Matoury, France | AFP | vendredi 16/02/2023 - "A 10 ans il fumait, sa mère était prostituée. A 20 ans c'était un tueur." Brossé par le procureur général de Cayenne Joël Sollier, le portrait de ce gamin né sur un site d'orpaillage illégal guyanais et devenu le porte-flingue d'un gang fait froid dans le dos.
"On lui a dit d'abattre un type", poursuit le magistrat. "Alors sans vraiment savoir qui c'était, il s'est avancé avec un fusil à pompe et l'a abattu comme un chien dans un hamac..."
Aujourd'hui sous les verrous, ce garçon faisait partie d'un de ces groupes criminels hyper violents venus du Brésil voisin, dont les activités en pleine expansion dans le territoire français d'Amérique du Sud ne cessent d'inquiéter les autorités.
Comme lui, des dizaines de jeunes sans emploi ni avenir sont devenus les proies faciles de ces mafias, qui les recrutent à grandes promesses d'argent facile dans les prisons et bidonvilles de Guyane.
Comme dans celui de "Buraco". Cette nuit d'octobre, les gendarmes patrouillent dans cet entrelacs de baraques de tôles sur pilotis de la banlieue de Cayenne, connu pour être l'une des bases logistiques des orpailleurs illégaux qui écument la forêt amazonienne.
Vautrés sur un canapé avec vue sur les détritus et eaux usées qui s'écoulent des cabanes, une poignée de jeunes soufflent les volutes caractéristiques bleutées de leurs clopes chargés de résine de cannabis, sur fond de musique brésilienne.
Les hommes du Peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (Psig) de Matoury sillonnent ce dédale tous les soirs. Au fil de leurs visites, ils y croisent des femmes qui préparent des colis pour les camps d'orpaillage, des hommes malades après des semaines de labeur dans la forêt et des "factionnaires" venus s'y "mettre au vert".
A en croire les autorités, deux groupes de ces bandits prêts à tout tiennent le haut du pavé guyanais: le Comando Vermelho et la Familia Terror do Amapà (FTA), originaire de l'Etat éponyme situé sur la rive brésilienne du fleuve Oyapock, au sud de la Guyane.
Prise de contrôle
Sa capitale Macapa affiche le taux d'homicide le plus élevé du Brésil: 63,2 pour 100.000 habitants contre 16,7 en Guyane et 1,3 en moyenne en France.
Ces groupes sont impliqués dans toutes sortes d'activités: vols, trafics d'armes ou de drogues et, bien sûr, l'orpaillage illégal qui leur a servi de porte d'entrée sur le sol guyanais en 2017.
"Ils empiètent sur le territoire français", confirme Hélio Furtado, procureur au département de la Justice de l'Etat d'Amapá. "Ils chassent les orpailleurs clandestins qui étaient déjà là, qui n'ont aucun lien avec le crime organisé, et prennent le contrôle de la zone en exploitant les sites pour financer leurs organisations".
Au Brésil, FTA est connue pour ses méthodes ultraviolentes, y compris entre ses membres.
"Ce qui est dangereux, c'est que ces gangs ont la mainmise sur leurs participants. Ils n'hésitent pas à menacer les familles. Rentrer dans un gang est facile, en sortir est quasiment impossible", relate une source judiciaire française.
"C'est une menace pour la Guyane française", appuie le commissaire Bruno Almeida, de la police civile d'Amapá. "Ils sont hors-la-loi. Ils ne reculent devant rien."
Les "factionnaires" n'ont pas tardé à faire main basse sur la criminalité guyanaise, en imposant leurs méthodes. "Ils s'intéressent surtout à l'or, à l'argent et aux armes. Ils ont pris le contrôle des gangs. On a une série de vols avec violences à domicile, des gens ligotés", souligne une source proche du dossier.
"Ce sont presque des kamikazes. Ils n'ont aucune limite", se désole le procureur général Sollier. "Ils sont capables d'abattre des gens pour un oui ou pour non."
Coup de filet
En 2022, une cinquantaine d'homicides ont été recensés en Guyane.
"Une bonne partie est imputable à ces factions criminelles", décrit le magistrat, qui évoque des "exécutions". L'avocate cayennaise Saphia Benhamida évoque aussi "des règlements de compte en plein jour". "On est monté en grade", déplore-t-elle.
Les autorités françaises ont pris la mesure de la menace. En septembre, le gouvernement a annoncé l'envoi de renforts spécialisés - gendarmes et magistrats - après une série d'homicides survenue pendant l'été.
Début février, au terme de plus d'un an d'enquête, un vaste coup de filet mobilisant 200 gendarmes a permis d'interpeller 14 personnes impliquées dans une organisation polycriminelle franco-brésilienne suspectées d'avoir préparé des vols à main armée.
