Tahiti Infos

Face au trafic d'ice, apporter des réponses "extrêmement fermes"


Tahiti, le 15 novembre 2022 – En déplacement sur le territoire pour assister au séminaire dédié à la lutte contre les stupéfiants, le directeur des affaires criminelles et des grâces, Olivier Christen, a accordé un entretien à Tahiti Infos dans lequel il rappelle notamment quelles sont les priorités de l'État, à savoir la lutte contre le trafic de stupéfiants, les violences conjugales et les atteintes à la probité.
 
En préambule, pourriez-vous rappeler quelles sont les missions de la Direction des affaires criminelles et des grâces (DGAC) que vous dirigez?
 
“La DGAC a pour charge d'encadrer les politiques définies par le gouvernement et le garde des Sceaux, c’est-à-dire des politiques publiques en matière pénale. Il lui revient d'établir les instructions qui vont être adressées aux procureurs généraux et aux procureurs de la République pour qu'ils puissent ensuite les adapter à la situation de leur ressort et les mettre en œuvre. En matière de politique publique, cela revient à identifier, au regard des problématiques qu'il peut y avoir en termes de délinquance sur les différents points du territoire, les priorités qui sont définies et la façon dont doivent être assurées la prévention, la répression et la mise en œuvre des décisions judiciaires qui sont prises.”

 
Votre présence à ce séminaire traduit, à l'évidence, l'intérêt de l'État pour la lutte contre le trafic de stupéfiants, notamment dans les territoires éloignés comme la Polynésie. Quels sont les points qui retiennent votre attention?
 
“En effet, la lutte contre les stupéfiants est l'une des priorités de politique pénale qui est régulièrement rappelée et qui a fait l'objet de développements plus spécifiques dans le cadre de la circulaire établie par le garde des Sceaux le 20 septembre 2022. Ces développements couvrent tout le champ de la lutte jusqu'à la demande et à l'offre avec plusieurs points d'attention qui se déclinent localement. En ce qui concerne la demande, c'est d'assurer, lorsqu'il s'agit de produits “lourds”, qu'il y a une bonne articulation avec les politiques de santé publique. Il y a une spécificité en Polynésie puisque la santé relève du Pays quand le dispositif répressif relève de l'État. Mais comme l'a dit le président Édouard Fritch lundi, le partenariat est essentiel dans ce domaine-là avec ce que fait le Pays en matière de prise en charge des toxicomanes et la manière dont cela s'articule avec les réponses pénales que donne le parquet vis-à-vis des consommateurs. 80% des personnes qui sont prises en charge pour de la consommation d'ice sont orientées par le procureur de la République. Le partenariat fonctionne donc bien sur ce dispositif.”

 
Qu'en est-il pour les trafiquants?
 
“À l'autre bout du spectre, il y a les trafiquants. Compte tenu de la position polynésienne qui est à la fois la destination pour la méthamphétamine et le point de transit pour toutes les autres drogues avec des trafiquants de haut niveau plutôt basés aux États-Unis ou en Amérique centrale, une partie des affaires est plutôt traitée à Paris qui a une compétence élargie pour ce qui relève de la criminalité organisée. Ensuite, pour les trafiquants locaux qui pilotent leur action d'ici avec pour seul objectif d'alimenter le marché polynésien, il s'agit, outre leur arrestation, d'agir sur toute la partie financière en luttant contre le blanchiment et en saisissant leurs avoirs. Et puis, au milieu de cette chaîne, il faut bien avoir à l'esprit que tout ce qui est lié aux stupéfiants fonctionne en grande partie sur le recours à la vulnérabilité sociale des personnes. Je parle des mules, des petits revendeurs locaux qui ont la pression des personnes qui sont un peu plus éloignées et qui exploitent des gens plus pauvres pour leur faire faire les transports dangereux, les transports risqués sur le plan pénal.”
 
En Polynésie, la population craint une augmentation croissante de la délinquance corrélée au trafic de stupéfiants, êtes-vous conscient de cette inquiétude?
 
