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Hommage aux “tontons surfeurs”


De gauche à droite : Lionel Teihotu, Guy Lenoble, Denis Davio, Patrick Juventin, Jean-Baptiste Agnieray, Jean Christophe Shigetomi, Pascal Luciani, Michel Demont, Eric Paofai, Patricia Rossi et Tania Tehei.
De gauche à droite : Lionel Teihotu, Guy Lenoble, Denis Davio, Patrick Juventin, Jean-Baptiste Agnieray, Jean Christophe Shigetomi, Pascal Luciani, Michel Demont, Eric Paofai, Patricia Rossi et Tania Tehei.
Tahiti, le 18 avril 2024 – Ce mercredi, à la maison de James Norman Hall de Arue, s'est tenue la conférence sur l'histoire du surf polynésien. Organisée par Jean-Christophe Shigetomi, la soirée a été l'occasion de réunir les pionniers du surf local et de revenir sur une histoire dense et, finalement, méconnue du grand public. Car avant les Bourez, Vaast ou Fierro, la Polynésie pouvait compter sur les Juventin, Paofai, Leboucher, Lucas, Agnieray ou Tehei pour la représenter.
 
Dans un rythme toujours plus effréné, le temps passe et les générations se succèdent. Emportant ainsi son lot d'histoires qui, hélas, n'ont pas pu être racontées. Un constat auquel Jean-Christophe Shigetomi refuse de se résoudre, notamment lorsqu'il s'agit du surf, sa passion : “Dans tous les travaux de mémoire que j'ai conduits, j'ai toujours eu à cœur de prendre la ‘petite’ histoire pour la replacer dans la grande”, affirme l'historien. “Toutes ces personnes qui aujourd'hui paraissent anonymes et qui, pourtant, pourraient l'être beaucoup moins… quoi de mieux aujourd'hui que de mettre des visages sur ces noms qui ont fait l'histoire du surf local ? Il faut être conscient du temps qui court, des mémoires qui s'estompent. Il faut de la transmission !
 
Les pionniers du surf moderne
 
En effet, si certains noms ont réussi à s'ancrer définitivement dans l'histoire du surf local, grâce en partie à la démocratisation de la télévision et des médias de l'époque, à l'image notamment des icônes Vetea David et Patricia Rossi, d'autres, plus anciens, se sont petit à petit fait oublier du grand public. Des “tontons surfeurs” qui, malgré les moyens de leur époque, ont révolutionné la pratique du surf moderne, aussi bien à l'échelle locale que nationale : Henere Lucas, Éric Paofai, Jean-Baptiste Agnieray, Gilles et Roland Leboucher, Patrick Juventin ou encore Tania Tehei chez les femmes, pour ne citer qu'eux. Réunis à l'occasion de la conférence sur l'histoire du surf polynésien, ces derniers ont pu partager leurs histoires.
 
“À l'époque, les choses étaient différentes, les spots de surf n'étaient pas tous accessibles comme aujourd'hui”, raconte Jean-Christophe Shigetomi. “Par exemple, à Papara, c'était vraiment une aventure pour s'y rendre. La nature était bien plus dense, les terrains aux alentours étaient privés, donc pour s'y rendre, il fallait sauter dans la rivière et descendre le long de la Taharuu. Aujourd'hui, ces terrains sont aménagés pour le grand public, c'est complètement différent.” Un surf “nature” qui s'est très vite développé en surf “compétition” suite à la création des premiers clubs de surf et à la participation des Tahitiens au championnat de France. Une époque charnière pour ces “tontons surfeurs”, bien décidés à s'imposer sur la scène nationale et européenne : “Lors des premiers championnats d'Europe, Jean-Baptiste Agnieray devait gagner la finale”, rappelle Jean-Christophe Shigetomi. “Les juges ont prétendu confondre les couleurs des lycras à cause du soleil, attribuant ainsi les notes de Jean-Baptiste à un autre compétiteur espagnol durant la série.” Des injustices répétées également à l'échelle nationale afin d'empêcher “la vague tahitienne” de tout rafler. Ce qui n'a pas empêché quelques prodiges de ramener les coupes en Polynésie : en surf, Arsène Harehoe d'abord, puis Vetea David et Heifara Tahutini ensuite. Puis en longboard, Teva Noble et Michel Demont ont également confirmé la suprématie tahitienne.
 
