Tahiti Infos

Emmanuelle Rivière veut démocratiser l’art


TAHITI, le 11 janvier 2023 - Elle créé de tout avec crayons et pinceaux pour passer un message. Emmanuelle Rivière est une artiste. Elle affiche sa volonté, farouche, de sortir de l’ordinaire. Elle propose des œuvres pour les adultes comme pour les enfants, elle vise tous les budgets. Son objectif ? Permettre à tous les publics, quels que soient leurs moyens, de faire entrer l’art chez eux.

L’art est une activité, le produit de cette activité ou l’idée qui en découle. L’art s’adresse aux sens, aux émotions, à l’intellect. Pour Emmanuelle Rivière, l’art n’est pas un énième produit de consommation. C’est un moyen de faire passer des messages, les siens, c’est aussi une façon de se démarquer.

Devant elle –l’interview a lieu chez elle– sont disposées quelques-unes de ses créations. Il y a par exemple : La Pêche aux nouilles. Il s’agit d’une paire de pieds suspendue au-dessus des flots. Un sac Chanel est accroché au bout d’un hameçon immergé. Elle a choisi la marque à dessein, car elle est “connue de tous”. Autour du sac, se trouvent des poissons visiblement curieux. Cette toile fait référence à l’argent et la possession. “Je me suis demandé ce que l’humanité ferait s’il n’y avait plus, sur Terre, que des objets de valeurs, si l’argent disparaissait.” Elle considère que “les gens ont tendance à oublier l’essentiel”. L’essentiel étant pour elle de se nourrir, de planter, “d’avoir des bêtes”, d’être “autonome”. Emmanuelle Rivière est traversée par d’innombrables questions, souvent “farfelues”, reconnait-elle. Elle s’interroge et, au lieu d’écrire, elle pose ses pensées sur des toiles.

Non loin se trouve Sublime et silence qui décrit “la réalité des femmes, si belles en Polynésie”. Emmanuelle Rivière revient sur le mythe des vahine et rappelle que cela n’a rien à voir avec ce qui est montré. “Il y a trop de caricatures partout, la femme doit être parfaite, faire du sport.” Elle doit répondre à des exigences imposées, “moi je veux matérialiser ce qui existe vraiment”. La femme polynésienne est “voluptueuse, elle a des formes et une beauté naturelle qui s’assume.” L’artiste dit de ses toiles qu’elles sont “contemporaines et figuratives”.

Elle propose des œuvres qui suscitent la réflexion chez les adultes, éveille la curiosité des enfants. Elle peint sur commande, réalise des portraits. Ses créations à destination du jeune public ne sont pas de son initiative. Elle insiste pour rappeler qu’elles font suite à une remarque de Pascale de la galerie Walk of Art à Papeete. Mais cela rejoint ses propres intentions qui sont de rendre l’art accessible au plus grand nombre.

Pour cet exercice, elle s’appuie sur les suggestions de ses deux filles, Poe, 8 ans, et Lou, 3 ans. Elle est ravie de pouvoir regarder le monde à travers leurs yeux. “C’est un travail d’équipe, elles m’orientent.” La première lance les idées, la seconde apporte des touches enfantines, “elle me dit : ‘rajoute un doudou ici, donne à ce personnage l’air un peu bête…’”, détaille Emmanuelle Rivière. Celle-ci illustre actuellement l’horoscope chinois en représentants des animaux réalistes portant des costumes traditionnels chinois et reprenant des poses de kata.

Originaire de l’océan Indien

Emmanuelle Rivière est née sur l’île de la Réunion il y a quarante-deux ans. Une île qu’elle a quittée à l’âge de 22 ans. Elle revient sur ses premières années : “Je ne suis pas trop allée à l’école, je n’ai pas un super parcours éducatif”. Elle n’avait pas d’idée, petite, sur le métier qu’elle aurait pu faire. En revanche, elle voulait voyager. Un jour, elle a pris un billet d’avion pour Paris. “Je n’avais encore rien vu de ma vie, la destination m’importait peu finalement, j’ai choisi un peu au hasard. Je me suis toujours laissé guider par le hasard. J’ai confiance, je suis très positive et je crois en l’univers.” Elle considère avoir été gâtée par la nature. “J’ai toujours eu beaucoup de chance.”

