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Fiscalité : La majorité vote contre le gouvernement


La présidente de la commission de l'Economie, Elise Vanaa (à gauche) et le président d l'assemblée, Antony Géros (à droite). Une commission ubuesque qui a vu la majorité désavouer son gouvernement en votant contre deux articles de la loi fiscale de Tevaiti Pomare. Crédit photo archives APF
La présidente de la commission de l'Economie, Elise Vanaa (à gauche) et le président d l'assemblée, Antony Géros (à droite). Une commission ubuesque qui a vu la majorité désavouer son gouvernement en votant contre deux articles de la loi fiscale de Tevaiti Pomare. Crédit photo archives APF
Tahiti, le 21 novembre 2023 – Coup de tonnerre ce mardi en commission de l'assemblée. Face à l'obstination du ministre de l'Économie qui ne voulait rien entendre, les élus de la majorité Tavini ont voté contre deux articles de la loi fiscale du gouvernement : la fameuse taxe sur le bâti de plus de 50 millions et la fin de l'exonération sur les véhicules hybrides et électriques. La sincérité du budget est remise en cause avec plus de deux milliards de francs en moins qu'il va falloir trouver ailleurs.
 
On savait que les discussions seraient mouvementées autour de la loi fiscale du gouvernement qui fait déjà tant grincer des dents les patrons, mais aussi les élus de Tarahoi, dont ceux de la majorité. Mais nul ne se doutait de la tournure que cela prendrait ce mardi en commission de l'Économie. Après plus de quatre heures de débat, les élus n'en étaient qu'à l'article LP 1. Et pour cause, c'est l'article qui instaure la fameuse taxe sur le bâti de toute propriété dont la valeur vénale est fixée à plus de 50 millions de francs. Un nouvel impôt en somme, appelé contribution de solidarité sur les patrimoines immobiliers (CSPI) qui n'est pas au goût de tout le monde. Et c'est le moins que l'on puisse dire.
 
Un nouvel impôt “stupide”
 
A Here ia Porinetia (Ahip) d'abord, qui était arrivé avec pas moins de 13 amendements dans ses poches, dégaine le premier pour supprimer purement et simplement cette taxe qui n'est que du “bricolage”. D'abord parce que compte tenu des prix du marché immobilier, cela “affectera quasiment tous les Polynésiens propriétaires de leur domicile” et ensuite parce que Ahip est tout simplement contre la création d'un nouvel impôt. Impôt qui est censé, rappelons-le, venir abonder le fonds pour la solidarité (FPSU) afin de compenser la perte de 9 milliards de francs des recettes de feu la TVA sociale. “Sans vouloir offenser quiconque, c'est stupide de supprimer un impôt qui rapportait 9 milliards pour en créer un nouveau qui rapporte 1,5 milliard”, s'est ainsi étonné Nuihau Laurey qui ne comprend pas bien la démarche. Et il n'est pas le seul.
 
Bras de fer entre Antony Géros et Tevaiti Pomare
 
Le président de l'assemblée, Antony Géros, ne comprend pas non plus. Il a donc présenté un amendement en commission pour que cette taxe ne soit appliquée qu'aux locaux commerciaux à caractère industriel ainsi qu'aux propriétés ayant un usage locatif. En clair, tous ceux qui tirent un profit de leur patrimoine immobilier, excluant ainsi les Polynésiens propriétaires de leur domicile. Mais le ministre de l'Économie Tevaiti Pomare ne l'entend pas de cette oreille et refuse d'amender son texte au motif que cela ferait perdre un milliard de francs sur le milliard et demi de francs de recettes estimées qu'est censée rapporter cette taxe.
 
Pourquoi autant ? Parce que, et c'est la cerise sur le gâteau, ce sont les hôtels qui vont finalement mettre la main à la poche, ce qui n'a pas manqué de faire réagir l'élue du Tapura Huiraatira, Tepuaraurii Teriitahi : “Les hôtels sont propriétaires et donc à partir de ce moment-là, ils vont devoir payer et on détermine finalement que les hôtels qui se trouvent dans cette tranche supporteront près d’un milliard de francs de CSPI. Alors quid de l’industrie touristique ? On ne peut pas cautionner ça.”
 
