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En Indonésie, l'avenir flou des réfugiés rohingyas venus par la mer


RAHMAT MIRZA / AFP
RAHMAT MIRZA / AFP
Lhokseumawe, Indonésie | AFP | mercredi 19/12/2023 - Sur une île reculée du nord-ouest de l'Indonésie, non loin de plages de sable blanc où plus d'un millier de Rohingyas ont débarqué depuis la mi-novembre, des centaines d'habitants en colère manifestent devant un campement de ces réfugiés.

"Chassez-les!" scande un meneur sous les encouragements des manifestants qu'un mince cordon policier retient de pénétrer dans le campement.

Depuis la mi-novembre, plus de 1.000 réfugiés rohingyas, cette minorité musulmane persécutée en Birmanie, ont fui leurs camps précaires au Bangladesh pour gagner la province indonésienne d'Aceh par la mer, dans des embarcations de fortune.

C'est le plus important mouvement de migration de Rohingyas vers l'Indonésie depuis 2015, selon les Nations unies.

Après leur dangereuse traversée, ces réfugiés font face à un nouvel obstacle: l'hostilité à leur encontre de la population locale, qui tente de forcer leurs bateaux à faire demi-tour ou de détruire leurs tentes.

Le gouvernement indonésien leur fournit des équipements d'urgence et des vivres, mais répète que son aide n'est que provisoire.

Par conséquent, ces réfugiés sont laissés dans un difficile entre-deux, étant régulièrement déplacés par les autorités ou livrés à eux-mêmes sur le rivage.

"On ne saura pas où aller" 

"Je pense que notre avenir sera meilleur en Indonésie si le gouvernement et le peuple indonésiens nous autorisent à rester", estime Manzur Alam, un Rohingya de 24 ans arrivé le mois dernier.

"S'ils ne nous autorisent pas à rester, on ne saura pas où aller", ajoute-t-il, interrogé par l'AFP dans un refuge à Lhokseumawe, une ville côtière dans la province d'Aceh, au nord de la grande île indonésienne de Sumatra.

Comme les conditions de vie précaires dans les camps de réfugiés rohingyas au Bangladesh se dégradent considérablement, certains d'entre eux décident de tenter de rallier par la mer l'Indonésie ou la Malaisie, deux autres pays à majorité musulmane où ils espèrent être mieux lotis.

De fait, des habitants de la province d'Aceh compatissent avec leurs coreligionnaires, ayant souvent eux-mêmes en mémoire les décennies de conflit entre des séparatistes locaux et l'armée indonésienne jusqu'au début des années 2000.

Certains soutiennent activement ces nouveaux-venus, en leur offrant des habits, des vivres et des médicaments.

Mais d'autres, la patience à bout, accusent les Rohingyas de prendre des ressources déjà rares et de se quereller parfois avec la population locale.

"Nous, les habitants du village de Kota Baru, nous rejetons les réfugiés rohingyas", peut-on lire sur une banderole installée près d'un autre de leur campement dans un bâtiment administratif de Banda Aceh, la capitale provinciale.

Et sur les réseaux sociaux indonésiens, l'équipe AFP de fact-checking a observé une augmentation des commentaires négatifs, rumeurs malveillantes et désinformation au sujet des Rohingyas.

"Priorité" aux locaux 

Le président indonésien Joko Widodo a accusé ce mois-ci des trafiquants d'être responsables de cet afflux de réfugiés et a affirmé que son gouvernement allait agir "en priorité" au nom des intérêts de la population indonésienne locale.

Comme l'Indonésie n'est pas signataire de la Convention des Nations unies sur les réfugiés, Jakarta estime n'être pas obligé de s'en occuper.

"L'Indonésie continue d'appeler les pays concernés à faire preuve de plus de responsabilité dans la gestion des réfugiés rohingyas", a déclaré la semaine dernière le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Lalu Muhamad Iqbal, en faisant référence aux signataires de la Convention des Nations unies.

La montée du sentiment anti-réfugiés et les appels de l'Indonésie à relocaliser les Rohingyas alarment les ONG de défense des droits humains.

"Nous constatons tous que le gouvernement central semble fermer les yeux sur la gestion des réfugiés rohingyas bloqués à Aceh", dénonce auprès de l'AFP Azharul Husna, coordinatrice de l'association de défense des droits Kontras Aceh. 

"Nous gérons la situation comme des pompiers, nous sommes débordés lorsque des arrivées se produisent", souligne-t-elle.

Au refuge de Lhokseumawe, Manzur Alam pense que son avenir est entre les mains de l'ONU. En attendant, il est juste heureux d'être vivant et sur la terre ferme.

"Je prie pour tous ceux qui sont en mer", dit-il.

le Mercredi 20 Décembre 2023 à 05:36 | Lu 1004 fois