Tahiti Infos

Édouard Fritch va demander au Conseil d'État s'il peut effectuer un nouveau mandat


Tahiti, le 20 août 2022 - Alors que le Tapura huiraatira a organisé quatre jours de séminaire lors des deux derniers week-end, le président du parti et du Pays, Édouard Fritch, a accordé une longue interview à Tahiti Infos pour prendre le temps de détailler les sujets politiques du moment. Le chef de la majorité revient sur la défaite aux législatives, affirme avoir proposé sa démission au parti qui l'a refusée, explique sa stratégie pour 2023, confirme qu'il entend mener la liste aux prochaines territoriales et annonce qu'il saisira bientôt le Conseil d'État pour demander la confirmation de sa capacité de briguer un nouveau mandat de président du Pays.
 
Vous analysez aujourd'hui encore en séminaire les résultats des dernières élections législatives. Comment aujourd'hui, après davantage de consultations et de recul, expliquez-vous cette défaite électorale ?

“Lorsqu'on regarde les résultats des législatives, il faut tenir compte du fait que dans ce genre d'élections, l'engouement n'est pas au rendez-vous. On a des taux de participations qui sont extrêmement bas. Et le constat, c'est qu'au premier tour, les candidats du Tapura sont arrivés en tête. Nous avons gagné le premier tour. Tant la première que sur la deuxième (circonscription, NDLR). Sur la troisième circonscription, c'est vrai que notre adversaire est arrivé en tête. Mais on avait un fort espoir que les résultats allaient être reconduits au second tour. Et je pense que nous avons mal estimé, dans la stratégie durant les quinze jours, la possibilité qui était offerte à nos adversaires de se regrouper. On a eu l'expérience une première fois. Rappelez-vous l'élection de Moetai Brotherson, où le Tahoeraa est venu soutenir sa candidature. Mais on était loin d'imaginer que certains de nos amis autonomistes, enfin de nos adversaires autonomistes, allaient reporter leurs voix entièrement sur les candidats indépendantistes. Parce qu'en fin de compte, c'est ce qui s'est produit. Il ne faut pas se leurrer. Le principal des résultats du second tour a été constitué par les voix du Tavini et je pense qu'ils n'ont pas vraiment progressé lorsqu'on regarde le score final. Mais par contre, ce dont on est sûr aujourd'hui, c'est que le report des candidats malheureux des autres partis s'est entièrement fait sur les candidats du Tavini au second tour. Ce qui a créé cette énorme surprise. Et aujourd'hui, il faut analyser le pourquoi de cette situation.”
 
Quelles conclusions vous pouvez tirer du fait que les électeurs autonomistes aient préféré reporter leurs voix sur un parti indépendantiste plutôt que de faire confiance au Tapura autonomiste ? Le “vote sanction” explique-t-il ce report de voix ?

“Sur le principe du vote sanction, je ne l'écarte pas. Il faut être lucide. Il y a sûrement un vote sanction, qui viendrait peut-être pour partie de l'électorat Tapura. Parce que la scission qui s'est faite au Tapura, avec le départ de deux personnalités importantes. Nicole Sanquer était quand même la candidate députée du Tapura, la tête de liste dans la section 2 du Tapura. Et Nuihau Laurey, ancien vice-président, qui a toujours souhaité être sénateur et qui est devenu sénateur avec le Tapura. Ce sont des personnalités qui pèsent lourds. Nous avons beaucoup misé sur eux. Donc voilà, c'est une surprise bien-sûr. Mais ces personnes sont parties, il faut être lucide là-dessus, avec une partie de l'électorat Tapura. Combien sont-ils ? 10 000, 15 000 ?… Je ne sais pas, je ne peux pas le dire. Lorsqu'on regarde la préparation des élections qui s'est faite pour la présidentielle et les législatives, moi je ne pensais pas, en tous les cas, que cela pouvait représenter autant d'électeurs. Donc, oui, il y a eu un effritement des électeurs du Tapura, auquel il faut rajouter le non-intérêt aux élections nationales. Ce qui a fait que cela a été la grosse surprise. Certains, et c'est pour cela que je parle de vote sanction, nous l'ont dit. Des amis proches m'ont dit : 'On ne va pas voter pour Nicole Bouteau et puis on n'est pas content des deux années qu'on a passé avec le gouvernement Tapura, avec les décisions qui ont été prises avec l'État…”
 
Ces "deux années", c'est à cause de la crise Covid ?