Une triple peine pour les hôteliers
 
Même son de cloche évidemment du côté de Ahip qui voit dans cette loi fiscale une incohérence par rapport à l'objectif de 600 000 touristes fixé par le président Brotherson et surtout une “triple peine” pour l'industrie touristique.
 
En effet, cette loi fiscale prévoit aussi de restreindre considérablement le seul outil qui permet de créer des hôtels : la défiscalisation que le gouvernement veut faire passer de 60% à 30%, et même à 20%. “Qu’il faille faire le ménage dans ce genre de dispositif, c’est très bien, et nous soutenons les mesures de simplification, mais sans outil de défiscalisation, il n’y aura plus de construction d’hôtels. Donc imaginer qu’on atteindra 600 000 touristes en diminuant le dispositif de défiscalisation pour l’hébergement, on se trompe complètement", déplore Nuihau Laurey. Ajoutez à cela, la suppression de l'exonération sur la contribution supplémentaire à l'impôt sur le bénéfice des sociétés (CSIS), c'est le pompon !
 
Un ministre têtu... une assemblée souveraine
 
Mais face à tous ces arguments, et surtout face à l'amendement des élus de sa propre majorité, le ministre de l'Économie a campé sur ses positions. Sauf que Tevaiti Pomare a peut-être oublié – on mettra cela sur le compte de l'inexpérience – que c'est l'assemblée qui est souveraine comme l'a d'ailleurs rappelé Tepuaraurii Teriitahi juste avant la suspension de séance.

"Lorsqu’en face, il y a un amendement de la majorité, on peut se dire que la proposition du ministre ne va pas passer parce qu’il ne faut pas oublier que ce sont les représentants à l’assemblée qui ont le dernier mot, en l’occurrence la majorité. Et là, la majorité n’est pas d’accord avec le ministre.” Elle ne croyait pas si bien dire puisqu'au retour de la pause, les élus de la majorité se sont joints à Ahip et au Tapura pour voter contre cet article qui est donc tout bonnement rejeté.
 
Deuxième article, même punition
 
Même scénario un peu plus tard avec l'article sur la suppression partielle des avantages fiscaux accordés aux véhicules hybrides et électriques. Là encore, l'amendement présenté par Tony Géros est refusé par un ministre dont l'entêtement est difficile à comprendre. D'autant que l'amendement en question n'était pas non plus révolutionnaire puisqu'il entendait simplement rétablir l'exonération des véhicules hybrides tout en conservant la taxation en vigueur sur les véhicules électriques (taxe de mise en circulation et TVA). Résultat des courses, là encore, cet article (LP 4) est rejeté, les élus Tavini votant contre, à l'instar de ceux de l'opposition Ahip et Tapura qui assistent médusés à ce spectacle ubuesque de la majorité.
 
Reste qu'en l'état, le budget primitif 2024 de la Polynésie française est insincère puisqu'il manque désormais 1,5 milliard de francs au titre de la CSPI et 719 millions de francs au titre de la suppression de l'exonération sur les véhicules hybrides, ces deux articles ayant été rejetés. Et pendant ce temps, le président du Pays se promène en métropole...

​“Ce texte ne lutte pas contre la cherté de la vie, il vient l'accentuer”

 
“C’est rare d’être en opposition quasiment sur toutes les dispositions d’un texte et ça a été l'exploit du ministre”, s'est étonné Nuihau Laurey qui ne comprend pas bien la logique entre la volonté, affichée tout du moins, du gouvernement de lutter contre la cherté de la vie et de rétablir de l'équité sociale, tout en supprimant, dans le même temps, des exonérations de taxes.
Sur les véhicules hybrides déjà, “ce qui va à l’encontre de la transition énergétique”, mais aussi sur les matériaux de construction sur lesquels le gouvernement réintroduit les droits de douane. “Donc finalement, ce texte ne lutte pas contre la cherté de la vie, il vient l’accentuer”, a-t-il tancé. D'autant qu'il regrette que ce texte ne s'attaque toujours pas “à la première chose à faire” avant de créer un nouvel impôt, à savoir “réduire les dépenses publiques”.

Rédigé par Stéphanie Delorme le Mardi 21 Novembre 2023 à 17:52 | Lu 7736 fois