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Handicapés face à la froideur administrative


Tahiti, le 2 octobre 2024 - Depuis la mise à jour de la liste des produits et prestations remboursables en 2015, des personnes handicapées ont perdu, ou n’ont pas encore eu, accès à l’autonomie. Avec des professionnels de santé, ils ont cherché à comprendre, ont alerté services et ministères, en vain.
 
Éric a 30 ans. Il est tétraplégique. “Je ne peux bouger que ma tête”, précise-t-il. Il a eu pendant plusieurs années un fauteuil roulant électrique à commande occipitale, ce qui lui permettait d’être autonome. Il pouvait contrôler son fauteuil grâce à de subtils mouvements de tête.
 
Mais, depuis 2015, pour avoir accès au même équipement, il doit désormais débourser 1 143 000 francs. Cette année-là, la CPS a mis à jour la liste des produits et prestations (LPP) remboursables. Une opération nécessaire qui a permis, par exemple, de proposer des lits médicaux à la location, et non plus seulement à la vente. Mais cette opération a aussi entraîné le déremboursement de produits et prestations pourtant nécessaires. Par exemple, les fauteuils roulants électriques sont remboursés à hauteur de 580 000 francs. Dans certaines situations, comme celle d’Éric qui ne peut mouvoir que sa tête, un fauteuil électrique à commande classique, c’est-à-dire avec la main, n’a aucun intérêt. Or, les commandes particulières sont désormais considérées comme optionnelles et restent à la charge du patient.
 
Les professionnels de santé se battent, de même que les patients. Ils regrettent l’absence d’un système de prise en charge adapté. Certains cas sont spécifiques : les patients pourraient être autonomes, insérés dans la société, ils sont à présents entièrement dépendants. “Ils ne sont qu’une dizaine sur le territoire”, insiste un professionnel qui souhaite rester anonyme. Il est “furieux”. “On est baladé de service en service et on reste sans réponse.” L’Agence de régulation de l’action sanitaire et sociale (Arass), dirige les demandes au Fonds d’aides sociales qui envoie à son tour les requêtes vers la Solidarité. “Rien n’est clair.”
 
Au-delà du confort
 
Clémence Ory, présidente de l’association Ergo Porinetia et Karine Dalmat, secrétaire, sont toutes les deux ergothérapeutes (lire aussi l’encadré). Elles regrettent la situation et tirent une sonnette d’alarme. “Nous le faisons pour les patients, pour qu’ils puissent trouver ou retrouver leur autonomie, cela va au-delà du seul confort !”
 
Éric, lui, mène un parcours du combattant. En décembre 2022, il a passé un bilan ergothérapique au centre Te Tiare. En mars 2023, il a contacté directement la ministre des Solidarités, afin d'exposer sa situation ; en avril 2023, il a envoyé un e-mail à la cheffe de cabinet de la ministre des Solidarités pour expliquer plus en détail la situation ; il a envoyé ensuite des pièces justificatives à la CPS pour une demande de fauteuil électrique adapté à sa situation. En juin, il a pu rencontrer la déléguée interministérielle au handicap à la présidence ; en août il a demandé un rendez-vous avec la nouvelle ministre des Solidarités ; en septembre, il a interpellé le président de la Polynésie via les réseaux. Le tout pour l’instant en vain.
 
Des solutions existent pourtant selon lui. Par exemple, un forfait service après-vente pourrait être instauré plutôt que le renouvellement systématique du matériel défectueux. Changer un lit médicalisé complet pour une roue cassée ou de fauteuil roulant électrique complet pour une batterie en panne, revient moins cher au patient que de remplacer la pièce défectueuse. Le choix est vite fait !” Mais sans doute pas optimum. Les quelques personnes tétraplégiques ou en situation de polyhandicap pourraient bénéficier d’économies si on y réfléchissait.”
 
L’association Ergo Porinetia de son côté, et depuis six mois, sollicite des rendez-vous avec la CPS et le ministre de la Santé. Les demandes restent sans réponse. “Nous voulons pouvoir entamer une discussion pour réfléchir à une solution.” Partout ailleurs, en métropole et dans les outre-mer, des systèmes de prise en charge ont vu le jour (hors mutuelles) pour compléter le tarif de base de remboursement.
 
Le handicap n'intéresse pas, ou peu
 
Ce 1er octobre, un financement du Fonds d’aides sociales a été accordé à un jeune patient de Te Tiare. Il pourra, s’il débourse 52 000 francs, recevoir un complément de 120 000 francs pour l’acquisition d’un repose jambe électrique. Mais pourquoi lui ? Nul ne sait. “Si je me bats, ce n’est pas seulement pour moi”, insiste Éric qui espère une solution pérenne pour toutes les personnes dans son cas.
 
“Le handicap n'intéresse pas, ou peu”, estiment Clémence Ory et Karine Dalmat. Quand les personnes en situation de handicap seront-elles traitées avec dignité ?” Selon elle, une loi sur l'accès au matériel médical pour les personnes en situation de handicap en Polynésie française est nécessaire, et de toute urgence. En amont des initiatives visant à rendre accessibles les administrations (lieux publics...) aux personnes en fauteuil roulant, il paraît logique de s'assurer que chaque personne concernée puisse utiliser son fauteuil roulant”.
 

En attendant…
 
L'ergothérapie accompagne les personnes en situation de handicap de tout type (psychique, sensoriel, cognitif, moteur...) et de tout âge, dans l'acquisition ou le maintien de leur autonomie. Concernant le handicap moteur, et plus précisément neuromoteur, “un de nos rôles est d'accompagner les personnes dans l'acquisition du matériel médical adapté à leurs besoins. Nous établissons, avec la personne concernée, un cahier des charges précis”, explique l’association Ergo Porinetia. Il est fonction de la personne (ses capacités et incapacités, sa façon de bouger, ses problèmes de santé, la maladie et son évolution ou non, etc.), son environnement (domicile, lieu de travail ou scolaire, magasin où la personne se rend, les personnes qui vivent avec elles qui peuvent l'aider au quotidien, etc.) et ses habitudes de vie. Le travail est réalisé pour divers dispositifs : chaise de douche, fauteuil roulant, aides au transfert...
 
“En tant qu'ergothérapeutes, nous devons régulièrement accompagner les personnes dans le deuil de l'autonomie dont elles pourraient disposer avec du matériel adapté. Nous devons d'abord faire le calcul de ce qui peut être inclus dans les tarifs CPS, avant de penser aux besoins des personnes”, détaillent les professionnels de l’association. “Nous cherchons des compromis.”

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mercredi 2 Octobre 2024 à 21:00 | Lu 574 fois