“Oui, la crise Covid n'a pas facilité les choses. Je comprends et je suis de ceux-là puisque j'ai été un de ceux à avoir pêché contre les recommandations du gouvernement. Je ne vais pas revenir sur l'histoire, mais oui cela a été compliqué. Et c'est certain que le fait que nous venions à la télévision pratiquement tous les quinze jours, sinon une fois par mois, pour rabâcher la même chose : protégez-vous, faîtes attention le virus est là… Le virus qu'on ne voyait pas, mais effectivement qui faisait beaucoup de mal. Les gens se sont fatigués à mon avis et effectivement on commençait à être lourds à digérer. Et ce qui a fait qu'il y a sûrement, parmi les décisions qui ont été prises, des décisions malheureuses qui ont fait que certains se sont, à la limite, révoltés contre le Tapura."

 

“Le mariage a été une étape importante”


Dans votre parti, on l'a entendu il y a une dizaine de jours avec Teva Rohfritsch, certains demandent un “électrochoc” politique, un remaniement… Vous avez concédé des “petites erreurs”, des “imprudences”… Comment gérez-vous ces critiques internes au Tapura contre l'action du gouvernement ?

“Les erreurs, il y en a eu. Vous connaissez la plupart de ces erreurs. Je l'ai publiquement reconnu et publiquement regretté.”
 
Vous parlez notamment du mariage…

“Le mariage a été une étape importante. Après, il y a eu effectivement cette obligation vaccinale en réaction avec ce qui s'était produit au mois d'août 2021. Nous avons constaté une centaine de morts dans le Pays. On ne peut pas non plus, là, ne pas réagir. On a réagi sous une forme qui n'a pas plu, qui est celle de l'obligation vaccinale. Malgré le fait que, lors du vote de la loi, et je l'avais annoncé, la sanction est une épée de Damoclès mais je ne vais pas la provoquer. Et d'ailleurs, jamais nous n'avons actionné la sanction contre qui que ce soit. La deuxième erreur que nous avons faite derrière, et c'est celle-là peut-être qui nous a décrédibilisé complètement, c'est effectivement que dans nos rangs, certains n'ont pas voulu se soumettre à cette discipline. Malheureusement et effectivement, j'avoue que je n'ai pas été assez prudent là-dessus, nous n'avions pas mis les élus dans la liste des personnes soumises à cette obligation. Parce qu'à aucun moment je n'avais imaginé qu'un ministre ou un membre éminent de l'assemblée n'allait pas se soumettre à cette obligation… Et pourtant nous avons tenu trois ou quatre comités de majorité pour préparer cette loi avant de la soumettre à l'assemblée. C'est une erreur qu'a faite le gouvernement.”
 
Cette erreur peut vous être reprochée à vous directement, puisque les électeurs ont pu estimer que c'est vous qui n'avez pas forcément pris les bonnes mesures à l'égard des élus de votre majorité à ce moment-là ?

“C'est un peu là où je renvoie la balle à ceux qui me critiquent en interne. Lorsque je vous dis qu'on a effectivement tenu au moins quatre comités de majorité pour en discuter. Cette obligation, je savais très bien qu'elle allait faire mal. Au départ, nous n'avions prévu de le faire qu'au niveau des établissements de santé. J'ai entendu les chefs d'entreprise qui étaient affectés par le fait que, chez eux, il y avait des covidés qui mettaient à mal les entreprises. J'ai consulté en interne. Et je vous rappelle que cette loi a été votée pratiquement à l'unanimité des membres de la majorité. Tout le monde a voté pour. Alors quand j'entends derrière que c'est la faute que du gouvernement… Bien sûr que c'est moi qui prends la décision. Mais je la prends de concert avec mes amis. D'où ces heures passées avec eux. Oui, j'en prends la responsabilité. Mais je ne veux pas non plus, et je pense que ce n'est pas raisonnable, charger uniquement le gouvernement de ce type d'erreur, de responsabilité face aux événements. (…) À côté de cela, nous avons quand même continué à travailler, à maintenir ce Pays en vie en injectant beaucoup d'argent pour ne pas que les emplois soient supprimés, pour ne pas que les entreprises prennent l'eau. (…) On aurait aussi pu imaginer que certains disent merci pour toutes les mesures qui ont été prises. Parce que c'est bien à cause de ces mesures et à cause du travail sans fin du gouvernement, pendant ces deux dernières années, qu'aujourd'hui on est presque revenus à une vie normale dans ce Pays. (…) Même en interne chez nous, je n'ai pas l'impression qu'on reconnaisse que, malgré tout, ce que nous avons fait et ce qui nous a été reproché hier a porté des résultats aujourd'hui.”
 
