Tahiti, le 3 mars 2024 – Éminent psychiatre et président de la Ligue française pour la santé mentale, le docteur Roland Coutanceau s'est entretenu vendredi avec les psychiatres du CHPF pour évoquer la question de l'expertise et plus précisément de l'abolition ou l'altération du discernement. Dans un entretien accordé à Tahiti Infos, il revient sur cette question de l'expertise et sur la différence entre les troubles de la personnalité et la maladie mentale.
Vous vous êtes entretenu, vendredi, avec les psychiatres de l’hôpital de Taaone, quel était l'objet de cette rencontre ?
“Ici, en Polynésie, comme ailleurs en France, on manque d'experts pour le bon fonctionnement de la justice. Il était donc intéressant qu'il y ait une rencontre tripartite entre le procureur général – qui voudrait susciter des vocations –, les psychiatres hospitaliers du public, et moi-même, afin d'essayer de voir dans quelles conditions nous pourrions faire en sorte que des psychiatres montent à bord pour faire des expertises simples qui sont utiles à la justice. L'objectif était donc de présenter de façon simple et concrète ce qu'est une expertise psychiatrique, la définir et la manière de rechercher si quelqu'un présente une affection psychiatrique. Parenthèse : dans la plupart des cas, les gens qui commettent des actes transgressifs ne sont pas des malades mentaux et l'expertise permet alors d'éliminer la maladie mentale. C'est donc une expertise à l'issue de laquelle on n'aura, à 90 voire 95% des cas, pas de maladie mentale. Mais elle est nécessaire car dans le droit des pays démocratiques, on a choisi de ne pas juger les fous, de tenir compte de la maladie mentale. Dans un second cas minoritaire – 5% des gens environ –, il y a des maladies mentales comme la schizophrénie (1% de la population), la psychose paranoïaque, les délires chroniques et la bipolarité qui a été popularisée. Dans ces cas-là, le psychiatre, qui n'est pas encore expert, doit apprendre comment on propose l'abolition ou l'altération du discernement avec l'irresponsabilité pénale qui est un terme désormais reconnu.”
Certaines personnes présentent des troubles de la personnalité ou du comportement mais elles ne sont pas pour autant atteintes de maladies mentales. Quelle est la différence ?
“Cela est tout de suite très différents pour un psychiatre. Les maladies mentales sont balisées, c'est presque une science dure. La schizophrénie, par exemple, dure toute la vie même s'il y a des formes ‘light’ et que l'on a des neuroleptiques qui stabilisent les gens. Mais c'est un traitement à vie. La bipolarité se traite et se stabilise aussi très bien avec des thymorégulateurs. Dans ce type de maladie, il y a une continuité de la prise en charge. En revanche, en matière de troubles de la personnalité, on parle de psychopathie, de caractère paranoïaque, d'état borderline ou du fameux pervers narcissique. Or, le commun des mortels se dit que cette personne ‘a un grain’ mais ce n'est pas une maladie mentale. C'est un trouble du caractère au sens populaire du terme et l'on ne discutera pas abolition ou altération du discernement au sujet d'une personne qui souffre de ces troubles de la personnalité. Les maladies mentales et les troubles du caractère sont vraiment deux choses très différentes.”
Quelle place l'expertise tient-elle dans le domaine de la psychiatrie ?
“Historiquement, les psychiatres hospitaliers étaient associés à la psychiatrie légale car la psychiatrie publique prend en charge les personnes atteintes de maladie mentale ou de troubles de la personnalité. Les grands psychiatres des XIXe et XXe siècles étaient des aliénistes qui traitaient la question de l'expertise, des spécialistes des troubles du comportement et des malades mentaux. C'est le cœur de ce métier et lors de cette rencontre, le but était de montrer très simplement comment aller d'un diagnostic psychiatrique à l'abolition ou l'altération du discernement.”
Lorsqu'ils réalisent l'expertise d'une personne mise en cause sur le plan judiciaire, comment les psychiatres procèdent-ils pour évaluer le risque de récidive ?
“L'expertise simple, c'est quand les psychiatres ou les psychologues font leur travail en décrivant l'homme et la justice se débrouille avec cette expertise. Le second niveau, c'est analyser un acte. J'appelle cela de l'analyse comportementale ou de la psychocriminologie. Et il y a un troisième niveau qui est relatif à l'analyse du témoignage et de la dangerosité. La dangerosité psychiatrique, c'est quand on juge que quelqu'un doit être hospitalisé car il a des troubles mentaux. La dangerosité criminologique, c'est d'évaluer le risque de réitération d'une personne qui n'est en aucun cas malade mentale. Dans ce cas, ce n'est pas de la psychiatrie pure mais de l'analyse de comportement, de la psychocriminologie. Au mieux, nous pouvons faire une analyse probabiliste dans le domaine du risque. La vérité n'est pas absolue.”
Le taux de violences sexuelles commises sur des mineurs est très élevé en Polynésie, est-ce un phénomène qui vous a interpellé ?
“J'ai été frappé à Tatutu du nombre de personnes qui ont commis des dérapages incestueux. Il n'y a aucune raison clinique, il faut donc chercher des éléments sociologiques ou socioculturels. La promiscuité pourrait en être un car une personne peu structurée peut déraper dans ce contexte. Aujourd'hui, on est obsédé par la pédophilie mais il y a plus d'hommes – qui s'intéressent même aux femmes – qui ont une potentialité de voir une petite fille comme une femme. Il y a chez l'être humain une potentialité de sexualiser la relation avec l'enfant.”
