mêmes apporter leur pierre à la transition énergétique nationale globale. Le Fonds Macron démontre que l'État n'est pas indifférent, mais au-delà c'est une affirmation globale qu'on souhaite avoir. Ensuite, il y a certes des réponses spécifiques mais il nous paraît aussi important d'identifier un certain nombre de problématiques et d'enjeux communs, ainsi que des réponses communes. Je pense d'ailleurs que c'est prudent d'essayer de mobiliser un certain nombre d'outils communs sur la transition énergétique, parce que quelle que soit la capacité de l'État à gérer des attentions et des actions absolument différentes et indépendantes d'un territoire à l'autre, elle ne sera jamais au rendez-vous. Vous n'aurez jamais les troupes pour gérer ça dans l'infinie subtilité nécessaire. Ce n'est pas une question de bonne volonté, c'est une question de ressources humaines.”
 
Vous dites qu'il y a quand même des spécificités communes, notamment sur la dépendance de ces territoires aux hydrocarbures ?

“Il y a un élément qui est assez évident et très important et qui souligne l'intensité du sujet ici. C'est qu'on est quand même en effet sur des territoires très carbonés. Il faut démarrer par un constat d'humilité, c'est qu'on est sur des économies et des territoires dont l'empreinte carbone est très élevée. C'est une donnée très objective, liée à l'économie et à la géographie, mais qui justifie des réponses attentives. C'est la question du niveau d'importation, qu'il s'agisse de l'importation du produit alimentaire ou de l'importation du tourisme. Quand on parle de tourisme durable, il faut savoir comment la climatisation de l'hôtel est établie, comment est-ce qu'on a des avions qui consomment moins de carburants ou un carburant moins polluant. Ce sont des choses essentielles ici.”

“Il y a des initiatives intéressantes qui ont atteint ici un plus grand degré de maturité”


Est-ce qu'au bout de cette démarche vous avez déjà identifié des leviers que vous souhaitez actionner. On pense à la défiscalisation pour les initiatives permettant la décarbonation notamment ?

“Là-dessus, les démarches de la Fedom et de l'État se rejoignent. Quand le Président Macron est venu ici en juillet 2021, il m'avait fait l'honneur de m'inviter dans sa délégation. J'avais participé à la préparation de la séquence économie et il avait insisté sur les vertus de la défiscalisation. Il y a une volonté aujourd'hui d'orienter la défiscalisation en particulier sur les enjeux de la transition énergétique et de la transition écologique. On ne connaît pas le calendrier exact de cette évolution de l'État, mais ça peut venir très vite et nous préférons prévenir que guérir. Donc à la fois, on est très heureux que l'État nous dise que la transition énergétique l'intéresse, simplement il faut que le ciblage soit bien fait. Donc tout ce qu'on acquière en éléments communs, notamment à l'occasion de ces séminaires et des rencontres lors de ces missions, sert à identifier les opportunités et les écueils à éviter.”
 
Qu'il s'agisse du Swac, de l'énergie thermique des mers, des transports maritimes, de la modification du réseau électrique… On a l'impression que le secteur privé fourmille de projets, mais qu'il attend une planification du secteur public ou des évolutions réglementaires pour pouvoir avancer ?

“J'ai l'impression que le public et le privé travaillent assez bien ensemble. Je l'ai dit hier en analysant la PPE (Programmation pluriannuelle de l'énergie), la partie réseaux est par exemple très travaillée par rapport à d'autres démarches où elle l'est moins qu'ici. Les difficultés sur le réseau ne sont pas masquées. J'ai d'ailleurs trouvé que les choses étaient dites. Les gens ne se racontent pas de belles histoires pour annoncer des chiffres. Hier, j'ai trouvé plutôt transparent que les représentants du Pays disent qu'il y a certes l'annonce de 75% d'EnR en 2030, mais qu'en réalité ce n'est pas si facile d'y arriver. Sur la mobilité électrique, sur l'incinération… Il n'y a pas la même réglementation qu'en métropole, donc il faut faire avancer les choses. L'avantage, c'est que la feuille est en partie blanche. L'inconvénient, c'est qu'il faut fixer des règles et donc savoir lesquelles on va mettre. Et ça c'est aux acteurs locaux de le faire avec le Pays, nous n'avons pas à interférer là-dessus. Ensuite, dans les domaines que vous avez cités, la navigation ou la climatisation, il y a un certain nombre d'initiatives intéressantes qui, par rapport à d'autres territoires, ont certainement atteint ici un plus grand degré de maturité, mais qui n'en sont pas encore à la phase industrielle. Et là, pour le coup, je pense que nous avons à travailler avec des acteurs locaux et nationaux pour savoir quelle est l'ingénierie financière et quelles sont les actions publiques ou privées qui peuvent être menées pour ça et sur quels délais. Ce n'est pas très original, mais on voit bien pour le Swac par exemple que le passage à un niveau supérieur ne se fait pas toujours très rapidement. Donc, il y a du monde à bousculer là-dessus.
 
Vous avez déjà identifié des freins à la concrétisation de ces projets de transitions ?

“Il faut, par exemple, que la Polynésie et les entreprises polynésiennes mobilisent pleinement les fonds nationaux auxquels ils sont éligibles. Je prends deux exemples. J'ai évoqué hier “France 2030”. S'il y a de l'innovation, il faut y aller. Et j'ai écouté attentivement le haut-commissaire, il a rappelé que le territoire est éligible au Fonds vert. Il faut, à mon avis, articuler le Fonds Macron avec d'autres dispositifs pour le mobiliser sur des projets qui ne seraient pas éligibles au Fonds vert par exemple.”
 
Plus généralement, les pouvoirs publics ont exhorté hier les entreprises locales à faire preuve d'initiative pour investir sans attendre l'impulsion ou l'aide du secteur public. Est-ce que ce vœu est réaliste dans un contexte insulaire où l'initiative privée est quasiment toujours soutenue par des dispositifs d'incitations fiscale, de surcroit dans un secteur aussi transversal que l'énergie ?

“Je pense que vous savez que je suis plutôt libéral de convictions et d'itinéraire. Mais j'ai commencé ma carrière administrative il y a fort longtemps dans le domaine de l'énergie. Et l'intervention de la puissance publique dans le domaine de l'énergie, c'est quelque chose qui se fait partout y compris aux États-Unis et au Royaume-Uni. Il y a des régulations qui sont nécessaires. Il y a des monopoles de fait, comme celui du transport d'électricité. Donc, il y a une intervention publique nécessairement et il y a d'ailleurs un enjeu d'intérêt public dans la transition énergétique. Donc, est-ce qu'il faut imaginer ce secteur sans aucune intervention et aucune aide publique, la réponse est non. Ensuite, il faut fixer le curseur.”

 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Jeudi 23 Février 2023 à 14:25 | Lu 1617 fois