Vous préparez aujourd'hui les élections territoriales de 2023. Quelle est votre stratégie pour rassembler malgré ces critiques en interne ?

“Je voudrais vous dire d'abord que quinze jours après les élections je me suis dit : 'Edouard, tu es responsable. Tu es chef de la majorité. Tu es chef du gouvernement. C'est de ta faute. Il ne faut pas rejeter cette erreur sur quelqu'un d'autre.' Et comme vous le savez, dès le lendemain des élections, j'ai pris mes principaux partenaires et j'ai rencontré les maires. Tous autour d'une table. Je leur ai demandé : 'Qu'est-ce qui s'est passé ?' Là, les choses commencent à devenir intéressantes. J'ai soumis ma démission. Parce qu'il faut, à mon avis, en tant que responsable, reconnaître sa responsabilité. J'ai soumis ma démission de la présidence du gouvernement et du Tapura. Les résultats sont politiques, donc les deux allaient ensemble. (…) Je leur ai reposé la question : 'est-ce que vous estimez que je suis encore capable de le faire ?' J'ai envie de vous dire que c'est une unanimité : 'Non, ne nous lâche pas, parce que tu es le seul aujourd'hui à fédérer'. D'où cette réunion avec nos élus. Et aujourd'hui, effectivement, je suis requinqué. (…) J'estime qu'aujourd'hui, et en vue des prochaines élections, notre stratégie doit évoluer. Certains nous disent qu'il faut des remèdes de cheval. Et une des piqûres, c'est qu'il faut que je change mon gouvernent. Je dis non. Je ne peux pas changer mon gouvernement parce que les délais qui nous restent sont courts. Un ministre, pour qu'il soit opérationnel, il lui faut au moins trois mois. (…) Non, je ne peux pas attendre le mois d'octobre-novembre pour le faire. Donc j'ai dit non à mes amis qui sont venus me voir et qui m'ont demandé la démission de certains membres du gouvernement. J'ai dit non dès le 4 juillet, lors de notre première rencontre. Ce n'est pas la solution. Mettez-moi à l'écart, mais ne me demandez pas de sanctionner les membres de mon gouvernement parce que j'estime qu'ils ont quand même bien travaillé. Il y en a peut-être qui ont été un peu arrogants. Il y en a qui n'ont pas toujours suivi la discipline. C'est humain. Dans une famille, vous avez toujours les bons enfants et puis ceux qui sont à côté et qui n'écoutent pas. Nous sommes une grande famille au Tapura.”
 
Donc votre stratégie, c'est de garder tous les enfants…

“La stratégie, c'est d'abord que je garde mon équipe dirigeante, mes ministres, le gouvernement. Là, j'ai ensuite les membres de l'assemblée qui sont soucieux aujourd'hui de savoir ce qu'on devient demain et comment on fait pour demain ?”
 

“Aujourd'hui, je suis requinqué”


Et parmi eux, principalement des tāvana…

“Principalement les tāvana qui, vous le savez bien aujourd'hui, occupent une place importante dans ma stratégie d'approche des électeurs. Ce ne sont pas mes agents électoraux, parce que je les respecte. Ce ne sont pas nécessairement mes présidents de fédération. Mais c'est le seul lien avec la base que j'ai. Moi-même, je n'ai pas le temps de faire toutes les îles. Je n'ai pas le temps d'aller tenir des réunions tous les soirs dans toutes les sections. Je compte sur mes maires et mes présidents de fédération. (…) Je pense que ces gens-là ont des messages à nous apporter de la base et qui peuvent être mieux pris en compte au sein de notre assemblée de la Polynésie française. Voire même au niveau du gouvernement. Je pense que l'expérience de ces gens qui sont très pragmatiques, qui sont sur le terrain, qui voient les faiblesses sur le terrain, peut nous apporter un plus. Ça va être toute la complexité de la mise en place de nos listes, mais oui sûrement certains maires monteront. Parce qu'on aura besoin d'eux et ce sera important de définir la stratégie avec eux. J'ai demandé à mes ministres de regarder la feuille de route que nous avons au gouvernement d'ici le mois de décembre prochain. A partir de cette feuille de route que je soumets à ma majorité, j'ouvre le débat sur ce qu'il faut améliorer, sur ce qu'il faut enlever et sur ce qu'il faut retenir. Je vous le dis clairement, je ne vais pas faire de miracle parce que j'estime qu'un gros travail a été fait déjà au niveau social, culturel et économique. Nous avons beaucoup fait. Ce Pays a beaucoup avancé. Il va rester quelques points sensibles comme le coût de la vie ou la création d'emplois. (…)”
 
