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Évasans, vers la fin d'un système


Tahiti, le 13 juin 2022 - À l’occasion des tables rondes clôturant les Assises de la santé, le sujet épineux et couteux des évasans a longuement été débattu. Défi majeur d'un système de santé en place sur un vaste territoire, l'organisation des évacuations sanitaires est, de l'aveu des acteurs de la santé, un dispositif à bout de souffle. Des propositions de reforme sont attendues dans les semaines qui viennent.
 
En 2021, près de 34 000 évacuations sanitaires (évasans) ont eu lieu en Polynésie française et ont concerné environ 17 000 patients. Des chiffres en perpétuelle hausse et qui ont, avec la levée des restrictions sur les vols interinsulaires, rattrapé et dépassé ceux constatés avant l'épidémie de Covid-19. Le système, fortement sollicité, se heurte notamment aux importantes contraintes de transport, d'hébergement et aux impératifs de coordination entre les différents acteurs de la santé impliqués. Une importante réforme est à prévoir.
 
Transport à revoir
 
Si l’arrivée prévisible de la concurrence dans le transport aérien inter-îles est attendue impatiemment pour la gestion des évasans, le manque de visibilité est cependant encore de mise. “On n’a pas de vision du paysage aérien à court terme, pas d’idée du transport et des coûts”, selon Vincent Fabre, le directeur général de la Caisse de prévoyance sociale (CPS). Une concurrence entre transporteurs privés attendue mais pour l'instant inconnue. En l'état actuel, les capacités variables d’Air Archipels, en fonction notamment des quotas d’heures des pilotes ou des difficultés liées aux atterrissages de nuit, obligent très souvent à trouver une solution alternative au privé. Pour le Dr Tony Tekuataoa, chef du service des urgences au CHPf, “on est en défaut de moyens civils ce qui impacte lourdement, car on est obligés de faire appel aux militaires”. Ce recours aux moyens de l’Armée a été croissant avec 144 interventions en 2021 contre seulement 47 en 2017 et 19 sur toute la période 2000-2007. Il a également atteint ses limites. L’intervention est “très coûteuse et compliquée" avec par exemple une facture du Guardian qui atteint 1,2 million de Fcfp de l’heure de vol, soit quatre fois plus que l'opérateur privé. Cette intervention de l’État se fait par ailleurs au détriment des propres missions opérationnelles de l’Armée. Elle devrait donc de surcroit se réduire dans les années à venir. “L’État a prévenu qu’il fallait que l’on trouve des solutions pour être plus autonome car il sera moins présent”, indique Vincent Fabre.
 
Évasans programmées mais non planifiées
 
Une faible concurrence et un désengagement de l’État dans le transport qui s'ajoutent aux problèmes rencontrés dans l'autre dimension des évasans, à savoir l’hébergement. La problématique de l'hébergement intervient souvent avant et après l’intervention médicale. En 2021, près de 30 000 évasans programmées ont été prises en charge et représentaient près de 90% des transferts. Face à ce flux, les capacités de l’Hospitel s'avèrent largement insuffisantes et la solidarité familiale joue encore à plein pour loger les malades pour ces interventions programmées. Une notion de programmation qui n’est pas vraiment de rigueur car ces évasans répondent plus à une logique cyclique, avec des pics pendant les périodes de vacances scolaires. Ces périodes de forte demande génèrent des problèmes logistiques avec une saturation des hébergements. “On n’arrive pas à endiguer les flux.” Pour Vincent Fabre, il faut passer par un nécessaire effort de planification qui doit également conduire à s’interroger sur la prise en charge des accompagnants selon des critères d’éligibilité clairs et précis.
 
Propositions bientôt dans les tuyaux
 
Une recherche d’optimisation de la gestion et de régulation des évasans sur laquelle tout le monde s'accorde et qui doit passer par une refonte du cadre réglementaire vieillissant. Pour Luc Tapeta, conseiller technique auprès du ministre de la Santé et ancien président de la CPS, il est nécessaire de “réformer un système qui a 20-30 ans d'âge” et qui “ne répond plus aux besoins”, d'autant que le coût des évasans est de plus en plus important. La facture annuelle pour la CPS dépasse désormais les deux milliards de Fcfp, rien que pour le transport, auxquels s'ajoutent 200 millions de Fcfp pour l'hébergement. “On sera obligé de changer de modèle.” Il a ainsi indiqué qu'une étude avait été lancée par le ministère de la Santé et que les résultats sont attendus pour la mi-juin. “Il y aura des propositions de réorganisation dans les semaines à venir.” Une nécessaire réforme qui devra trouver un difficile équilibre entre une meilleure maitrise des coûts et une limitation des pertes de chances des Polynésiens dans l’accès aux soins.
 

