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ENQUÊTE EXCLUSIVE : Des centaines de Polynésiens victimes d'arnaqueurs internationaux


PAPEETE, le 31 juillet 2014 - Depuis quelques années et de façon plus intense ces derniers mois une arnaque sur le mode « prêt entre particuliers » circule sur le Net polynésien. C’est la dernière initiative d’un groupe criminel international probablement basé en Afrique qui s’attaque spécifiquement à la population polynésienne depuis plusieurs années.

Les internautes polynésiens n’ont pas pu passer à côté : depuis de nombreux mois les réseaux sociaux, les commentaires de vos sites préférés, les messageries et même les adresses mails sont inondés de propositions de prêts entre particuliers qui semblent très alléchantes.

Sur Tahiti-Infos.com et sur notre page Facebook, la rédaction a dû modérer pendant plusieurs semaines une dizaine de messages de ce type chaque jour. S’ils variaient parfois, ils étaient tous du même type : « Bonjour juste pour vous annoncer que j'ai un monsieur normé G*** ANDRE PIERRE LUCIEN qui offre des prêts au personne particulier qui sont dans de difficulté .Il fait des prêts avec un taux de 3% sur l'an. Le montant du prêt que vous demandez vous sera accordé dans les 24 heurs; 48 heure;72 heures selon votre collaboration et de l’urgence de votre demande… » avec au final un contact par e-mail.

Une rapide recherche sur le nom de ce monsieur G*** sur Google fait apparaître en deuxième position le titre : « Victime des paiements aux arnaqueurs par mandat »… Il n’est même pas besoin de chercher plus loin pour sentir l’escroquerie. Mais nous avons continué de fouiller. Il semble que cette personne existe réellement quelque part en France, mais n’a presque aucune présence en ligne. C’est probablement une usurpation d’identité, ce qui sera confirmé plus tard par son compte Facebook, totalement vide de vrais amis à part trois personnes qui semblent impliquées dans de nombreux stratagèmes d’argent facile… Et où trône un scan de son passeport, ce qui laisse penser que M. G*** est la victime d’une précédente arnaque où il s’est fait voler son identité.

Plongée en eaux troubles

Si la tentative d’escroquerie ne laisse plus guère de doute, la seule façon d’en connaitre les ressorts était de se laisser avoir. La rédaction a donc créé un faux demandeur de prêt un peu trop crédule. Jacques Tahutu est ainsi né un 14 juillet 2014. Ce tahitien de 40 ans, technicien de maintenance à la mairie de Vairao, a comme projet (les fautes sont destinées à lui donner l’apparence de la victime idéale) de : « Construire une pension de famille à Vairao PK 10,2 en face du magasin Li Ki coté mer (…) La banque veu bien prété les 15 millions et j'ai déjà un million mais il manque 2 millions pour l'appor personnel. La pension sera géré par moi Jacques Tahutu et ma femme Tehina Tahutu avec notre fille Hinatea pour aidé, et quand ce sera rentable j'arréteré mon travail à la mairie. » Ce sont les détails qui donnent vie au personnage !

L’appât a immédiatement fonctionné et notre arnaqueur a mordu l’hameçon à pleines dents. Après quelques échanges de courriels, André-Pierre nous répond : « Je m'engage à vous accordez ce prêt d'une somme de 2.000.000 francs Pacifique. Je vous offre ce prêt à un taux d'intérêt de 3 % avec un plan de remboursement favorable. » Il continue avec de savants calculs d’intérêts et réclame une pièce d’identité, une fiche détaillée sur le demandeur et son numéro de compte avec IBAN et RIP. Le kit complet pour voler une nouvelle identité…

Et le pot au rose est enfin dévoilé

Pour assoir totalement la fausse identité de Jacques Tahutu, un grossier faux passeport est bricolé sur Photoshop, et il bénéficie également d’un numéro de compte bancaire totalement fantaisiste. Ça suffit à notre arnaqueur, qui passe directement aux choses sérieuses : « Alors pour votre dossier qui est facturé à 102.626 francs Pacifique.Donc vous aurez à payer 102.626 francs Pacifique afin que le banque vous enregistre pour le virement 72 heures après dépôt. Vous commencerez le remboursement 5 mois après la réception des fonds sur votre compte bancaire. »

Pour payer ces « frais de dossier », il nous propose évidemment de faire un virement en mandat cash en France, à destination d’une certaine Mme Marie Noël S*** (encore une identité volée), en assurant que « une fois que vous aurez éffectué le paiement des 102.626 francs Pacifique,vous allez nous envoyer les informations du paiement des 102.626 francs Pacifique ou scanner nous carrément le reçu du transfert afin que la banque puisse vite établie le virement des 2.000.000 francs Pacifique sur votre compte bancaire automatiquement sans faute et avec temps de succès. » Comprenne qui pourra.

