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Hao : Comment aborder le fait nucléaire à l'école ?


Deux inspecteurs d'académie forment les enseignants à aborder le fait nucléaire en classe avec leurs élèves.
Deux inspecteurs d'académie forment les enseignants à aborder le fait nucléaire en classe avec leurs élèves.
Hao, le 7 février 2022 - Une délégation d’inspecteurs de l’Éducation nationale était à Hao la semaine dernière afin de dispenser aux enseignants une formation sur l'enseignement du fait nucléaire, considéré comme une “question socialement vive”. Elle doit leur permettre d'aborder plus largement et simplement ce sujet sensible avec leurs élèves qui pourront ainsi mieux comprendre et décrypter leur histoire.
 
Enseigner le fait nucléaire sur le territoire polynésien n’est pas chose aisée, c'est un sujet sensible dans l’esprit des Polynésiens et il l’est aussi tout particulièrement dans celui des habitants de l’atoll de Hao. Le thème soulève bon nombre de questions dites socialement vives (QSV), c’est-à-dire des questions complexes, ouvertes, controversées, qui suscitent des débats et pour lesquelles la moindre prise de partie peut être mal interprétée. Il n'y a pas une réponse à une QSV mais des pistes de réponses. Une formation a été mise en place afin de transmettre ces pistes aux enseignants tout en les guidant sur la posture éducative à adopter pour enseigner le fait nucléaire en évitant les polémiques.
 
C'est une volonté conjointe de la présidence, du haut-commissariat et de la Direction générale de l'éducation et des enseignements (DGEE) de l'intégrer au sein des établissements scolaires du second et du troisième degrés. Un long travail a été fait en amont depuis 2018 notamment par Yvette Tommasini et Olivier Apollon, tous deux inspecteurs au vice-rectorat et en charge de ce dossier complexe qui est de pouvoir, comme ils le font depuis maintenant huit mois, faire le tour des établissements scolaires de Polynésie française pour former les enseignants.
 
Des pistes pour aborder le sujet nucléaire
 
L’objectif n’est pas d’enseigner une doxa mais bien de donner des pistes d’étude aux enseignants pour pouvoir aborder ce sujet en classe. À présent, chaque matière enseignée pourra intégrer le sujet des faits nucléaires en Polynésie à son programme, il ne sera plus seulement à la charge des professeurs d’histoire et géographie.
 
Cette formation de près de trois heures doit permettre que le sujet si sensible soit abordé plus largement et plus simplement dans les salles de classe, avec délicatesse et une plus grande justesse. Ceci doit permettre aux jeunes, les citoyens de demain, d'avoir les clés pour décrypter les évènements du passé, qui font partie de leur histoire et celle de leur atoll, et d'aborder l'avenir.
 
Oser enseigner
 
C’est dans une classe du collège de Hao qu’une quinzaine d’enseignants du second degré de Hao (du CM1 à la 3e) se sont rassemblés vendredi après-midi. Cette formation s'articule autour de deux axes principaux : le premier consiste à travailler sur la posture qui convient de mettre en œuvre lorsqu’on enseigne le fait nucléaire parce que cet enseignement, dans le contexte actuel, génère forcément des QSV. Le second consiste à mettre en place des pratiques et des situations d’apprentissage pour l'enseigner.
 
Il s’agit “d’oser” enseigner le fait nucléaire, car bon nombre d’enseignants aujourd’hui s’empêchent de le faire, soit par manque de connaissance des faits, soit par crainte de non-maîtrise des QSV. Des supports pédagogiques (audios, vidéos, ouvrages et magazines) ont été présentés aux enseignants, il leur a était conseillé d’utiliser ces supports et ressources avec discernement, en distinguant les faits, tout en faisant attention à leur interprétation.
 
En groupes de travail, les acteurs de cette formation ont pu développer et expérimenter différentes postures d'enseignement incluant les notions de neutralité, impartialité et partialité.

La visite des anciens sites du CEA et du CEP
 
Hao ayant été la base arrière du centre d’expérimentation des essais nucléaires en Polynésie française pendant près de 40 ans, la visite des anciens sites du commissariat à l'énergie atomique (CEA) et du centre d'expérimentation du Pacifique (CEP) était incontournable lors de cette formation. Samedi matin, la délégation s'y est donc rendue, accompagnée d'un ancien de Hao, Tony Foster et de l’ancien tāvana Theodore Tuahine. Sur place, plusieurs installations encore visibles témoignent du passé de l'atoll comme la darse, ancienne marina qui servait à la marine nationale, ou le lieu-dit de la SMSR qui marquait à l’époque le début de la zone CEA. C'est aussi le cas de l’entrée du village qui était à l’époque le début du site du CEP où un mur d’enceinte est encore visible. On y voit toujours la “zone vie” avec le mess des sous-officiers et quelques autres ouvrages encore debout aujourd’hui, comme la “dalle Vautour”. D’autres sites, sont toujours utilisés, c'est le cas du quai Louarn pouvant accueillir de gros navires ou la piste d’atterrissage, une véritable prouesse technique.
 

Yvette Tommasini, inspecteur au vice-rectorat :
"Comprendre le passé pour construire le futur" 

“L’objectif c’est vraiment de construire une société de demain dans laquelle ces enfants d’aujourd’hui seront des citoyens qui pourront non seulement comprendre leur passé mais aussi s’en servir pour construire le futur et bâtir des choses en commun, avoir un recul critique et être en mesure de comprendre les ressources.”

Olivier Apollon, inspecteur au vice-rectorat :
“Il est nécessaire que l’école s’empare de cette question.”

 “Aujourd’hui les enseignants d’histoire-géographie ont l’obligation de traiter cette question car c’est déjà dans les programmes scolaires, mais cette formation est également à destination d’autres disciplines qui n’ont pas ce programme mais qui peuvent choisir cette thématique pour traiter une notion ou un concept particulier. Par exemple, pour les arts on peut travailler aisément sur des œuvres de Evrard Chaussoy ou des chansons d’Angelo, on ne s’interdit rien. Il est nécessaire que l’école s’empare de cette question pour aider les enfants à comprendre ce sujet complexe avec des ramifications multiples et des domaines qui sont extrêmement variés. Cette compréhension elle s’accompagne, elle ne se décide pas, elle ne s’impose pas, et elle ne se décrète pas.”

Rédigé par Teraumihi Tane le Lundi 7 Février 2022 à 15:08 | Lu 1294 fois