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Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef : “Il faut donner sa chance à ce gouvernement”


Tahiti, le 8 mai 2023 - Le président national du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, a conclu une semaine de mission en Polynésie par une rencontre avec Moetai Brotherson. Il estime que le discours du futur président indépendantiste est “plutôt rassurant”, qu'il faut “donner sa chance à ce nouveau gouvernement” et que les entrepreneurs ont besoin de “confiance et de visibilité” et seront “très attentifs aux premières annonces et aux premières mesures”.

 
Quel était l'objectif de votre visite en Polynésie française ?
 
“Jamais un président du Medef n'était venu dans le Pacifique en Polynésie française, donc je viens d'abord réparer cet oubli. Et puis c'était d'essayer de comprendre ce qui marche, ce qui ne marche pas et comment on peut aider depuis la métropole. C'est aussi enfin pour soutenir Frédéric (Dock) et ses équipes qui font un travail formidable de représentation du Medef et de porte-parolat des patrons de Polynésie.”
 
Vous avez fait plusieurs rencontres de terrain, qu'est-ce que vous avez constaté ?
 
“J'ai vu l'autre côté de la carte postale, comme tout métropolitain qui n'est jamais venu ici. On connaît Bora Bora et les sites magnifiques. Ça reste un moment formidable. Mais il y a aussi une autre face de Tahiti et de la Polynésie française qui est celle des entreprises et des entrepreneurs avec beaucoup de gens dynamiques et conquérants qui se lèvent le matin avec l'envie de gagner des parts de marché et de faire croître leur entreprise. J'ai eu l'occasion de rencontrer plein d'entrepreneurs différents et puis plusieurs entrepreneurs du Medef (jeudi) soir lors d'un dîner-débat.”
 
On entend beaucoup dire aujourd'hui que la conjoncture économique est bonne en Polynésie. Est-ce que ce sont les échos que vous avez recueillis auprès des entreprises locales ?
 
“Oui. Alors on peut voir le verre à moitié plein en se disant qu'on a retrouvé les chiffres de 2019. Et c'est vrai que lorsqu'on se remet deux ans en arrière en plein Covid, c'est quand même inespéré. Mais on peut aussi se dire qu'on a perdu quelques années par la faute du Covid. Et puis, il y a eu ici beaucoup d'années d'instabilité politique qui ont fait qu'on n'a pas beaucoup concrétisé, il y a une grande partie de la population qui est sans emploi avec un taux d'activité qui est assez faible à 53%… Donc il y a sûrement encore beaucoup à faire.”
 
Vous arrivez dans le contexte de résultats d'élections territoriales. C'était volontaire ?
 
“Non, ce n'était pas prévu pour ça.”
 
Vous avez rencontré le futur président du futur gouvernement indépendantiste. D'abord, comment ce changement de gouvernement est-il perçu depuis Paris ?
 
“Il y a eu la Une de la presse nationale, qui parlait d'un revers pour la stratégie Indo-Pacifique de la France. Mais je ne crois pas que les gens aient voté pour ou contre la stratégie Indo-Pacifique… C'est beaucoup plus un vote local. Je l'ai dit et je le dis au passage, c'est quand même une chance d'avoir une démocratie apaisée. J'ai eu l'occasion de rencontrer le président actuel ce matin et le futur président cet après-midi (vendredi, NDLR) et on voit bien que la transition se passe de manière positive. Je crois que la France doit prendre acte. Je viens pour parler économie et pas politique, et ce qui nous intéresse, c'est le cap économique de ce futur gouvernement.”
 
Et quel est votre sentiment après avoir rencontré et après avoir échangé avec Moetai Brotherson ?
 
“Le message est plutôt rassurant, puisqu'il parle de changement de cap progressif, mais aussi de priorités autour de l'entreprise avec la volonté que l'indépendance soit d'abord économique. Le discours qu'il nous a tenu, c'est celui de dire : on a besoin de l'économie, on a besoin des entreprises pour réussir. Après évidemment, derrière ces mots, il faut voir les premières mesures. Mais je pense qu'avec Frédéric Dock et le Medef de Polynésie, on a envie de donner sa chance à ce nouveau gouvernement et de juger sur ses actes effectifs. Le message que j'ai donné, c'est que les deux mots les plus importants sont confiance et visibilité. Nous, les entrepreneurs, comme les consommateurs, avons besoin de confiance. Si vous achetez un appartement, une maison, une voiture ou même un lave-linge, s'il y a des incertitudes, vous retardez vos achats. C'est pareil pour un entrepreneur. S'il veut investir pour acheter une machine, il a besoin de confiance et de visibilité.”
 
Il n'y a donc, selon vous, pas de craintes particulières à avoir pour le monde de l'entreprise avec cette alternance politique ?
 
“Les entrepreneurs que j'ai vus sont très attentifs aux premiers signaux, aux premières mesures et aux premières annonces qui vont être faites par le nouveau gouvernement. Il peut y avoir une certaine appréhension chez certains. Peut-être que les plus anciens se souviennent de 2004. Mais encore une fois, je crois qu'il faut donner sa chance à ce gouvernement de démontrer qu'il est pro-économie, pro-emploi et pro-entreprises.”


Vous avez parlé de la TVA sociale pendant ce séjour, en indiquant que vous étiez favorable sur le principe à financer la protection sociale autrement que sur le travail, mais qu'il y avait eu un problème de timing et de non-déductibilité ?
 
