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Dans une Chine qui vieillit, la cité des centenaires montre la voie


Rugao, Chine | AFP | mercredi 11/05/2021 - Avec dextérité, Gu Bin calligraphie l'idéogramme "bonne fortune" avant de signer du chiffre 104 - son âge. La "ville chinoise de la longévité" choie ses nombreux seniors et préfigure l'avenir dans une Chine vieillissante.

A Rugao (est), dépasser la barre des 100 ans ne constitue pas une exception: sur 1,4 million d'habitants, la cité compte 525 centenaires et 78.000 personnes âgées de 80 à 99 ans. 

Le doyen affiche 109 ans.

Né en 1918, Gu Bin reste un arrière-grand-père fringant et actif. "J'écris de la poésie, je lis des livres et les journaux, et je regarde les informations tous les jours", explique-t-il. 

Avec un taux de natalité au plus bas et une population vieillissante, conséquences de décennies de politique de limitation des naissances, la Chine fait face à une bombe démographique, illustrée mardi par les résultats de son recensement décennal : la part des plus de 60 ans dans la population a augmenté de plus de cinq points en dix ans. 

Pour tenter d'enrayer le phénomène, le pays autorise depuis quelques années tous les couples à avoir deux enfants. Mais élever un enfant coûte cher en Chine et avoir un seul bébé est ancré dans les habitudes.

Aujourd'hui, 254 millions de Chinois sont âgés de 60 ans et plus - soit environ 18% de la population - dont la majorité sont retraités.

Selon les estimations officielles, ils représenteront un tiers des habitants en 2050 et les dépenses sociales (santé, retraite, dépendance...) consacrées au troisième âge correspondront à un quart du PIB. 

"La Chine est déjà en train de réorganiser son système de retraite et de pensions, l'objectif étant de relever progressivement l'âge de la retraite", note Yong Cai, professeur à l'Université de Caroline du Nord et expert de la politique de l'enfant unique.

"Un autre domaine sur lequel elle travaille est celui de la santé: il y a un équilibre délicat à trouver entre l'élargissement de l'accès, la fourniture de soins de qualité et la maîtrise des coûts."  

"Un trésor"

Dans ce contexte, Rugao est vu comme un laboratoire pour l'avenir. 

Les seniors, très présents dans les temples et les parcs, sont traités avec respect dans cette ville qui a érigé une statue de 50 mètres représentant Shouxing, le dieu de la Longévité dans la mythologie chinoise.

"Notre philosophie ici est de respecter les personnes âgées", affirme à l'AFP She Minggao, directeur du Centre de recherche sur la longévité de Rugao, lui-même âgé de 70 ans. "Pour nous, avoir une personne âgée dans une famille, c'est comme posséder un trésor." 

Une fierté qui rejaillit sur les habitants. Gu Bin exhibe une lourde médaille d'or, décrochée après avoir remporté un 100 mètres... contre d'autres seniors.

Victime d'une chute il y a quelques années qui le force à rester chez lui, l'ex-comptable garde un oeil acéré sur le monde, grâce à internet qu'il a appris à utiliser à plus de 90 ans. 

"Biden est trop vieux pour être président", réagit-il en lisant sur son ordinateur un article de presse sur le locataire de la Maison Blanche, âgé de 78 ans. "Il est plus jeune que moi, mais pas aussi vif d'esprit", sourit M. Gu.

Travail, famille, services gratuits

Le secret de Rugao résiderait dans son environnement naturel exceptionnel, selon ses habitants. 

La quantité élevée de sélénium dans les sols jouerait ainsi un rôle, à en croire une étude réalisée par des chercheurs de l'Académie chinoise des sciences. Cet élément chimique est réputé réduire les risques de cancers et de maladies cardio-vasculaires.

Mais certains ont d'autres arguments. 

"Je travaille toujours", avance Yu Fuxi qui, à 103 ans, aime cuisiner pour ses petits-enfants. 