Leur appartenance ne fait guère de doute: de nombreuses inscriptions "FTA" à la peinture jaune ont été repérées sur les murs et des véhicules là où certains d'entre eux ont été interpellés, sur l'île de Cayenne.
Tout comme les narcotrafiquants, ceux qui les dirigent profitent de la grande précarité du territoire pour recruter.
"La Guyane et le Brésil sont très proches. Avec des bateaux rapides, ils peuvent être ici un jour et là-bas le lendemain", observe le commissaire brésilien Bruno Almeida.
"Au Brésil, ils sont recherchés aussi et c'est une des raisons pour lesquelles ils traversent volontiers la frontière de temps en temps pour se mettre au vert. Mais pas longtemps, ils profitent des opportunités ici", analyse une source judiciaire.
Ceux qui sont arrêtés et condamnés en Guyane sont incarcérés dans la prison de Rémire-Montjoly, dans la banlieue de Cayenne.
Recrutement pénitentiaire
"Vous avez 50% d'étrangers à Rémire, dont la moitié sont des Brésiliens", observe le procureur général Sollier. "Il y a un vrai risque de prolifération par la détention car ce sont des organisations très structurées, en permanence en recrutement", avertit une source proche du dossier.
Signe de leur présence, un quartier d'isolement a été baptisé "Macapa", du nom de la capitale de l'Etat d'Amapà d'où sont originaires les membres de FTA, selon une avocate de Cayenne.
Sollicitée par l'AFP, la Chancellerie concède que les "problématiques de gangs et phénomènes de caïds en détention constituent un enjeu majeur de sécurité pour le centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly".
"On ne tient pas du tout à avoir ces types-là chez nous", insiste Joël Sollier. "Et les Brésiliens préfèrent les avoir chez eux plutôt qu'en Guyane car, de leur point de vue, ils ont une capacité d'action conservée."
Et ce même si derrière les barreaux des prisons de haute sécurité brésiliennes, ils continuent à gérer leurs affaires courantes.
"Ils parviennent à corrompre des avocats, des gardiens qui apportent des portables, des gens qui jettent des téléphones au-dessus des murs des prisons, des proches qui font entrer et sortir des informations", énumère le commissaire Almeida.
Actuellement, aucun accord ne permet aux Brésiliens détenus à Rémire-Montjoly de purger leur peine au pays.
"Si l'un d'eux ne veut pas retourner au Brésil, on ne peut pas le contraindre. Aucun d'eux ne veut purger sa peine là-bas. Chez eux, la seule sanction c'est la mort. La prison ici, c'est un peu la +faction académie+", ironise une source proche du dossier.
"On lui a dit d'abattre un type", poursuit le magistrat. "Alors sans vraiment savoir qui c'était, il s'est avancé avec un fusil à pompe et l'a abattu comme un chien dans un hamac..."
Aujourd'hui sous les verrous, ce garçon faisait partie d'un de ces groupes criminels hyper violents venus du Brésil voisin, dont les activités en pleine expansion dans le territoire français d'Amérique du Sud ne cessent d'inquiéter les autorités.
Comme lui, des dizaines de jeunes sans emploi ni avenir sont devenus les proies faciles de ces mafias, qui les recrutent à grandes promesses d'argent facile dans les prisons et bidonvilles de Guyane.
Comme dans celui de "Buraco". Cette nuit d'octobre, les gendarmes patrouillent dans cet entrelacs de baraques de tôles sur pilotis de la banlieue de Cayenne, connu pour être l'une des bases logistiques des orpailleurs illégaux qui écument la forêt amazonienne.
Vautrés sur un canapé avec vue sur les détritus et eaux usées qui s'écoulent des cabanes, une poignée de jeunes soufflent les volutes caractéristiques bleutées de leurs clopes chargés de résine de cannabis, sur fond de musique brésilienne.
Les hommes du Peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (Psig) de Matoury sillonnent ce dédale tous les soirs. Au fil de leurs visites, ils y croisent des femmes qui préparent des colis pour les camps d'orpaillage, des hommes malades après des semaines de labeur dans la forêt et des "factionnaires" venus s'y "mettre au vert".
A en croire les autorités, deux groupes de ces bandits prêts à tout tiennent le haut du pavé guyanais: le Comando Vermelho et la Familia Terror do Amapà (FTA), originaire de l'Etat éponyme situé sur la rive brésilienne du fleuve Oyapock, au sud de la Guyane.
Prise de contrôle
Sa capitale Macapa affiche le taux d'homicide le plus élevé du Brésil: 63,2 pour 100.000 habitants contre 16,7 en Guyane et 1,3 en moyenne en France.
Ces groupes sont impliqués dans toutes sortes d'activités: vols, trafics d'armes ou de drogues et, bien sûr, l'orpaillage illégal qui leur a servi de porte d'entrée sur le sol guyanais en 2017.
