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Délais Kbis : “C'est un appel au secours, il faut agir !”


Stéphane Chin Loy, le président de la CCISM, Jean-Philippe Pinna, le président de la chambre des notaires,  et l'avocate spécialiste du droit des sociétés Me Myriam Toutain.
Stéphane Chin Loy, le président de la CCISM, Jean-Philippe Pinna, le président de la chambre des notaires, et l'avocate spécialiste du droit des sociétés Me Myriam Toutain.
Tahiti, le 26 janvier 2023 – L'annonce d'un allongement sans précédent des délais de traitement des demandes d'actes du Registre du commerce et des sociétés (RCS) en Polynésie française a provoqué un vif émoi dans l'ensemble du tissu économique local. Au nom de leurs clients et partenaires chefs d'entreprises, les notaires, les avocats et la CCISM tirent la sonnette d'alarme : “C'est un appel au secours. Il faut agir !”
 
“Ça fait des années que c'est un problème. Là, ce qui met tout le monde au pied du mur, c'est l'énormité des délais.” L'avocate au barreau de Papeete, Me Myriam Toutain, ne mâchait pas ses mots jeudi soir dans les locaux de la Chambre de commerce à Papeete. Aux côtés du président de la CCISM, Stéphane Chin Loy, et du président de la chambre des notaires, Jean-Philippe Pinna, l'avocate spécialiste du droit des sociétés représentait le bâtonnier pour porter “l'appel au secours” des chefs d'entreprises polynésiens depuis l'annonce de l'allongement des délais de traitement des demandes d'actes du Registre du commerce et des sociétés (RCS) en Polynésie française. Des délais déjà sans précédent qui ont été multipliés par trois ou quatre en 2023.
 
Dix mois pour immatriculer une société
 
La nouvelle se répandait sur les réseaux sociaux depuis une dizaine de jours. “Au départ, j'ai cru à une fake news”, racontait le directeur d'une compagnie d'assurance de Papeete cette semaine. L'annonce a ensuite été confirmée mercredi par une publication sur le site de la CCISM. En effet, la chambre a relayé le contenu d'une note d'information émanant du RCS et datée du 18 janvier dernier : Les délais d'obtention des actes du registre du commerce et des sociétés sont passés à 1 mois pour l'obtention d'un extrait Kbis, 10 mois pour une immatriculation des statuts d'une société, 18 mois pour une modification ou une radiation de ces statuts et 9 mois pour un acte de nantissement…
 
Auparavant, ces délais déjà sans pareil sur l'ensemble du territoire national étaient d'une semaine pour obtenir un extrait Kbis et de trois mois pour une immatriculation. “Il faut bien comprendre qu'un Kbis, c'est l'acte de naissance d'une entreprise. On entend partout qu'il faut faire repartir l'économie locale, mais comment est-ce seulement possible avec des contraintes pareilles ?”, interroge le président de chambre des notaires. Pour Jean-Philippe Pinna, comme pour Me Myriam Toutain, la situation contraint les notaires et les avocats à des solutions de contournement toujours plus risquées. “On était déjà dans une situation intenable. On prenait des risques tous les jours dans l'exercice de nos métiers. Mais aujourd'hui, on arrive à des délais qui ne permettent même plus ce bricolage.”
 
Jeudi soir à la CCISM, les professionnels ont égrené la liste des problèmes concrets posés par cette situation ubuesque pour l'économie polynésienne. Créer un commerce ? Impossible d'ouvrir ne serait-ce qu'un compte bancaire avant 10 mois. Racheter une société ? Un seul “petit” mois pour en vérifier l'état juridique exact et 18 mois supplémentaires avant de pouvoir mener quelque procédure que ce soit en tant que gérant auprès de la CPS, des impôts ou de l'administration en général. Acheter un bien immobilier en constituant une SCI ou faire reconnaître ses droits à la retraite après avoir vendu son entreprise ? Il faudra désormais compter dix mois de délai pour y arriver. “Certains appels d'offres pour des marchés publics demandent un extrait Kbis de moins de trois mois”, raconte Stéphane Chin Loy. ”Pour les entreprises polynésiennes, c'est impossible de candidater…” Jean-Philippe Pinna embraye : “Un entrepreneur polynésien qui monte sa société, pendant les dix premiers mois il fait quoi à part être incité à travailler au black ?”
 
“On demande que ça marche”
 
Une constante est partagée par l'ensemble des professionnels lésés. Il n'est pas question de tirer sur le service du RCS à Papeete. Les deux greffières qui y travaillent, ainsi que le président du tribunal mixte de commerce qui a la charge du service, sont au contraire loués pour leur abnégation. Le problème est structurel. Et il est connu de longue date. Lors de sa visite en 2021, le Président Emmanuel Macron avait pris l'engagement de traiter rapidement cette problématique en préparant l'annonce officielle – quelques mois plus tard – d'un transfert des missions du RCS à la Polynésie française. La collectivité polynésienne reste en effet le dernier territoire à compter un tel service géré par le ministère de la Justice. Partout en France et dans les territoires ultramarins français, le registre a été privatisé ou confié à une structure publique gérant le système national “Infogreffe”.
 
En Polynésie, le statut de 2004 prévoyait déjà que la compétence du registre du commerce relève du Pays. Celui-ci est finalement resté entre les mains du ministère de la Justice pendant les 19 dernières années. Et ce transfert a beau bénéficier aujourd'hui d'une volonté politique de Paris et de Papeete, il nécessite des modifications législatives complexes du côté de l'État et du Pays pour être concrétisé. “On a été les oubliés du système”, glisse Stéphane Chin Loy. “Il nous faut rencontrer le haut-commissaire, puis le Pays, pour avancer sur cette histoire de transfert. Mais le règlement de la situation passera nécessairement par du personnel à mettre au greffe sur un temps donné.”
 
Aujourd'hui, les différents professionnels concernés constatent que la Chancellerie ne semble pas souhaiter doter le RCS de moyens supplémentaires dans l'attente de la concrétisation du transfert du service au Pays. Ils estiment pourtant que c'est désormais la première des urgences à résoudre. “Aujourd'hui, on n'a pas un problème de responsabilité. On ne demande même pas quelle forme prendra le transfert du RCS”, résume Jean-Philippe Pinna. “On demande que ça marche. C'est un appel au secours. Il faut agir.”

Rédigé par Antoine Samoyeau le Jeudi 26 Janvier 2023 à 20:47 | Lu 4619 fois