​Vincent Fabre, directeur général de la CPS : “La coordination sur les évasans doit être plus efficiente”

Les évasans, c'est avant tout un problème de transport aérien. Difficile pour la CPS de s'adapter à un paysage en évolution ?
 
“La problématique des transports est effectivement centrale au regard de la dispersion géographique. Dans les évasans, il faut bien distinguer les évasans urgentes des évasans programmées. Sur les évasans urgentes, on a la problématique du recours qui va être de plus en plus difficile aux moyens de l'Armée. Donc il va falloir qu'on trouve des solutions pour être le plus autonome possible. Sur les évasans programmées, on voit d'un bon œil l'ouverture à la concurrence à la fois sur le transport aérien et le transport maritime mais cela nécessite du coup une meilleure planification, une meilleure anticipation et une meilleure régulation.”
 
La question de l'hébergement est également prégnante ?
 
“Là encore, on retrouve à la fois une augmentation du nombre d'évasans avec plus de 30 000 évasans programmées par an, c'est colossal, et effectivement des pics et des cycles dans
l'année avec un nombre d'évasans plus important notamment pendant les périodes de vacances scolaires. C'est la raison pour laquelle il est important d'améliorer la régulation et la planification pour pouvoir justement mieux juguler l'étalement des évasans dans l'année. Aujourd'hui, cela se conjugue avec une saturation des conditions d'hébergement. L'Hospitel, principal hébergeur à côté du CHPf, ne permet pas aujourd'hui d'accueillir tous les évasanés dans de bonnes conditions.”
 
La CPS appelle donc à une meilleure régulation et une optimisation du système ?
 
“Oui, cette optimisation, cette efficience, la CPS doit en être porteuse et garante. On est un acteur majeur et central dans le dispositif de gestion des évasans ; mais on n’est pas les seuls. Il faut que l'on soit en bonne coordination avec les prescripteurs dans les îles, notamment la Direction de la Santé publique et également la structure d'accueil des patients sur Tahiti, principalement le CHPf. Cette coordination doit être plus efficiente.”
 

​625 millions de Fcfp pour deux hélicoptères en stand-by

Évoqué implicitement et explicitement, le drame du petit Hoane a plané lors des échanges sur l’organisation des évasans. En octobre 2019, le bébé de 3 mois était décédé lors de son rapatriement en poti marara de Ua Pou à Nuku Hiva alors que l’assemblée de Polynésie venait d’ouvrir une "mission d’information portant sur la prise en charge des patients bénéficiant d’une évacuation sanitaire inter-îles en Polynésie française" en août 2019. En décembre 2021, la Direction de la Santé a lancé une consultation pour trouver un prestataire pouvant assurer la permanence du "service médical d’urgence héliporté" (SMUH) pendant deux ans. Un cahier des charges est rédigé sur mesure. La prestation consiste en effet dans la "mise à disposition d’un appareil biturbine" ainsi que "d'un appareil de remplacement, présent physiquement aux Marquises", les deux hélicoptères devant être "en capacité d’être exploités au 1er avril 2022". Sans surprise, une seule offre a été reçue, celle de Tahiti Nui Helicopters (TNH), filiale d’Air Tahiti Nui. Une prestation qui consiste donc pour TNH à assurer une permanence douze heures par jour, entre 6 heures et 18 heures, en cas de transport médical d’urgence étant précisé que "le titulaire ne dispose pas d’un droit d’exclusivité intégral sur la prestation, l’État ou un prestataire avion pouvant également effectuer des EVASAN si nécessaire". Ces hélicoptères, pilotes et matériels médicaux compris, restent donc en attente, pouvant être mobilisés au cas où et réduisant ainsi leur exploitation commerciale. Cette astreinte a cependant un coût accepté par le ministère de la Santé qui a signé le contrat, notifié le 22 avril dernier. Pour les 24 mois de la prestation, TNH percevra 625 millions de Fcfp, soit environ 142 000 Fcfp de l’heure.
 

Rédigé par Sébastien Petit le Lundi 13 Juin 2022 à 18:48 | Lu 5285 fois