"Ils empiètent sur le territoire français", confirme Hélio Furtado, procureur au département de la Justice de l'Etat d'Amapá. "Ils chassent les orpailleurs clandestins qui étaient déjà là, qui n'ont aucun lien avec le crime organisé, et prennent le contrôle de la zone en exploitant les sites pour financer leurs organisations".
Au Brésil, FTA est connue pour ses méthodes ultraviolentes, y compris entre ses membres.
"Ce qui est dangereux, c'est que ces gangs ont la mainmise sur leurs participants. Ils n'hésitent pas à menacer les familles. Rentrer dans un gang est facile, en sortir est quasiment impossible", relate une source judiciaire française.
"C'est une menace pour la Guyane française", appuie le commissaire Bruno Almeida, de la police civile d'Amapá. "Ils sont hors-la-loi. Ils ne reculent devant rien."
Les "factionnaires" n'ont pas tardé à faire main basse sur la criminalité guyanaise, en imposant leurs méthodes. "Ils s'intéressent surtout à l'or, à l'argent et aux armes. Ils ont pris le contrôle des gangs. On a une série de vols avec violences à domicile, des gens ligotés", souligne une source proche du dossier.
"Ce sont presque des kamikazes. Ils n'ont aucune limite", se désole le procureur général Sollier. "Ils sont capables d'abattre des gens pour un oui ou pour non."
Coup de filet
En 2022, une cinquantaine d'homicides ont été recensés en Guyane.
"Une bonne partie est imputable à ces factions criminelles", décrit le magistrat, qui évoque des "exécutions". L'avocate cayennaise Saphia Benhamida évoque aussi "des règlements de compte en plein jour". "On est monté en grade", déplore-t-elle.
Les autorités françaises ont pris la mesure de la menace. En septembre, le gouvernement a annoncé l'envoi de renforts spécialisés - gendarmes et magistrats - après une série d'homicides survenue pendant l'été.
Début février, au terme de plus d'un an d'enquête, un vaste coup de filet mobilisant 200 gendarmes a permis d'interpeller 14 personnes impliquées dans une organisation polycriminelle franco-brésilienne suspectées d'avoir préparé des vols à main armée.
Leur appartenance ne fait guère de doute: de nombreuses inscriptions "FTA" à la peinture jaune ont été repérées sur les murs et des véhicules là où certains d'entre eux ont été interpellés, sur l'île de Cayenne.
Tout comme les narcotrafiquants, ceux qui les dirigent profitent de la grande précarité du territoire pour recruter.
"La Guyane et le Brésil sont très proches. Avec des bateaux rapides, ils peuvent être ici un jour et là-bas le lendemain", observe le commissaire brésilien Bruno Almeida.
"Au Brésil, ils sont recherchés aussi et c'est une des raisons pour lesquelles ils traversent volontiers la frontière de temps en temps pour se mettre au vert. Mais pas longtemps, ils profitent des opportunités ici", analyse une source judiciaire.
Ceux qui sont arrêtés et condamnés en Guyane sont incarcérés dans la prison de Rémire-Montjoly, dans la banlieue de Cayenne.
Recrutement pénitentiaire
"Vous avez 50% d'étrangers à Rémire, dont la moitié sont des Brésiliens", observe le procureur général Sollier. "Il y a un vrai risque de prolifération par la détention car ce sont des organisations très structurées, en permanence en recrutement", avertit une source proche du dossier.
Signe de leur présence, un quartier d'isolement a été baptisé "Macapa", du nom de la capitale de l'Etat d'Amapà d'où sont originaires les membres de FTA, selon une avocate de Cayenne.
Sollicitée par l'AFP, la Chancellerie concède que les "problématiques de gangs et phénomènes de caïds en détention constituent un enjeu majeur de sécurité pour le centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly".
"On ne tient pas du tout à avoir ces types-là chez nous", insiste Joël Sollier. "Et les Brésiliens préfèrent les avoir chez eux plutôt qu'en Guyane car, de leur point de vue, ils ont une capacité d'action conservée."
Et ce même si derrière les barreaux des prisons de haute sécurité brésiliennes, ils continuent à gérer leurs affaires courantes.
"Ils parviennent à corrompre des avocats, des gardiens qui apportent des portables, des gens qui jettent des téléphones au-dessus des murs des prisons, des proches qui font entrer et sortir des informations", énumère le commissaire Almeida.
Actuellement, aucun accord ne permet aux Brésiliens détenus à Rémire-Montjoly de purger leur peine au pays.
"Si l'un d'eux ne veut pas retourner au Brésil, on ne peut pas le contraindre. Aucun d'eux ne veut purger sa peine là-bas. Chez eux, la seule sanction c'est la mort. La prison ici, c'est un peu la +faction académie+", ironise une source proche du dossier.