"Je passe le balai tous les jours et j'aime quand tout est propre et rangé. Je prends mon scooter pour aller au marché et j'achète ce que je veux", ajoute le fringant centenaire dans une pièce où est accrochée une photo du président Xi Jinping. 

A l'autre bout de la ville, Qian Minghua apporte son aide à l'entreprise de production de vis de son fils et trie les écrous avec ses doigts toujours agiles. 

"J'ai 101 ans et ma santé est bonne", assure-t-il depuis l'appartement qu'il partage avec son fils, son petit-fils et son arrière-petite-fille. Une cohabitation qui le rend "heureux".

Aussi à Rugao, les autorités veillent sur les seniors à travers des pensions et couvrent une partie de leurs soins. La ville propose des services gratuits comme des bilans de santé, des coupes de cheveux ou des massages. 

Si dans le pays le prix d'une consultation médicale est faible, celui des médicaments et opérations peut se révéler coûteux et les familles les plus démunies, notamment dans les zones rurales reculées, doivent parfois se saigner pour se soigner.

Coutume

Wang Yingmei et son mari payent 4.000 yuans (511 euros) mensuels pour une chambre proprette dans une maison de retraite de Rugao. C'est l'équivalent d'un mois de salaire moyen en ville et près du double du revenu mensuel en milieu rural. 

"Mon fils travaille à Pékin, donc la maison est vide", explique Wang Yingmei, 85 ans. "Ici c'est plus chaleureux" car il y a du monde, explique-t-elle. 

Mais mettre ses parents en maison de retraite ne va pas de soi en Chine et ces établissements sont de toute façon peu développés par rapport aux pays occidentaux.

"Les institutions publiques sont très demandées et les listes d'attente longues", déclare Kyle Freeman, consultant au cabinet Dezan Shira & Associates. A l'inverse, les onéreux centres privés sont en sous-capacité. 

Traditionnellement dans ce pays, les parents même âgés habitent avec leur fils et leur belle-fille. 

Mais cette prise en charge est devenue peu à peu un poids pour les actifs - souvent des enfants uniques seuls pour gérer ce fardeau financier et émotionnel. Un couple de deux enfants uniques se retrouve régulièrement à s'occuper de quatre parents vieillissants.

Avec le développement économique, qui pousse de nombreux jeunes à partir étudier ou travailler ailleurs en Chine, cette habitude est progressivement remise en cause.

L'objectif des autorités est de voir 90% des personnes âgées habiter à la maison - non dans une maison de retraite ou un institut médicalisé. Mais "cela implique un retour à la (coutume chinoise de la) piété filiale qui s'est mise sur pause au cours des 30 dernières années, surtout dans les grandes villes, souligne Sofya Bakhta, analyste chez Daxue Consulting.

Un marché

Dans les 15 prochaines années, les soins pour les personnes âgées pourraient supplanter l'immobilier en devenant le plus important secteur économique en Chine, selon Kyle Freeman.

Ce marché est encore embryonnaire et coûteux. Mais le gouvernement encourage les investissements dans un secteur qui devrait peser 13.000 milliards de yuans (1.700 milliard d'euros) en 2030.

Santé, services, loisirs, tourisme: la croissance du nombre de retraités est synonyme d'opportunités nouvelles pour ces secteurs. La construction de maisons de retraite, publiques ou privées, progresse.

"L'économie des seniors" représente actuellement 622 milliards d'euros, selon le cabinet Daxue Consulting à Shanghai. 

"En 2050, les seniors auront un haut niveau d'études, toucheront une meilleure pension de retraite, seront habitués à voyager à l'international et maîtriseront bien mieux les nouvelles technologies", souligne Sofya Bakhta.

En attendant, Gu Bin lui est satisfait de vivre dans son domicile verdoyant, entouré de voisins qu'il connaît et à proximité de sa fille et de son beau-fils. 

"La vie est belle", conclut-il. 

le Mercredi 12 Mai 2021 à 06:12 | Lu 284 fois