Tahiti, le 22 août 2022 – Suite de notre longue interview du président du Pays, Édouard Fritch, sur les sujets économiques du moment en Polynésie française. Le chef de la majorité revient en détails sur la complexité des dossiers du Group City, de la villa Bora Yes, du choix de l'hôtel de Puunui pour les JO 2024 ou encore des arbitrages difficiles à effectuer sur les augmentations des tarifs EDT, du fret maritime ou du carburant en pleine inflation.
Parmi les projets économiques évoqués ces derniers temps au fenua, ceux du Group City ont fait beaucoup couler d'encre. On avait l'impression que le gouvernement soutenait ces investissements, jusqu'à ce qu'ils reçoivent les critiques d'une partie de la population de Punaauia et de Arue notamment. Quelle est la position du gouvernement et votre position sur ces dossiers ?
“Les années difficiles, ce sont les années à venir : 2022, 2023, 2024. Ça va être des années compliquées. Si on a réussi à survivre pendant ces années de Covid, il faudra demain qu'on fasse droit à nos obligations. Une de ces obligations, ce sont les emprunts qui ont été faits par le Pays et les entreprises également. Il y a entre 60 et 70 milliards de PGE qui ont été attribués à nos entreprises. Il va falloir les rembourser. Donc bien sûr qu'aujourd'hui, nous souhaitons toujours la bienvenue à ceux qui veulent venir investir en Polynésie française. Le Group City est un groupe qui paraît sérieux, avec des investisseurs solides derrière –car bien sûr, nous nous sommes renseignés– et qui sont venus avec des projets qui sont alléchants.”
Sur Bora Bora également…
“Sur Bora Bora, sur Taha'a aussi… Ce sont des projets alléchants, avec de beaux dessins, beaucoup de création d'emplois. C'est important et c'est le principal souci. Nous avons besoin de créer des emplois pour qu'enfin la CPS puisse survivre à cette crise. Le pan social et notamment les allocations familiales, aujourd'hui, dépend beaucoup de la CPS. Donc il faut créer de l'emploi. Et créer de l'emploi, c'est pousser les investissements ici. Oui, je suis favorable. Je l'ai dit : 'Venez investir en Polynésie française'. Pourquoi pas un projet à Punaauia ? C'est un terrain qui n'a pas été exploité depuis la dernière transaction qu'il y a eu. Idem au Tahara'a, où ça fait vingt ans que ça n'a pas bougé. Alors oui, on était favorable. Maintenant, il y a eu des protestations, des manifestations. J'en retiens une chose, c'est que ces projets sont pharamineux pour le pays. Les dimensions de ces projets ne sont pas adaptées à ce qu'attendent les populations de ce pays. Maintenant, il faut voir, parce qu'il y a dans tout mouvement de protestation ceux qui effectivement expriment quelque chose, et puis il y a des protestataires qui sont là juste pour protester. J'en ai parlé avec les maires de Punaauia et de Arue. Je retiens que les projets sont trop importants. Donc il faut réduire la voilure. Le gouvernement va les soutenir. Mais au lieu de venir nous voir, je crois qu'il faudrait que les investisseurs fassent un travail préalable de préparation avec les maires, la population et avec les associations. On ne pourra jamais avoir un accord total à 100%. Mais par contre, si on peut dégager une majorité avec des orientations et des objectifs qui sont clairs, oui, pourquoi pas. Je crois que c'est ce que fait le groupe City aujourd'hui. Ils ont déjà rencontré la commune. Ils sont en train de discuter de la dimension du projet, des problèmes de l'eau, des déchets, de la notion environnementale notamment."
Parmi les projets économiques évoqués ces derniers temps au fenua, ceux du Group City ont fait beaucoup couler d'encre. On avait l'impression que le gouvernement soutenait ces investissements, jusqu'à ce qu'ils reçoivent les critiques d'une partie de la population de Punaauia et de Arue notamment. Quelle est la position du gouvernement et votre position sur ces dossiers ?