Dans la capitale, personne ne l’attendait. En arrivant à Paris, elle a travaillé dans la restauration, sachant parfaitement que son escale ne durerait pas. “Il y avait trop de monde, c’était étouffant.” Elle s’est débrouillée, a fait des petits boulots. Elle a tenu deux ans avant de saisir une occasion de partir. Elle s’est ensuite installée à Loudéac en Bretagne, “au fin fond du Morbihan”. La région, qui lui a beaucoup plu, est sa deuxième terre d’accueil. “C’est très inspirant comme endroit, les gens sont très agréables, il n’y a pas de barrière.” Elle y a rencontré ceux qui composent encore aujourd’hui sa famille de cœur. Elle a travaillé dans l’agroalimentaire. “Il ne faut jamais avoir peur, il faut avancer en faisant ce dont on a vraiment envie.” Alors qu’elle vivait en Bretagne, un drame est venu bouleverser sa vie. Son compagnon d’alors est décédé d’un accident de voiture. Emmanuelle Rivière a trouvé refuge chez sa mère qui avait élu domicile à Tahiti.

De la coiffure à la peinture

À Tahiti, elle a trouvé un emploi dans un salon de coiffure. Elle a démarré en tant que technicienne de coloration, “formée par quelqu’un de très gentil, Aline”. C’est là, pense-t-elle, qu’elle s’est mise à aimer la couleur, puis qu’elle a plongé dans l’art pictural. “Je me suis dit pourquoi ne pas utiliser toutes mes connaissances en colorimétrie pour me mettre à la peinture !” Elle a décidé de retourner à la Réunion avec celui qui est, depuis, devenu son mari. Elle voulait obtenir un CAP coiffure et consolider son savoir-faire professionnel. Au cours de sa formation, et plus précisément pendant ses cours de dessin, elle s’est fait repérer. “Mon prof de dessin m’a dit que j’avais un don.” C’est alors qu’elle s’est mise à dessiner “tout et n’importe quoi”.

Elle a quitté la Réunion, avec son mari, et un sac sur le dos pour voyager en Europe. “Nous sommes partis quatre mois et sommes allés jusqu’à Singapour.” Une aventure mémorable et nourrissante. “Ce n’était pas très long, mais royal !” Le couple, finalement, a posé ses bagages à Annecy où Emmanuelle Rivière a continué à dessiner. Elle a commencé à peindre à la gouache, l’acrylique, elle a utilisé des crayons de couleurs avant “d’attaquer l’huile” portée par les précieux conseils de Michel Bredan. “Un peintre très connu à Annecy, un gentil monsieur qui m’a pris sous son aile.” Il lui a donné toutes ses bases, lui a transmis la maîtrise de ce qu’il savait, elle a découvert les techniques de transparence, de voilage. “Je n’ai rien payé pendant un an, j’ai appris beaucoup de choses et lui ai promis de donner un jour, à mon tour et gratuitement, tout ce que je savais.


Partir, et recommencer

Le couple vivait alors très aisément à Annecy. “Mon mari, employé dans l’aéronautique, travaillait en Suisse.” Mais quand “un endroit ne nous plaît plus, on le quitte”. Pour Emmanuelle Rivière, il est plus important d’être bien que d’être très à l’aise financièrement. “Nous avons pris la décision de tout laisser et de retourner en Bretagne.” Puis, le couple, sur un coup de tête ou presque, a fait ses bagages pour la Polynésie française. C’était il y a sept ans. Emmanuelle Rivière, depuis, a rénové leur fare, géré toute la logistique de la maison, tout en prenant soin de ses deux filles. Elle n’a jamais cessé de dessiner. Il y a un an, elle s’est remise à peindre.

Ses toiles, simples à première vue, témoignent d’une grande maîtrise technique. Elles sont pleines “de choses qui me tiennent à cœur”. Elles racontent toutes des histoires de manière peu classique. “C’est très important de sortir du lot.” Ses œuvres sont de format et de tarif variés. Emmanuelle Rivière tient à faire de l’art pour tous, “pour tous les budgets”, insiste-t-elle. Elle tient à ce que ses toiles puissent entrer dans n’importe quel fare. “On réduit l’art à quelque chose de précieux, c’est souvent très élitiste.” Emmanuelle Rivière, sans vouloir galvauder la peinture, veut sortir de l’ordinaire et emmener avec elle toutes celles et tous ceux qui croiseront son chemin et seront sensibles à son talent.

Contacts

FB : E Art Tahiti

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 11 Janvier 2023 à 19:18 | Lu 1227 fois