Une question politique capitale pour 2023, c'est celle de votre capacité légale à effectuer un nouveau mandat. La loi organique limite à deux successifs les mandats de président, mais vous n'avez pas effectué un premier mandat plein. Savez-vous aujourd'hui, juridiquement, si vous serez en capacité de mener un nouveau mandat de président en cas de victoire aux territoriales ?

“Il y a deux choses. Je suis président d'un parti et président du gouvernement. En tant que président du parti, je vous affirme que je mènerai la liste. Je vais coordonner les équipes, je vais aller à la bataille. Je peux le faire. Il n'y a aucune disposition qui ne m'autorise pas à le faire. La deuxième question porte sur la présidence future de notre Pays. Effectivement, il y a eu une petite bataille de juristes. Il y a eu des conclusions communes entre nos juristes à nous et ceux de métropole. On n'est pas monté au Conseil d'État, mais peut-être qu'il va falloir consulter le Conseil d'État. Mais la conclusion commune, c'est que le statut prévoit que le président ne peut pas briguer un troisième mandat quand il a rempli deux mandats de 5 ans. C'est précisé dans le statut. Certains me disent que je peux continuer du fait que je n'ai pas fait un premier mandat complet. Ce n'est pas ce qu'il y a de plus important pour moi. C'est de mener cette liste du Tapura à la victoire en mars 2023.”
 
Ça risque quand même d'être important pour vos électeurs, pour vous équipes et pour le Tapura ?

“Bien sûr, parce qu'il faut préparer sa succession. Je suis en train de regarder. Ce n'est pas évident. Il y en a un sur qui je comptais mais qui n'est plus là aujourd'hui. Ce n'est pas facile. Je crois que d'autres qui avaient préparé leur succession ont mis pratiquement plus de 20 ans pour commencer à être rassurés sur le nom d'un candidat. Et encore, quand ça s'est produit, ça n'a pas été à son terme. (sourire).”
 
Vous parlez d'expérience… Celui qui n'est pas là aujourd'hui, disons-le, c'est Teva Rohfritsch ?

“Bien sûr, c'est mon premier vice-président quand même. C'est pour ça que ça me fait mal. J'en souffre. La dernière fois que nous nous sommes vus, c'est le 4 juillet où ils avaient mis leur proposition de remaniement sur la table que j'ai refusée immédiatement. Je leur ai fait ma proposition : dégommez-moi, enlevez-moi. Pour moi, l'affaire était close. J'ai donc donné rendez-vous pour que nous prenions quatre jours pour se parler. Et à l'issue de ce séminaire, je vais demander un vote de confiance ici au sein du Tapura. Je vais leur demander de me confirmer le fait que je puisse m'investir pour faire gagner le parti et éventuellement m'investir pour l'avenir. L'un ne va pas sans l'autre, vous l'imaginez bien. Et d'ailleurs, la vision du législateur au moment de la rédaction du statut, c'était bien que celui qui conduit la liste soit systématiquement celui qui vienne à la direction du Pays.”
 
Sauf qu'aujourd'hui, vous nous dites bien que vous ne savez pas si vous pourrez briguer la présidence du Pays en mars 2023 ?

“Disons que je vais envoyer le Tapura à la victoire, mais qu'être président du gouvernement n'est pas ma principale préoccupation. Bon, aujourd'hui on est entre nous. Mais demain, je pense que l'opposition va se préoccuper de cette question aussi.”
 
Et peut-être saisir le Conseil d'État… Le ferez-vous avant eux ?

“Oui, j'en ai envie. Pour que ce soit clair. Pas pour moi, mais pour mes électeurs. Parce qu'effectivement, la préparation ne sera pas la même vous l'imaginez bien.”
 
Vous savez quand vous le ferez ?

“Je vais à Paris là. Je veux que ce soit clair. Que les esprits soient bien disposés et en ordre de bataille pour ces élections. Je pense que d'ici quelque temps, on aura une trace écrite sur ce fait.”
 

Rédigé par Propos recueillis par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Samedi 20 Août 2022 à 17:18 | Lu 8457 fois