“Les années difficiles, ce sont les années à venir : 2022, 2023, 2024. Ça va être des années compliquées. Si on a réussi à survivre pendant ces années de Covid, il faudra demain qu'on fasse droit à nos obligations. Une de ces obligations, ce sont les emprunts qui ont été faits par le Pays et les entreprises également. Il y a entre 60 et 70 milliards de PGE qui ont été attribués à nos entreprises. Il va falloir les rembourser. Donc bien sûr qu'aujourd'hui, nous souhaitons toujours la bienvenue à ceux qui veulent venir investir en Polynésie française. Le Group City est un groupe qui paraît sérieux, avec des investisseurs solides derrière –car bien sûr, nous nous sommes renseignés– et qui sont venus avec des projets qui sont alléchants.”
Sur Bora Bora également…
“Sur Bora Bora, sur Taha'a aussi… Ce sont des projets alléchants, avec de beaux dessins, beaucoup de création d'emplois. C'est important et c'est le principal souci. Nous avons besoin de créer des emplois pour qu'enfin la CPS puisse survivre à cette crise. Le pan social et notamment les allocations familiales, aujourd'hui, dépend beaucoup de la CPS. Donc il faut créer de l'emploi. Et créer de l'emploi, c'est pousser les investissements ici. Oui, je suis favorable. Je l'ai dit : 'Venez investir en Polynésie française'. Pourquoi pas un projet à Punaauia ? C'est un terrain qui n'a pas été exploité depuis la dernière transaction qu'il y a eu. Idem au Tahara'a, où ça fait vingt ans que ça n'a pas bougé. Alors oui, on était favorable. Maintenant, il y a eu des protestations, des manifestations. J'en retiens une chose, c'est que ces projets sont pharamineux pour le pays. Les dimensions de ces projets ne sont pas adaptées à ce qu'attendent les populations de ce pays. Maintenant, il faut voir, parce qu'il y a dans tout mouvement de protestation ceux qui effectivement expriment quelque chose, et puis il y a des protestataires qui sont là juste pour protester. J'en ai parlé avec les maires de Punaauia et de Arue. Je retiens que les projets sont trop importants. Donc il faut réduire la voilure. Le gouvernement va les soutenir. Mais au lieu de venir nous voir, je crois qu'il faudrait que les investisseurs fassent un travail préalable de préparation avec les maires, la population et avec les associations. On ne pourra jamais avoir un accord total à 100%. Mais par contre, si on peut dégager une majorité avec des orientations et des objectifs qui sont clairs, oui, pourquoi pas. Je crois que c'est ce que fait le groupe City aujourd'hui. Ils ont déjà rencontré la commune. Ils sont en train de discuter de la dimension du projet, des problèmes de l'eau, des déchets, de la notion environnementale notamment."
"Un vrai problème, c'est celui de la cohérence"
Un autre projet dont la taille et la dimension environnementale posent problème, c'est la construction de la Villa Bora Yes. Une partie du gouvernement et vous-même semblez opposés à ce projet, qui est pourtant régularisés par les services du Pays et aujourd'hui contesté devant la justice administrative ?
“Là aussi, il y a deux volets. Le premier volet est initié par le maire de Bora Bora. Il souhaite rester dans le tourisme de qualité, haut de gamme. Une chambre représente un à deux emplois. Aujourd'hui, le maire a choisi de se tourner vers le tourisme de grand luxe. Cette villa, c'est une petite structure hôtelière qui représente cinq à six emplois. Maintenant, l'instruction administrative de ce dossier pose aujourd'hui problème. Nous avons régularisé une partie des travaux qui ont été réalisés sur le terrain, mais cette population a raison. Il semblerait que les creusements qui ont été faits sur place ont été trop loin et trop profond. Ce qui a pu toucher ou déstabiliser la nappe d'eau. Je soutien bien sûr ces populations, parce que sur un motu on vit de cette eau. C'est vrai aussi qu'en compensation, celle villa faisant venir de l'eau de l'île principale, on va faciliter le drainage des autres familles autour. Mais le souci de ces populations est fondé. Donc, je ne vais pas faire fermer ce chantier, mais je veux à tout prix que ces promoteurs trouvent des solutions pour que cette espèce de gangrène qui est née au début des travaux s'arrête.”
Sur ce sujet et celui du Group City, ne pensez-vous pas qu'il puisse vous être reproché un manque de clarté et de cohérence sur l'action et la position exacte du gouvernement ?
