Paris, France | AFP | dimanche 10/07/2021 - Dans l'épaisse forêt estonienne, un char Leclerc dégage une piste bloquée par des barbelés tranchants. Au loin, on entend des voix et des tirs. Avec ses alliés de l'Otan, la France prépare la guerre de demain.
"Ce sont des zones marécageuses et boisées. Coucher un arbre, ce n'est pas un problème, en coucher 50 c'est un peu plus compliqué. Les deux combinés, c'est quasiment impossible", résume l'aspirant Kevin, chef de peloton dans un Leclerc, fleuron de la cavalerie française. Mais "on peut envoyer un obus toutes les six secondes", se réjouit-il. "Le goût du blindé revient. On travaille sur un engin vraiment fait pour le combat de haute intensité".
Le concept est sur toutes les lèvres des soldats du rang jusqu'au sommet de l'état-major. Car il s'agit d'un de ces basculements stratégiques qui conditionnent des décennies.
L'armée française, comme beaucoup de ses alliés, a longtemps privilégié la contre-insurrection et les combats asymétriques contre un ennemi éparpillé, très mobile mais sous-équipé, tel que les jihadistes qu'elle affronte au Sahel.
Mais la guerre de demain, estiment ses responsables, opposera des puissances équivalentes. Elle sera plus létale, plus éprouvante, exigeant un plus grand nombre de soldats. Et elle sera totale - sur terre, mer, air, espace et cyber - avec des armes interconnectées, notamment les blindés du programme "Scorpion", reliés entre eux par un système d’information du combat.
Le soldat, "augmenté" par une technologie de pointe, n'en creusera pas moins des tranchées. Un défi au cœur du défilé du 14 juillet, porté par le général Thierry Burkhard qui deviendra dans quelques jours le nouveau chef d'état-major des armées.
"Saturation"
"La conflictualité est en train de changer, les pays se sont réarmés et n'hésitent plus à employer la force pour exercer leur volonté", expliquait-il récemment à l'AFP. "Aujourd'hui, le +niveau d'emploi+ en bande sahélo-saharienne est d'environ 1.000 à 1.200 hommes. Mais demain (...), la guerre se déroulera au niveau des brigades et des divisions, soit entre 8.000 et 25.000 hommes".
La France prépare donc l'exercice Orion. Des manœuvres inédites prévues début 2023, déployant 5.000 à 7.000 militaires pendant quatre mois, avec peut-être un pic à 10.000 hommes.
"La haute intensité, ce n'est pas que le nombre de chars. C'est la saturation dans tous les domaines: flux logistiques, nombre de blessés, flux électromagnétiques…", explique le général Vincent Guionie, commandant des forces terrestres françaises. "C'est le retour de la masse: il faut pouvoir s'entraîner avec de plus gros volumes de forces".
Les alliés de la France et bon nombre de ses adversaires sont sur les mêmes logiques.
Forces "considérables"
"On se concentre sur des missions conventionnelles de dissuasion et de défense de grande ampleur, en particulier contre des adversaires avec des forces au sol considérables, pour lesquelles le char reste très important", confirme Scott Boston, analyste défense du centre de réflexion américain Rand.
Mais la transition ne se fera pas sans mal. Même si l'actuelle Loi de programmation militaire (2019-25) est plus étoffée que les précédentes, il faudra des investissements lourds pour préparer la haute intensité, tout en conservant l'agilité requise des combats asymétriques.
"Le matériel de haute intensité coûte cher. Est-ce possible de garder les deux volets? L’armée française essaye de couper la poire en deux", estime pour l'AFP Camille Harlé Vargas, chercheuse indépendante, spécialiste de l'histoire des blindés.
Car les obus de mortier tirés du porte-bagages d'une moto et les engins explosifs improvisés ne disparaîtront pas demain. Et les opérations du type Sahel, Afghanistan ou Irak n'appartiennent pas à l'Histoire.
La crise sanitaire a pour autant accéléré une tendance initiée depuis quelques années: la géopolitique s'est tendue aux quatre coins du globe. Turquie, Iran, Russie: des acteurs régionaux inquiètent les Occidentaux.
"Les actes hostiles se sont multipliés dans les airs et dans les mers (...), des puissances régionales ont pris des positions stratégiques sans égard pour le droit international", notait à cet égard en juin le Premier ministre Jean Castex. "A la menace devenue trop récurrente du terrorisme (...) s’est ajoutée la montée des appétits de certains pays en quête de puissance".