De Taapuna aux Jeux olympiques de Teahupo'o
 
Autre révolution, menée cette fois par le Taapuna Surf Club : la compétition sur les vagues de récif. “Avec Patrick Juventin, il nous a fallu réfléchir à toutes ces petites choses qui aujourd'hui paraissent normales”, assure Jean-Christophe Shigetomi. “Nous avons fait venir un ‘Scaffolding’ des États-Unis, avec des pieds fins afin de limiter la prise aux vagues. Nous avons dû également alimenter la tour avec un groupe électrogène que l'on a fait monter. À l'époque, nous avons même pensé aux touristes, en affrétant un truck et un bateau pour les emmener à Taapuna. Pour communiquer, nous étions avec nos talkies-walkies, etc. Pour être honnête, on flippait un peu, mais ça a été une réussite.” Un exemple qui inspirera plus tard Christophe Holozet, organisateur de la première compétition à Teahupo'o en 1997. Pour Jean-Christophe Shigetomi, l'organisation des Jeux olympiques à Teahupo'o en 2024 est un juste retour des choses : “Les premières observations du surf, selon les textes, c'est ici, dans l'Océanie orientale. Le fait d'accueillir les Jeux olympiques à Teahupo’o, c'est comme un retour de faveur de l'histoire.”  

Témoignage : Éric Paofai, surfeur et inventeur du leash à la tahitienne : “À l'époque, j'avais une nouvelle planche, toute neuve. Et là où je surfais à Paea, il y avait de gros cailloux. Si tu tombais sur les vagues, tu pouvais être sûr que la planche allait ramasser et se casser. Un jour, les vagues étaient grosses, j'étais tout seul et je me suis dit : ‘Si je vais à l'eau dans ces conditions, je suis sûr de perdre ma planche’. C'est là que m'est venue l'idée d'attacher ma planche. Je ne savais pas encore où, ni comment. Mais comme la planche est en bas une fois que tu te lèves dessus, c'est là que je me suis dit qu'il valait mieux l'attacher au pied. Alors je me suis bricolé quelque chose et cela m'a permis d'aller à l'eau et de ne pas perdre ma planche. Après on a amélioré le système avec les copains, jusqu'à exporter notre façon de faire en France à l'occasion des championnats nationaux. À l'époque, on s'était inspiré de la façon d'attacher les cochons car c'était efficace, l'animal ne pouvait pas s'enfuir. Puis on a percé des trous dans les dérives pour faire passer la corde. Ce n'était pas comme aujourd'hui où on attache le leash à la planche. À notre époque, on attachait le leash à nos dérives. À l'époque, j'avais demandé un brevet, mais l'administration locale m'a pris pour un illuminé. La femme qui m'a reçu n'y voyait aucune invention qui méritait d'être déclarée. Du coup, ce sont les Français qui ont réussi à breveter le leash en premier.”

Réaction : Tania Tehei, vice-championne de France de surf en 1976 : “Cette soirée, ça fait rappeler des souvenirs. Je me souviens de ma finale au championnat de France, les vagues étaient immenses. La championne de l'époque m'avait dit : ‘Suis-moi, je t'indiquerai où se trouve le pic’, du coup je l'ai suivie, j'ai surfé, mais les vagues étaient tellement grosses que j'ai perdu une bretelle de mon maillot. Et j'ai surfé cette finale comme ça, je suis arrivée deuxième. Et puis Éric Paofai parlait tout à l'heure des premiers leashes, fabriqués à l'aide des colliers de cochon et des cordes, des planches de surf que l'on se partageait entre nous car c'était rare à l'époque... dans le temps, c'est comme ça que ça se passait. J'ai arrêté le surf pendant 30 ans et je viens tout juste de m'y remettre il n’y a pas longtemps. Après tout, c'est ma passion, c'est pourquoi je me donne les moyens de reprendre. Je suis ravie de retourner à l'eau, même si l'époque a changé. Avant, les gens étaient courtois, les garçons étaient vraiment sympas à l'eau. Aujourd'hui, il y a énormément de surfeurs à l'eau, donc moins de place au spot pour chacun.”
 

Rédigé par Wendy Cowan le Jeudi 18 Avril 2024 à 16:38 | Lu 2889 fois