"Lorsqu'on parle au gouvernement d'occupation du domaine public maritime, il faut bien comprendre qu'on en parle après instruction des services. La plupart du temps, notre décision est conforme à ce que les services nous donnent comme avis. Surtout, je tiens beaucoup compte de l'avis du maire. Effectivement, dans le cadre de l'instruction de ce dossier, l'administration a émis des réserves mais, attention, pas jusqu'au point de nous conduire à arrêter ce chantier. Donc, on l'a régularisé… Le problème que vous soulevez est un vrai problème. C'est celui de la cohérence. C'est vrai que nous sommes dans un système où vous avez différents ministres. Un ministre de l'Environnement, qui est là avec son bâton de pèlerin pour prôner la défense de l'environnement. Un ministre de l'Équipement qui prône la construction de quais. Une ministre en charge des permis de construire. Etc, etc. Il y a un problème effectivement parce que souvent ceux qui sont sur le terrain, les services déconcentrés comme l'Équipement par exemple, n'ont pas la même vision que ceux qui sont dans un bureau. C'est la raison pour laquelle j'ai essayé de rendre cette idée de déconcentration encore plus forte en essayant de regrouper toute cette administration déconcentrée auprès d'un administrateur qui est le tāvana hau. J'essaie de leur faire faire des réunions communes hebdomadaires avec la santé, l'urbanisme, le foncier, l'équipement, l'environnement… pour qu'on n'ait pas l'impression qu'il y a des dissonances au sein du gouvernement. Bien sûr que je suis le premier visé, je suis le chef de l'administration. Mais moi-même je fais ce constat et je comprends bien que, de temps en temps, certains soient révoltés et aient envie de voter contre le Tapura. Mais je leur dis que nous faisons tout, que je pousse de toute mon énergie pour essayer de coordonner tout ça, pour travailler en réseau, pour dématérialiser…”
"Je ne sais pas combien de Polynésiens va employer Delta"
Sur un autre dossier, la compagnie Delta a demandé à pouvoir s'implanter en Polynésie française. C'est une bonne nouvelle pour le tourisme dont vous avez désormais le portefeuille ministériel, mais c'est une mauvaise nouvelle pour Air Tahiti Nui dont le Pays est actionnaire très majoritaire et qu'il vient juste de renflouer ?
“Je vais être obligé de décider pour deux personnes. Le ministre du Tourisme et le président du gouvernement. Le ministre du Tourisme a envie de vous dire le bonheur d'avoir des sièges et des touristes supplémentaires. Le président du gouvernement a le souci de maintenir une entreprise de 700 employés polynésiens en vie. Nous avons mis beaucoup d'argent, 8 milliards, dans Air Tahiti Nui. Ce n'est pas mon argent, c'est notre argent à tous et il faut veiller à sa bonne utilisation. J'ai demandé des consultations de l'aviation civile, des professionnels du tourismes… Et plusieurs questions se posent : Sommes-nous capables d'accueillir plus de touristes en ce moment en Polynésie ? Nos structures d'accueil sont-elles suffisantes pour prendre 600 passagers en plus chaque semaine ? Sachant que nos hôtels sont à 95% de taux d'occupation certains week-end. Allez à Moorea le week-end, faire une réservation c'est compliqué. Autre chose que me disait le maire de Bora Bora en début de semaine, c'est que durant les six premiers mois de l'année nous avons pratiquement fait le chiffre d'affaires habituel de 2019. C'est extraordinaire, six mois après une crise. Autre question, celle de l'aéroport ? Aujourd'hui, certains jours, on oblige les clients qui ont passé 7 à 8 heures de vol à passer encore 2 heures à attendre parce qu'on ne sait pas où les mettre. Et puis il y a la question de la joint-venture entre Delta et Air France ? Toutes les deux sont des entreprises qui sont subventionnées comme la nôtre, mais pas à la même hauteur. Elles ont les reins beaucoup plus solides. Nous sommes en train d'analyser cela… (…) Mais il ne faut pas que des agents extérieurs non-maîtrisables soient à l'origine d'une future catastrophe pour notre compagnie, qui de surcroît emploie des Polynésiens. Je ne sais pas combien de Polynésiens va employer Delta, mais par exemple United a un seul parlant français sur son équipage. Personnellement, je préfère promouvoir l'emploi local que de défendre ceux qui ne cotisent pas chez nous.”
