Tahiti Infos

“Il est important de nous réapproprier notre histoire”


Moorea, le 22 janvier 2024 - En tant que doctorante à l’université d’East Anglia en Angleterre et au British Museum, Mililani Ganivet mène depuis le mois d’octobre dernier des recherches sur la documentation de la collection polynésienne de la London Missionary Society, actuellement conservée au British Museum. Elle a présenté les premiers résultats de ses recherches lors de deux conférences organisées vendredi au Fare Tauhiti Nui et samedi sur le site Pererau à Moorea. Une autre conférence est prévue ce mardi 23 janvier à 17 h 30 à l’Université de la Polynésie française. Tahiti Infos est allé à la rencontre de Mililani pour en savoir davantage sur ses recherches.  

Mililani, pourriez-vous nous dire pourquoi la thèse sur laquelle vous travaillez a été initiée ?
“Cette thèse répond très certainement à un besoin de l’institution du British Museum de documenter ses collections, de les comprendre plus en profondeur afin peut-être de les valoriser davantage. Bien que l’origine de la provenance de certains objets soit bien connue, ce n’est pas le cas pour tous. En conséquence, dans le cadre d’un partenariat entre le British Museum et l’université d’East Anglia, il a été décidé que la collection polynésienne méritait une étude approfondie. C’est ainsi qu’un projet de recherche a été lancé.”  
 
Existe-t-il dans la collection de la London Missionary Society (LMS) au British Museum beaucoup d’objets provenant des autres pays, notamment du Pacifique ?
“Les missionnaires de la LMS ont commencé à collecter des objets ici. Ensuite, ils sont partis évangéliser dans les îles Hawaii, aux îles Cook ainsi que dans d’autres pays de l’Océanie et ont progressivement rassemblé d’autres objets. Une partie de cette collection est entreposée au British Museum. Je précise une partie car d’autres objets ont abouti dans des collections privées, d’autres musées au Royaume-Uni et ailleurs. Ainsi, la collection comprend des objets provenant de la Polynésie, des îles Hawaii, des îles Cook et des Samoa, il me semble, étant donné que les missionnaires de la LMS ont poursuivi leur évangélisation vers l’ouest. Cependant, la collection polynésienne est celle sur laquelle je travaille.” 
 
Quelles ont été les premières collectes de la LMS en Polynésie française ? 
“Il existe une trace du premier objet qui aurait été collecté pour la London Missionary Society dès 1799 avec le retour du Duff, grâce à une lettre retrouvée dans les archives de Thomas Haws, l’un des directeurs de la London Missionary Society. Cette lettre mentionne précisément un objet collecté par la LMS. Bien que de nombreux objets aient été collectés, ce sont surtout les dons stratégiques du roi Pomare II qui ont contribué à changer la politique de collecte de la LMS. Ils ont commencé à envisager des collectes massives pour obtenir des preuves de la conversion des Polynésiens. Ces objets ont ensuite été exposés au musée de la LMS à Londres. À l’état actuel de mes recherches, c’est ce que j’ai trouvé.”
 
Y a-t-il eu également beaucoup de collectes qui se sont faites en dehors de la relation entre Pomare II et la LMS ?
“Oui, il y en a eu d’autres, mais cet exemple est celui qui m’a le plus frappée et celui qui est le plus traçable dans la collection de la LMS au British Museum ainsi que dans ses archives (de la LMS, NDLR). Pomare II a joué un rôle important dans la redéfinition de la collecte de la LMS, mais les collectes se faisaient à l’initiative de cette dernière. La LMS s’est dit alors que c’était important puisqu’ils avaient des preuves tangibles de la conversion des Polynésiens, et que cela pouvait leur servir à récolter de l’argent pour continuer à financer leurs missions dans le Pacifique et ailleurs.”
 
Pourriez-vous nous parler de quelques recherches qui vous ont le plus marquée au sein du British Museum ?
“Ce qui m’a marquée en premier, c’est l’abondance de to’o dans la collection. Savoir pourquoi tant de to’o est une grande question à laquelle je cherche des réponses. J’ai partiellement trouvé la réponse avec les to’o familiaux envoyés par Pomare II en 1816. La deuxième chose qui a attiré mon attention, c’est le rôle des missionnaires polynésiens dans la collecte des objets, par exemple aux îles Cook et à Hawaii. Beaucoup d’objets ont été collectés par la LMS aux îles Cook, mais ils sont peu connus. John Williams a en fait envoyé Papeiha, un pasteur de Raiatea, aux îles Cook pour évangéliser en 1821. C’est lui qui aurait récolté des objets là-bas pour les exposer à la LMS au British Museum. Cette piste de recherche est intéressante, car cela reflète aussi la complexité des relations à cette époque, c'est-à-dire entre les missionnaires protestants et les missionnaires polynésiens.”
 
En plus des to’o, quelles autres recherches vous ont marquée ?
“Je dirais que ce sont les envois qu’il y a eu à différents moments. Il y a eu le premier envoi de Pomare II. Il y a eu ensuite une succession d’envois faits par les différents pasteurs de la LMS, comme John Williams, dans les années 1820. Cela fait partie d’une histoire à documenter sur nos objets. Il est important de penser à la culture matérielle quand on écrit notre histoire. Je pense notamment à l’étude des matériaux ainsi qu’au travail à faire avec les différentes communautés locales pour qu’on puisse se réapproprier ces collections et qu’elles puissent devenir une source de revitalisation culturelle.”
 
À travers vos recherches, avez-vous découvert des parties de notre histoire qu’on ne connaît pas encore ou que l’on pourrait remettre en cause ? 
“Il y a beaucoup d’aspects de notre histoire qu’on ne connait pas. Il y a également des pans que l’on connaît bien, comme celui de la LMS que l’on connaît à travers des archives écrites. Je pense aux travaux de Jacques Nicole, de Sylvia Richaud et de nombreux autres historiens qui se réfèrent à des sources écrites. Ce qui est intéressant, c’est d’essayer d’écrire l’histoire de la LMS en tenant compte des objets collectés. Il est important d’explorer de nouvelles perspectives que cela pourrait apporter et de remettre en questions les hypothèses sur des faits historiques déjà établis. Il est encore trop tôt pour en parler, je tiens à souligner cela. Actuellement, ce ne sont que les prémices de la recherche qui me semblent importantes à partager, mais ce n’est que le début.”  
 
Aimez-vous ce que vous faites ?
“Oui, je pense que c’est un travail important pour nous permettre de mieux comprendre cette période et de nous réapproprier notre histoire. J’ai de la chance de faire ce travail. Je pense que c’est une responsabilité de pouvoir partager mes travaux avec les autres et surtout de contribuer à la réappropriation de notre histoire.”

Rédigé par Toatane Rurua le Lundi 22 Janvier 2024 à 14:13 | Lu 3715 fois