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Électricité : L'État conteste la SPL des Raromata'i


Tahiti, le 1er février 2022 – Annoncée fièrement mi-décembre par les tāvana de Taputapuatea, Tumara'a, Huahine et Taha'a, la création de la première “Société publique locale” (SPL) polynésienne destinée à reprendre et mutualiser la gestion du service public de l'électricité pose un problème de légalité au haut-commissariat. L'administrateur des îles Sous-le-Vent a écrit aux tāvana pour leur rappeler qu'ils n'avaient pas la compétence pour “constituer ou adhérer à une SPL pour la production et la distribution d'électricité” et pour les alerter sur “l'urgence d'éviter toute rupture d'approvisionnement d'électricité”.
 
Dévoilé mi-décembre dans les colonnes de Tahiti Infos, l'ambitieux projet des quatre communes de Taputapuatea, Tumara'a, Huahine et Taha'a pour reprendre et mutualiser leurs services publics de l'électricité se heurte à un problème juridique sérieux et à un timing compliqué… Les quatre communes, dont le contrat de concession passé avec EDT arrive à échéance le 31 mars prochain, ont en effet décidé de déclarer sans suite les appels d'offres lancés pour le renouvellement de leurs concessions de délégation de service public de production et distribution d'électricité. Et elles se sont lancées dans la constitution d'une structure inédite en Polynésie française : une “société publique locale” (SPL) baptisée Te Uira Api no Raromata'i.
 
La décision a été formalisée par des délibérations des quatre conseils municipaux et entérinée par la constitution des statuts de la SPL le 16 décembre dernier. Une entité qui doit devenir “l'outil de gestion du service public de l'électricité” et dont l'actionnariat sera réparti entre les quatre communes “en fonction du volume d'énergie vendue”. À l'issue des concessions passées avec EDT jusqu'au 31 mars prochain avec les quatre communes, la SPL doit récupérer les 26 salariés du délégataire actuel pour lancer son activité le 1er avril. Mais le haut-commissariat ne l'entend pas de cette oreille…
 
Problème de compétence
 
Dans un courrier adressé la semaine dernière aux quatre tāvana des communes concernées et que Tahiti Infos s'est procuré, l'administrateur des îles du Vent et des îles Sous-le-Vent, Guy Fitzer, conteste la légalité d'une telle opération. Au titre du contrôle de légalité des décisions des communes, il rappelle que “seules les compétences que les communes détiennent de la loi peuvent être confiées à une SPL”. Or, selon l'administrateur, le statut d'autonomie de 2004 –confirmé par un avis du tribunal administratif de 2012– prévoit que seul le Pays est compétent en matière de production et distribution d'électricité et non les communes. L'article 45 du statut prévoit seulement “un régime d'autorisation de la Polynésie française aux communes pour intervenir dans ces domaines”.
 
Et l'administrateur des îles Sous-le-Vent d'en conclure à l'adresse des quatre tāvana des Raromata'i : “Dans ce contexte, vous ne pouvez ni constituer, ni adhérer à une SPL pour la production et la distribution d'électricité, ni acquérir les parts sociales correspondantes”. En conséquence de quoi, l'administrateur demande aux tāvana de “bien vouloir procéder au retrait de votre délibération (…) approuvant la création de la société publique locale Te Uira Api no Raromata'i”.
 
Urgence et solutions
 
Vue la deadline du 31 mars, que les tāvana estimaient déjà impossible à respecter avec la création de la SPL, le représentant de l'État en Polynésie invite les quatre communes à “tirer le meilleur parti” de deux solutions qu'il propose aux municipalités. La première, celle que la commission de délégation de service public recoure à la procédure de négociation directe pour un futur concessionnaire. La seconde, celle qui permet au Pays “d'apprécier les modalités de reprise de la production et de la distribution d'électricité, dans le cadre d'une concession avec une entreprise déterminée” pour “éviter de mettre en péril l'alimentation électrique de tous les foyers de votre commune”.
 
Enfin, l'administrateur évoque également la possibilité pour les communes de voir confier la compétence de la production et de la distribution d'électricité “à un groupement de communes”, qu'il s'agisse de la communauté de commune de Hava'i ou via la création d'un syndicat intercommunal.
 
Le Pays pas de cet avis
 
“C'est un sujet complexe juridiquement”, a concédé lundi le haut-commissaire, Dominique Sorain, interrogé sur le sujet. “Il y a une volonté des communes de reprendre cette compétence du Pays, mais il faut que cela soit juridiquement bien solide. On ne fait pas ça à la légère.” Côté Pays, on s'étonne de l'argumentation juridique déployée par les services du haut-commissariat. Si l'on concède que le statut de 2004 ne permet pas aux communes de disposer de cette compétence de l'énergie, on oppose le Code général des collectivités territoriales qui fixe les compétences des communes en matière d'électricité. Même si, selon le haussariat, ces articles du code n'ont pas été étendus aux communes de la Polynésie française.
 
Une réunion est prévue mercredi au haut-commissariat pour démêler cet imbroglio juridique… et trouver une solution avant le 31 mars.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mercredi 2 Février 2022 à 16:51 | Lu 6311 fois