Un petit sujet économique qui a fait parler de lui tout récemment, c'est le choix unilatéral du Pays d'investir dans la rénovation de l'hôtel de Puunui à la Presqu'île pour héberger les officiels et athlètes pour les Jeux olympiques de 2024 à Teahupoo. Ceci sans appel d'offres et alors que d'autres opérateurs privés proposent des solutions, notamment d'hébergement sur des navires. Comment s'est fait ce choix de Puunui ?
“Quand on connaît l'hôtel Puunui, et j'étais dans le gouvernement qui l'a inauguré à l'époque, je trouve que c'est le meilleur site –après le Tahara'a– pour un hôtel de Tahiti. C'est un lieu extraordinaire. Notre vœu le plus cher, c'est de relancer l'activité de cet hôtel. Les Jeux en étaient l'occasion. Les équipes techniques sont venues voir et étaient émerveillées par le site. Le nombre de chambres correspondait quasiment aux besoins. Enfin, nous avions tous les arguments pour aller pousser le propriétaire à aller au-devant. C'est Monsieur Dominique Auroy, sa fille surtout, avec qui nous sommes entrés en discussion. Ils nous ont dit qu'ils étaient intéressés et qu'ils allaient relancer l'activité. Contrairement à ce qui se dit, nous ne remettrons pas d'argent. Nous allons défiscaliser au niveau de l'État et du Pays. Mais surtout, ce qui nous intéresse c'est que derrière on va créer une activité. La Presqu'île est demandeuse. (…) Nous avons un intérêt direct ici, c'est que l'hôtel de Puunui reprenne une activité. Et je vous le dis clairement, l'image de ces Jeux olympiques va être meilleure avec ce choix. Ensuite, nous avons un plan B. C'est nous qui avons sollicité le Paul Gauguin et l'Aranui au cas où la réalisation de la remise en état de l'hôtel ne se fasse pas dans les délais. Des délais qui sont courts, puisque les Jeux auront lieu en 2024. (…) Mais les bateaux, ça coûte plus cher, ça coûte au niveau carbone et on ne laisse pas ensuite un héritage de ces Jeux. Je l'ai donc dit (au président du comité organisateur Paris 2024), Tony Estanguet, je souhaite que pour ces Jeux l'hébergement se passe à Puunui.”
"Si je ne touche à rien, moi ou mes successeurs auront beaucoup de mal"
Dernière question sur l'inflation. Votre ministre de l'Économie et votre gouvernement allez avoir des décisions complexes à prendre dans les prochains jours avec la revalorisation du fret maritime, la réactualisation des tarifs d'EDT ou encore une possible nouvelle hausse des prix des carburants. Comment conciliez ces impératifs avec le maintien du pouvoir d'achat des Polynésiens, mais aussi peut-être avec la période électorale qui s'annonce ?
“Vous imaginez bien que je freine des deux pieds…”
Mais il y a une réalité économique pour les armateurs, pour EDT, pour le FRPH ?
“La grosse difficulté, ça va être de compenser. Naturellement, je ne veux pas augmenter. Si je n'augmente pas le prix de l'essence, il faut que j'augmente la participation du Pays au FRPH. Ce sont 1 à 2 milliards qu'il faut aller chercher. Même chose pour l'électricité, nous sommes en train de nous arranger avec le nouveau P-dg d'EDT avec qui, selon ce que me dit mon ministre de l'Énergie, nous pouvons discuter d'un étalement de cette augmentation. Comme vous le dîtes, il faut être réaliste, nous ne pouvons pas en rester là. Mais, il ne faudra pas non plus trop augmenter. Sur le problème de l'essence, c'est notamment pour cela que les armateurs nous demandent de réévaluer leurs tarifs, c'est notamment pour cela que les armateurs sur la desserte Tahiti-Moorea ont dû augmenter leurs prix. Vraisemblablement, je vais être obligé de céder un petit peu. (…) Ce que j'espère de tout mon cœur, c'est que le cours du fioul se stabilise. On pourra alors, au gouvernement, continuer à faire un effort. Mais j'ai envie de dire aussi que continuer à faire cet effort, c'est aussi mentir. Bien sûr que je suis tenté, en tant que politicien, de ne toucher à rien. Mais si je ne touche à rien, moi ou mes successeurs auront beaucoup de mal après le mois d'avril prochain.”