Vous vous êtes entretenu, vendredi, avec les psychiatres de l’hôpital de Taaone, quel était l'objet de cette rencontre ?
“Ici, en Polynésie, comme ailleurs en France, on manque d'experts pour le bon fonctionnement de la justice. Il était donc intéressant qu'il y ait une rencontre tripartite entre le procureur général – qui voudrait susciter des vocations –, les psychiatres hospitaliers du public, et moi-même, afin d'essayer de voir dans quelles conditions nous pourrions faire en sorte que des psychiatres montent à bord pour faire des expertises simples qui sont utiles à la justice. L'objectif était donc de présenter de façon simple et concrète ce qu'est une expertise psychiatrique, la définir et la manière de rechercher si quelqu'un présente une affection psychiatrique. Parenthèse : dans la plupart des cas, les gens qui commettent des actes transgressifs ne sont pas des malades mentaux et l'expertise permet alors d'éliminer la maladie mentale. C'est donc une expertise à l'issue de laquelle on n'aura, à 90 voire 95% des cas, pas de maladie mentale. Mais elle est nécessaire car dans le droit des pays démocratiques, on a choisi de ne pas juger les fous, de tenir compte de la maladie mentale. Dans un second cas minoritaire – 5% des gens environ –, il y a des maladies mentales comme la schizophrénie (1% de la population), la psychose paranoïaque, les délires chroniques et la bipolarité qui a été popularisée. Dans ces cas-là, le psychiatre, qui n'est pas encore expert, doit apprendre comment on propose l'abolition ou l'altération du discernement avec l'irresponsabilité pénale qui est un terme désormais reconnu.”
Certaines personnes présentent des troubles de la personnalité ou du comportement mais elles ne sont pas pour autant atteintes de maladies mentales. Quelle est la différence ?
“Cela est tout de suite très différents pour un psychiatre. Les maladies mentales sont balisées, c'est presque une science dure. La schizophrénie, par exemple, dure toute la vie même s'il y a des formes ‘light’ et que l'on a des neuroleptiques qui stabilisent les gens. Mais c'est un traitement à vie. La bipolarité se traite et se stabilise aussi très bien avec des thymorégulateurs. Dans ce type de maladie, il y a une continuité de la prise en charge. En revanche, en matière de troubles de la personnalité, on parle de psychopathie, de caractère paranoïaque, d'état borderline ou du fameux pervers narcissique. Or, le commun des mortels se dit que cette personne ‘a un grain’ mais ce n'est pas une maladie mentale. C'est un trouble du caractère au sens populaire du terme et l'on ne discutera pas abolition ou altération du discernement au sujet d'une personne qui souffre de ces troubles de la personnalité. Les maladies mentales et les troubles du caractère sont vraiment deux choses très différentes.”
Quelle place l'expertise tient-elle dans le domaine de la psychiatrie ?
“Historiquement, les psychiatres hospitaliers étaient associés à la psychiatrie légale car la psychiatrie publique prend en charge les personnes atteintes de maladie mentale ou de troubles de la personnalité. Les grands psychiatres des XIXe et XXe siècles étaient des aliénistes qui traitaient la question de l'expertise, des spécialistes des troubles du comportement et des malades mentaux. C'est le cœur de ce métier et lors de cette rencontre, le but était de montrer très simplement comment aller d'un diagnostic psychiatrique à l'abolition ou l'altération du discernement.”
Lorsqu'ils réalisent l'expertise d'une personne mise en cause sur le plan judiciaire, comment les psychiatres procèdent-ils pour évaluer le risque de récidive ?
“L'expertise simple, c'est quand les psychiatres ou les psychologues font leur travail en décrivant l'homme et la justice se débrouille avec cette expertise. Le second niveau, c'est analyser un acte. J'appelle cela de l'analyse comportementale ou de la psychocriminologie. Et il y a un troisième niveau qui est relatif à l'analyse du témoignage et de la dangerosité. La dangerosité psychiatrique, c'est quand on juge que quelqu'un doit être hospitalisé car il a des troubles mentaux. La dangerosité criminologique, c'est d'évaluer le risque de réitération d'une personne qui n'est en aucun cas malade mentale. Dans ce cas, ce n'est pas de la psychiatrie pure mais de l'analyse de comportement, de la psychocriminologie. Au mieux, nous pouvons faire une analyse probabiliste dans le domaine du risque. La vérité n'est pas absolue.”
Le taux de violences sexuelles commises sur des mineurs est très élevé en Polynésie, est-ce un phénomène qui vous a interpellé ?
“J'ai été frappé à Tatutu du nombre de personnes qui ont commis des dérapages incestueux. Il n'y a aucune raison clinique, il faut donc chercher des éléments sociologiques ou socioculturels. La promiscuité pourrait en être un car une personne peu structurée peut déraper dans ce contexte. Aujourd'hui, on est obsédé par la pédophilie mais il y a plus d'hommes – qui s'intéressent même aux femmes – qui ont une potentialité de voir une petite fille comme une femme. Il y a chez l'être humain une potentialité de sexualiser la relation avec l'enfant.”