Une perspective que l'armée doit convertir en choix stratégiques : "nous devons nous durcir face à l'ennemi, tenir plus longtemps dans des conditions difficiles et élargir nos espaces de confrontation", confirme le général Guionie.
"Ce sont des zones marécageuses et boisées. Coucher un arbre, ce n'est pas un problème, en coucher 50 c'est un peu plus compliqué. Les deux combinés, c'est quasiment impossible", résume l'aspirant Kevin, chef de peloton dans un Leclerc, fleuron de la cavalerie française. Mais "on peut envoyer un obus toutes les six secondes", se réjouit-il. "Le goût du blindé revient. On travaille sur un engin vraiment fait pour le combat de haute intensité".
Le concept est sur toutes les lèvres des soldats du rang jusqu'au sommet de l'état-major. Car il s'agit d'un de ces basculements stratégiques qui conditionnent des décennies.
L'armée française, comme beaucoup de ses alliés, a longtemps privilégié la contre-insurrection et les combats asymétriques contre un ennemi éparpillé, très mobile mais sous-équipé, tel que les jihadistes qu'elle affronte au Sahel.
Mais la guerre de demain, estiment ses responsables, opposera des puissances équivalentes. Elle sera plus létale, plus éprouvante, exigeant un plus grand nombre de soldats. Et elle sera totale - sur terre, mer, air, espace et cyber - avec des armes interconnectées, notamment les blindés du programme "Scorpion", reliés entre eux par un système d’information du combat.
Le soldat, "augmenté" par une technologie de pointe, n'en creusera pas moins des tranchées. Un défi au cœur du défilé du 14 juillet, porté par le général Thierry Burkhard qui deviendra dans quelques jours le nouveau chef d'état-major des armées.
"Saturation"
"La conflictualité est en train de changer, les pays se sont réarmés et n'hésitent plus à employer la force pour exercer leur volonté", expliquait-il récemment à l'AFP. "Aujourd'hui, le +niveau d'emploi+ en bande sahélo-saharienne est d'environ 1.000 à 1.200 hommes. Mais demain (...), la guerre se déroulera au niveau des brigades et des divisions, soit entre 8.000 et 25.000 hommes".
La France prépare donc l'exercice Orion. Des manœuvres inédites prévues début 2023, déployant 5.000 à 7.000 militaires pendant quatre mois, avec peut-être un pic à 10.000 hommes.
"La haute intensité, ce n'est pas que le nombre de chars. C'est la saturation dans tous les domaines: flux logistiques, nombre de blessés, flux électromagnétiques…", explique le général Vincent Guionie, commandant des forces terrestres françaises. "C'est le retour de la masse: il faut pouvoir s'entraîner avec de plus gros volumes de forces".
Les alliés de la France et bon nombre de ses adversaires sont sur les mêmes logiques.
Forces "considérables"
"On se concentre sur des missions conventionnelles de dissuasion et de défense de grande ampleur, en particulier contre des adversaires avec des forces au sol considérables, pour lesquelles le char reste très important", confirme Scott Boston, analyste défense du centre de réflexion américain Rand.
Mais la transition ne se fera pas sans mal. Même si l'actuelle Loi de programmation militaire (2019-25) est plus étoffée que les précédentes, il faudra des investissements lourds pour préparer la haute intensité, tout en conservant l'agilité requise des combats asymétriques.
"Le matériel de haute intensité coûte cher. Est-ce possible de garder les deux volets? L’armée française essaye de couper la poire en deux", estime pour l'AFP Camille Harlé Vargas, chercheuse indépendante, spécialiste de l'histoire des blindés.
Car les obus de mortier tirés du porte-bagages d'une moto et les engins explosifs improvisés ne disparaîtront pas demain. Et les opérations du type Sahel, Afghanistan ou Irak n'appartiennent pas à l'Histoire.
La crise sanitaire a pour autant accéléré une tendance initiée depuis quelques années: la géopolitique s'est tendue aux quatre coins du globe. Turquie, Iran, Russie: des acteurs régionaux inquiètent les Occidentaux.
"Les actes hostiles se sont multipliés dans les airs et dans les mers (...), des puissances régionales ont pris des positions stratégiques sans égard pour le droit international", notait à cet égard en juin le Premier ministre Jean Castex. "A la menace devenue trop récurrente du terrorisme (...) s’est ajoutée la montée des appétits de certains pays en quête de puissance".
Une perspective que l'armée doit convertir en choix stratégiques : "nous devons nous durcir face à l'ennemi, tenir plus longtemps dans des conditions difficiles et élargir nos espaces de confrontation", confirme le général Guionie.