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Droit du sol: à Mayotte, les propositions de Darmanin soutenues mais aussi contestées


Emmanuel DUNAND / AFP
Emmanuel DUNAND / AFP
Mamoudzou, France | AFP | vendredi 26/08/2022 - A Mayotte, où l'extrême droite était arrivée nettement en tête à la présidentielle, les deux députés de l'île ont applaudi la volonté de Gérald Darmanin de durcir l'accès à la nationalité française pour les étrangers, mais d'autres - maire, avocat ou association - s'interrogent ou s'indignent.

"Le ministre (de l'Intérieur Gérald Darmanin) s'inscrit dans une démarche positive, qui va dans le sens de ce que veulent les Mahorais. Maintenant, il faudra que le gouvernement ait le courage de ses annonces", a réagi la députée de Mayotte Estelle Youssouffa (Groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires). 

Présidente d'un collectif des citoyens qui avait paralysé l'île au printemps 2018 pour dénoncer notamment l'insécurité et l'immigration clandestine, la nouvelle députée s'est félicitée des propos de M. Darmanin durant sa visite en début de semaine à Mayotte, où il a plaidé pour "suspendre le droit du sol tel qu'il est aujourd'hui" dans le département.

Depuis 2018, l'un des deux parents doit justifier de sa présence régulière sur le territoire trois mois avant la naissance d'un enfant pour que celui-ci puisse prétendre à la nationalité française. Le ministre souhaite désormais que ce délai soit étendu à un an, pour les deux parents. 

Il s'agit, selon lui, de "lutter contre l'attractivité de papiers" du territoire vis-à-vis des étrangers, notamment des Comoriens.

"Solutions radicales"

"J'entends que pour l'Hexagone, ça paraît difficile à entendre mais ce qu'il se passe ici est tellement délirant, c'est hors norme et face à cette situation il faut des solutions radicales", argumente Estelle Youssouffa. 

Même son de cloche chez le second député de l'île, Mansour Kamardine (LR), qui assure "assister à un changement de population".

Mayotte, département français situé entre l'Afrique de l'est et Madagascar, représente un eldorado pour ses voisins, à commencer par ceux de l'archipel des Comores. 

Selon l’Insee, près de la moitié de la population de Mayotte ne possède pas la nationalité française, mais un tiers des étrangers sont nés à Mayotte.

Les électeurs de l'île avaient donné 42,67% des suffrages à Marine Le Pen dès le premier tour de la présidentielle, attirés par son programme sur l'immigration et la sécurité. La candidate du Rassemblement national s'était imposée au second tour avec 59,10% des voix. 

"Aucun audit"

Mais sur l'île, les nouvelles propositions de M. Darmanin sont aussi vivement critiquées ou rejetées. 

"Cette île ne peut pas supporter plus que la densité actuelle, déjà beaucoup trop importante. On est tous d'accord là-dessus. Mais avec ces annonces, on ne cherche pas de solution", considère l'avocate Marjane Ghaem. 

"Depuis plus de 15 ans, les politiques à Mayotte consistent à empêcher la venue de personnes étrangères sur l'île, sauf que le constat manifeste est que la situation empire et que les solutions apportées ne font l'objet d'aucun audit", constate cette spécialiste du droit des étrangers.

Pour Saïd Omar Oili, maire de Dzaoudzi (Petite-Terre) et ancien président de l'association des maires de Mayotte, le compte n'y est pas. "Avant de changer le dispositif, il faudrait peut-être faire le bilan de ce qu'on a réalisé pendant ce temps-là. Est-ce que l'immigration a baissé ou bien c'est resté pareil ?", questionne-t-il. "Le problème est avant tout démographique. Qu'une mère fasse un ou dix enfants, ça ne changera rien à son statut", reprend l'édile.

"Retarder l'acquisition de la nationalité" 

Liens familiaux et historiques, extrême pauvreté, les arguments des uns et des autres ne manquent pas pour estimer que cette mesure n'endiguera pas le flux migratoire. 

Me Ghaem souligne qu'"on ne fera finalement que retarder l'acquisition de la nationalité à des jeunes qui ont de toute façon vocation à rester sur le territoire". À leur majorité, les jeunes nés à Mayotte pourront en effet bénéficier "de plein droit" d'un titre de séjour puis accéder à la nationalité par la voie de la naturalisation, explique la spécialiste. 

S'ajoute à cela le "double droit du sol", par lequel un enfant né en France d'un parent lui-même né en France est automatiquement français.

Vent debout contre les propos du ministre, la Cimade - association de solidarité avec les migrants - estime que "porter à un an (...) l'obligation d'un séjour régulier d'au moins l'un des parents préalablement à la naissance ne fera que renforcer une situation ayant des conséquences déjà dramatiques pour des milliers d'enfants et de jeunes adultes nés et ayant grandi à Mayotte" qu'elle décrit comme "condamnés à l'errance administrative".

le Vendredi 26 Août 2022 à 04:21 | Lu 197 fois