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Doris Ramseyer prépare Regards, une galerie de portraits de sans-abris


Doris Ramseyer (© Manutea Rambaud).
Doris Ramseyer (© Manutea Rambaud).
Tahiti, le 11 septembre 2024 - Elle se définit plutôt comme une photographe sociale. À ce titre, elle présentera une exposition sur les sans-abris à la Brasserie Hoa au mois d’octobre. Elle revient sur sa démarche et sa volonté de présenter des femmes et des hommes qui passent inaperçus au quotidien.

J’ai une attirance vers ce public depuis toujours, reconnaît Doris Ramseyer. Ce public, ce sont les sans-abris. Déjà, quand elle était infirmière, elle acceptait d’assurer les soins de tous y compris les sans-abris, là où d’autres espéraient passer leur tour. Aujourd’hui, elle n’exerce plus le métier d’infirmière. Elle est photographe, elle agit autrement. “Je m’intéresse à l’Autre via l’art. Elle le prouve avec une exposition intitulée “Regards des sans-abris de Papeete”, à la Brasserie Hoa, du 2 octobre au 2 novembre prochains.
 
Cette exposition est le fruit de plusieurs mois de questionnement et rencontres. D’abord, en 2023, elle a été sollicitée pour couvrir le Hackathon solidaire organisé en faveur de l’association Te Torea. Elle a immortalisé l’événement à la demande des organisateurs. Une première porte s’est ouverte, l’idée de s’engager a germé. Doris Ramseyer avait alors un outil : son appareil photo ; et une envie : celle d’aider. “Mais comment combiner les deux ?”
 
Lors de la journée internationale de lutte contre le sans-abrisme, en octobre 2023, elle a suivi le lancement du programme Nati o te Torea initié lors du Hackathon. Avec ce programme, Te Torea cherche à sécuriser l’insertion professionnelle de sans-abris grâce au partenariat avec des entreprises volontaires. “Là, j’ai rencontré la présidente de Te Torea”, se rappelle Doris Ramseyer. De nouvelles portes se sont ouvertes. En novembre, la photographe a fait une première maraude. “Je m’en souviendrai toute ma vie, j’ai vu une certaine réalité et j’ai été vraiment touchée.”

Des histoires uniques
 
Ensuite, les maraudes de nuit comme de jour, les visites de centre, les rencontres se sont enchaînées. Des liens se sont tissés, une confiance s’est installée. Doris Ramseyer a découvert les parcours des uns et des autres. “Tous ont une histoire unique. J’ai entendu les fractures que je pressentais, dans les parcours de vie.”
 
Dans la rue, femmes, hommes, adolescents “galèrent”. Ils se démènent, ils rient aussi et font la fête. “Tous un tas d’émotions s’expriment.” La photographe en a saisi certaines. Ses clichés sont tous pris sur le vif. Il n’y a ni studio, ni pose. “Ce sont les gens en mouvement dans leur environnement.”
 
Elle s’est entretenue avec une centaine de personnes. Elle a sélectionné 42 photographies. Celles-ci seront toutes, ou presque, légendées. “Les personnes photographiées ont été libres de me dire ce qu’elles souhaitaient.” Quatre témoignages seront, en plus, affichés. “Ils disent comment on peut un jour se retrouver dans la rue.” Elle insiste : “La rue n’est pas un choix.”
 
Pour approfondir son sujet, Doris Rasmeyer a également questionné le père Christophe, rencontrer les membres de l’association “Emauta pour redonner l’espoir”, elle a consulté le rapport de Yasmina Taerea intitulé “Errance et pratiques spatiales des sans domicile fixe en Polynésie française” et paru en mars 2022 avec la Maison de l’Homme.
 
15 fois plus en moins de 30 ans
 
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 1995, 40 à 50 personnes vivaient dans les rues de Papeete contre 698 en 2023. Toutes les catégories d’âge sont concernées : personnes âgées, adultes, jeunes adultes et mineurs, de plus en plus.
 
Les raisons de cette augmentation significative sont multiples. Les difficultés économiques ne sont pas seules en cause. Par exemple, Yasmina Taerea écrit : “L’analyse des récits de vie montre que la rue, loin d’être perçue comme un espace risqué, est très souvent d’abord envisagée par les personnes sans domicile fixe comme un ‘refuge’. En effet, la mise à la rue permet de mettre à distance la parentèle, le plus souvent sans rompre complètement les liens, et de réguler ainsi des tensions trop vives au sein du cadre familial. Lorsque ces tensions sont trop fréquentes et trop intenses, des membres du foyer, souvent en position dominée ou de victimes, peuvent ainsi envisager la mise à la rue comme une échappatoire afin de reprendre la main sur leur propre existence – de se construire une vie à eux.” Doris Ramseyer peut le confirmer.
 
Ils m’ont beaucoup appris
 
Doris Ramseyer se définit comme une photographe sociale ou humaniste. Cette pratique, chère notamment à Robert Doisneau, née en France au sortir de la Seconde Guerre mondiale, porte un regard neutre et bienveillant sur l’être humain dans son cadre. “Je tenais à montrer celles et ceux qu’on voit sans vraiment les voir au quotidien.”
 
Avec son exposition, Doris Ramseyer invite le public à se questionner sur sa propre vision du sans-abrisme et sur les raisons de cette vision. “On peut se demander pourquoi la majorité des passants n’offrent même pas un regard ou un sourire aux sans-abris.” La photographe, pourtant sensibilisée au sujet, dit avoir changé à leurs côtés. “Je ne les vois plus pareil. Je ne vois plus ma vie de la même manière. Ils m’ont tous beaucoup appris.”
 
Elle est née en 1976. D’origine franco-suisse, Doris Ramseyer a grandi en Alsace jusqu’à l’âge de 18 ans. Puis elle a étudié et travaillé en Suisse. Elle était infirmière. Pourquoi ? “Parce que j’aime les gens”, répond-elle tout naturellement. En 2006, après sept années d’exercice professionnel, elle est partie à l’aventure avec son compagnon, son appareil photo en bandoulière. “C’est une passion depuis de nombreuses années.” Elle a alterné voyage et périodes de travail, immortalisant au passage les gens, leur culture, leur façon de vivre, leurs différences. “Tous les sujets m’intéressent”, dit-elle, pourvu qu’ils aient un lien avec l’humain.
 
Elle a définitivement posé ses bagages en Polynésie en 2011. Elle a fondé une famille et, finalement, s’est lancée à temps plein dans la photographie. Le métier d’infirmière ne lui manque pas, “car je ne m’y retrouvais plus”. Ce premier travail au long cours, “artistique” et “authentique”, est un début. “C’est un moteur, j’ai déjà plein d’idées pour la suite.” Elle reste discrète sur ses projets à venir, mais conclue : “Ce qui est sûr c’est que l’injustice et l’exclusion me touchent particulièrement.”

Pratique

Exposition “Regards des sans-abris de Papeete”, du 2 octobre au 2 novembre 2024 à la Brasserie Hoa. Entrée libre. Evénement grand public pour l'ouverture avec une conférence-débat sur le sans-abrisme le mercredi 2 octobre, de 16h30 à 18 heures. Vernissage le 10 octobre à 18 heures, en marge de la journée internationale de lutte contre le sans-abrisme.
Contact
https://www.dorisramseyer.com

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 11 Septembre 2024 à 15:07 | Lu 2316 fois