Il est grand temps de s’arrêter et de faire le mort. Mais notre arnaqueur, lui, ne lâche pas le morceau. À peine 24 heures après son dernier mail, nous recevons un appel masqué, au son très brouillé et décalé (clairement un appel de type Skype). Se présente alors M. G*** lui-même, venant aux nouvelles de son virement. Ce popa’a aux cheveux blancs (selon sa photo Facebook) a, bizarrement, un très fort accent africain et une maîtrise approximative du français…

Méfiez-vous de l’argent facile

C’était donc ça la fameuse arnaque dite "nigériane" (voir encadré). Et des messages du type de M. G***, nous en avons repéré une demi-douzaine depuis début juin sur le Net Polynésien, sous 4 fausses identités différentes. Mais elle circulerait sur nos réseaux depuis plusieurs années, ayant fait de nombreuses victimes selon le bureau du procureur. Parfois, ce sont des identités volées qui donnent de la vraisemblance à l’histoire, parfois c’est tout simplement un compte Facebook piraté qui incite ses amis à faire confiance à tel ou tel.

Une autre arnaque à la mode en France, c’est le faux mail de détresse reçu d’un ami qui a un besoin urgent d’argent pour sortir du pétrin. En réalité, son mail ou son compte Facebook a été piraté, et tout argent versé ira engraisser un réseau mafieux ou des arnaqueurs à la petite semaine.

Comme toujours, méfiez-vous plus que jamais des bonnes affaires qui apparaissent sur la toile. Quand une offre parait trop belle, c’est généralement qu’elle l’est…


Un exemple du type de messages malhonnêtes qui pullulent sur le Net polynésien. Celui-ci a été déposé dans la section Petites Annonces de Tahiti-Infos. Rassurez-vous, notre service prend soin de supprimer régulièrement et dès que possible ces messages frauduleux.
Un exemple du type de messages malhonnêtes qui pullulent sur le Net polynésien. Celui-ci a été déposé dans la section Petites Annonces de Tahiti-Infos. Rassurez-vous, notre service prend soin de supprimer régulièrement et dès que possible ces messages frauduleux.
Escroquerie à l’africaine

Le parquet de Papeete a été saisi de « centaines » de plaintes dénonçant ce type d’arnaque, au cours des trois dernières années, de l'aveu du procureur de la République. Après le fol espoir, pour les victimes c'est l'amertume de la désillusion. Toutes ne poussent pas jusqu'à dénoncer l'affaire en justice. Au départ, elles ont été hameçonnées par une histoire toujours extraordinaire. Les scenarii : une riche héritière est dans la détresse et a besoin d’une certaine somme d’argent pour débloquer un héritage fabuleux, moyennant une aide financière vous en profiterez ; ou alors, un administrateur libyen a réussi à se procurer les codes d’accès du compte bancaire du président Kadhafi avant la chute de son régime et il a besoin de la complicité d’un compte ami en Occident pour héberger provisoirement la fortune et propose une commission de 10%, mais il a besoin d’une mise de fonds initiale pour soudoyer certains intervenants ; ou encore, une offre de prêt de particulier à particulier avec un intérêt de 2 à 3%, sur n’importe quelle somme, mais il y a 100 000 francs de frais de dossier payables d’avance ; etc. Les sommes avancées sont toujours demandées en mandat cash, bien sûr.

« Le système est simple mais insaisissable », constate avec impuissance au parquet de Papeete le procureur José Thorel. « Les escrocs interviennent depuis des cyber cafés ou des officines clandestines, en Afrique le plus souvent. Ils disposent de PC ou de portables non localisables. Ils utilisent des sites de rencontre, des forums internet ou Facebook pour solliciter leurs victimes. »

L’enquête sur une arnaque de ce type avait été confiée à la section de recherches, l’année dernière. Mais les limiers de la gendarmerie se sont vite trouvés confrontés à des obstacles de taille dans leurs investigations. À commencer par l’absence d’accord de réciprocité avec des pays comme le Congo ou le Nigéria, d’où interviennent souvent les escrocs. Jamais dans ces conditions une commission rogatoire ne pourrait être ordonnée pour aller enquêter dans ces pays.
Au fond, en somme, le seul qui peut prêter de l’argent avec certitude, c’est bien votre banquier. Mais il faut en assumer le coût.


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mercredi 30 Juillet 2014 à 16:41 | Lu 12534 fois