“C'est-à-dire que si on fait peser toute la protection sociale sur le travail, on rend le coût du travail trop cher. Or, la Polynésie, dans le contexte concurrentiel notamment géographique sur le plan touristique, a déjà un problème. Employer un serveur ou un cuisinier ici dans un hôtel, ça coûte déjà beaucoup plus cher que toute l'offre équivalente dans le Pacifique. Donc il ne faut pas en rajouter. En même temps, on veut la protection sociale, ça fait partie du modèle. Donc, c'est une bonne idée. Simplement, il aurait fallu le faire quand il y avait 1% d'inflation. Là, avec 8% d'inflation en 2022, ça a été perçu comme facteur d'inflation… La deuxième chose, c'est effectivement que c'est une TVA qui n'est pas récupérable. Alors que la TVA est par nature récupérable. Donc ça a fait une augmentation du coût pour les entreprises.”
 
L'inflation est le point noir de l'économie polynésienne. Comment lutte-t-on contre ce phénomène ?
 
“L'inflation exogène, malheureusement, on en est tous victimes. Ce n'est pas spécifique à la Polynésie, même si c'est peut-être un peu amplifié ici. Elle est en train de se calmer. L'énergie, le prix du pétrole a baissé, etc. Ensuite, il faut s'assurer à l'intérieur de l'île qu'il y a une concurrence loyale pour que les prix puissent baisser. Un sujet a d'ailleurs été abordé lors du dîner-débat avec les entrepreneurs locaux, c'est la concurrence déloyale de certains grands providers américains notamment sur internet, en expédiant des produits qui ne paient pas les droits de douane ou la TVA… C'est un sujet qui ne concerne pas tous les biens, pas l'agro-alimentaire notamment, mais qui est significatif.”
 
On entend beaucoup parler cette semaine du contrôle des marges, est-ce que ça peut être la bonne solution ?
 
“Non, je pense que ça ne peut être qu'une impasse. Ça n'a jamais marché depuis 100 ans dans aucun pays du monde. Il faut la concurrence. C'est le meilleur contrôle des marges.”
 
Nous avons en Polynésie un système de fonds de régulation des prix des hydrocarbures pour réguler le coût de l'énergie. Qu'en pensez-vous, notamment dans un contexte inflationniste ?
 
“Dans un cadre très spéculatif, où les prix font le yo-yo, avoir un système qui lisse, ce n'est pas idiot. Après, sur le long terme, il ne faut pas que ça masque la réalité des prix. Ne serait-ce que parce que ça doit pousser aussi à la transition.”
 
La protection de l'emploi local fait beaucoup parler. Les syndicats, comme le gouvernement sortant d'ailleurs, poussent pour plus de protectionnisme de l'emploi local. Qu'en dîtes-vous ?
 
“Je pense qu'il faut raisonner autrement. La question, c'est qu'est-ce qu'on peut produire localement et qui va le produire ? Là, il y a une réflexion à avoir sur une économie insulaire et une taille de marché de 300 000 habitants. On peut certainement plus produire qu'aujourd'hui, mais ce n'est pas l'emploi qu'il faut protéger, c'est la production. Je pense que c'est une erreur d'avoir cette vision un peu malthusienne de l'économie, qui consiste à dire que le gâteau est fixe et qu'il n'y aura toujours que 70 000 emplois dans le privé. Donc, si un non-Polynésien vient, il va prendre l'emploi de quelqu'un. Moi, le pari que je pense qu'il faut faire – partout d'ailleurs – c'est de dire qu'on peut passer de 70 000 à 100 000 emplois. À ce moment-là, il n'y a plus de problème de protection de l'emploi local.”
 
Un mot de la défiscalisation, tout d'abord parce que vous n'aimez pas ce terme ?
 
“Oui, je pense que ‘défiscaliser’ donne le sentiment d'un avantage fiscal indu pour celui qui investit. Je qualifierais ça d'aide, ou de subvention si vous voulez, à la production. C'est une aide qui vient compenser la spécificité des territoires ultramarins qui est l'insularité. Parce que produire ou investir à plusieurs milliers de kilomètres d'avion, ça coûte plus cher. C'est vrai que le mot défiscalisation en métropole a mauvaise presse. Ça donne une idée de combine… Donc je pense qu'il faut un dispositif, mais qu'il faut l'expliquer et le raconter différemment. Il y a eu des abus, ici et ailleurs, dans le passé. Par contre, ça reste un outil utile pour compenser le surcoût de certains investissements et leur plus faible rentabilité. Mais il faut que le projet qui bénéficie de cette défiscalisation soit viable par lui-même. (…) Mais très clairement, la flotte de navires de pêche a par exemple besoin du dispositif. L'hôtellerie également. Ensuite peut-être qu'il faut ré-affiner le dispositif par secteurs.”
 
Enfin, le livre blanc du Medef en Polynésie évoque une réforme des retraites à mener en Polynésie. Vu le contexte national dont vous sortez, quels conseils donneriez-vous pour réussir une telle réforme localement ?
 
“Je pense qu'il faut d'abord faire beaucoup de pédagogie. Ce qui a manqué. Il faut expliquer. Le sujet de la retraite, on peut le résoudre de deux manières. En augmentant l'âge légal ou en augmentant le nombre de travailleurs. C'est sûr que si on passe de 70 000 salariés dans le privé à 100 000, on repousse certainement de très loin le problème de la retraite parce qu'on a plus de gens qui cotisent. Donc le sujet est là. Il faut plus d'hôtels qui s'ouvrent, plus de thoniers qui vont pêcher, etc. Il faut plus d'employeurs. Et pour ça, il faut donner confiance aux gens d'investir dans un cadre stabilisé.”
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Lundi 8 Mai 2023 à 16:22 | Lu 2542 fois