“Nous en avons conscience. Nous disons souvent que la drogue ne tue pas que le consommateur qui fait une overdose. C'est toutes les personnes qui tournent autour qui peuvent être conduites à commettre des actes de délinquance pour s'en procurer, et il y a un niveau de trafic intermédiaire qui peut conduire à des règlements de comptes entre les personnes et a des violences beaucoup plus lourdes et beaucoup plus graves. Lutter contre les trafics de drogues, c'est lutter contre toutes ces dimensions et c'est pour cela que si l'on veut être efficace, il faut attaquer chaque maillon de la chaîne car aucun ne peut s'en détacher. Mais en effet, le développement du trafic ne peut qu'entraîner une délinquance collatérale. C'est pour cela que le président du Pays a rappelé hier la dimension sociale du sujet en rappelant qu'il s'agissait aussi de questions d'éducation et de prévention.”
 
Ce séminaire se tient à huis clos car il porte notamment sur la stratégie des différents services engagés pour la lutte contre le trafic dans le Pacifique. Peut-on tout de même avoir une idée des points qui y sont abordés et des attentes des différents participants?
 
“Le séminaire est moins porté sur les politiques immédiates vis-à-vis des consommateurs et des trafiquants que sur la manière dont on lutte sur les voies de transit internationales, comme avec le transit de la cocaïne qui vise la position centrale de la Polynésie dans le Pacifique entre l'Amérique et l'Australie ou la Nouvelle-Zélande. Pour attaquer ces voies de livraison ou de transit, en haute mer ou dans les ports, il est essentiel d'avoir une bonne coopération entre les services de police et les services judiciaires car pour être efficace, il faut identifier toutes les différentes étapes. On ne peut être efficace ici que si l'on sait que les Américains contrôlent la méthamphétamine qui part de Californie ou que les Australiens aident à identifier les bateaux potentiellement transporteurs de cocaïne. Ce travail-là n'est pas nouveau mais toute la coopération policière et judiciaire est souvent fondée sur des contacts qui se font au travers de ce type de séminaire et qui s'inscrivent dans des cadres légaux. Il est essentiel de faire des points avec l'ensemble des acteurs. Ces rencontres sont donc indispensables pour la coopération ne s'assèche pas et qu'elle soit toujours plus dynamique.”
 
En matière de trafic de stupéfiants mais également de violences conjugales, la politique du parquet se doit-elle d'être particulièrement répressive?
 
“En matière de stupéfiants et de violences conjugales, il s'agit d'avoir des réponses extrêmement fermes qui utilisent tout le spectre de la réponse pénale : la prison, les sursis probatoires avec des obligations, etc. Mais la fermeté de la réponse pénale suppose que cette réponse doit être claire, efficace et cohérente à l'encontre du délinquant. Concernant les violences conjugales en particulier, je sais que beaucoup de choses ont été développées en Polynésie avec la mise en place des téléphones grave danger (TDG) et les partenariats permettant, notamment, l'accueil des victimes ou des conjoints violents.”
 

Les atteintes à la probité sur le territoire font-elles également partie des priorités de l'État ?
 
“La lutte contre les atteintes à la probité fait aussi partie des priorités fixées par le gouvernement et ont été reprises dans la dernière circulaire du garde des Sceaux pour l'ensemble du territoire. Ce sont des points d'attention spécifiques sur lesquels nous travaillons avec les différents services qui aident à détecter les atteintes à la probité – les services fiscaux, les services de renseignement financiers – afin de les identifier, de donner des moyens d'investigation aux services d'enquête et si les éléments sont confirmés, de transmettre au parquet. C'est un sujet qui fait l'objet d'une attention particulière.”
 
De manière plus générale, comment percevez-vous et gérez-vous les juridictions les plus éloignées?
 
“Nous avons des liens très réguliers avec ces juridictions éloignées. Il y a toujours eu cette volonté de les considérer comme des juridictions normales qui sont comme les autres. Cela veut dire que les magistrats qui sont ici participent à tous les programmes de formation qui sont développés par l'École nationale de la magistrature en métropole. Les chefs de cour et de juridiction sont associés à toutes les réunions qui sont faites et viennent régulièrement à Paris. La visioconférence est très, très utilisée puisqu'elle est très pratique pour des réunions très ponctuelles. Les échanges que nous avons avec les magistrats ici ne sont pas plus rares qu'avec ceux d'autres juridictions moins éloignées.”

Rédigé par Garance Colbert le Mardi 15 Novembre 2022 à 13:45 | Lu 1006 fois