Bourail, France | AFP | samedi 05/07/2024 - Après six semaines de calme, Bourail, gros village à 160 km au nord de Nouméa, a brutalement explosé fin juin. Affrontements autour d'un barrage indépendantiste, maisons brûlées, puis de nouveau la paix. Un groupe d'habitants tente de maintenir le dialogue. Mais tous craignent "l'étincelle" qui embrasera la région.
Personne n'avait vu venir la déflagration. Chacun a son interprétation: la preuve que les indépendantistes de Bourail sont violents, comme le disent certains? Ou au contraire, la faute au démantèlement de leur barrage par les gendarmes, quelques jours plus tôt, qui a laissé le champ libre aux militants plus radicaux de Houaïlou, à une heure de route ?
Les 23 et 24 juin, dans la foulée de l'arrestation et du transfert en Hexagone du leader de la CCAT Christian Tein, Bourail a pour la première fois connu des violences. Plusieurs maisons et des entrepôts ont été brûlés et dans le village, tout le monde a craint le pire.
Pourtant, tout avait bien commencé. Quand le grand Nouméa a brûlé, lundi 13 mai, des barrages indépendantistes tenus par la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) se sont tout aussi subitement érigés dans le reste de l'archipel. A Bourail, il s'est installé à la sortie nord du village.
Dès le premier jour, un groupe d'habitants est parti à la rencontre des militants du barrage. Pour s'assurer qu'ils étaient sur la même longueur d'onde: hors de question de répéter ici les violences de Nouméa.
"On avait besoin de continuer à croire les uns en les autres", explique Valérie Ali Ben El Hadj, qui menait la petite troupe avec son amie Graziella Novella. Elles en sont revenues rassurées: "On a été accueillis comme d'habitude. Parce qu'on était entre nous et ce +nous+, il est crucial", dit-elle.
Car face à elle, l'enseignante a retrouvé des collègues de travail, des parents d'élève, d'anciens camarades de classe. Alors elle y est retournée chaque jour, avec des habitants de bonne volonté désireux de maintenir le dialogue.
Dans les locaux de l'entreprise de BTP de Graziella Novella, à l'arrêt à cause de la crise, le petit groupe réuni tient à souligner sa différence avec Nouméa. Ici, tout le monde se côtoie, connaît les traditions et les codes des autres communautés. Tout le monde ou presque est métissé aussi, assure Valérie Ali Ben El Hadj.
De quoi "préserver le vivre-ensemble" ? Tous l'espèrent, mais "c'est clair que ça tient à un fil", reconnaît Graziella Novella. Car la période est propice aux extrémistes des deux camps, poursuit la cheffe d'entreprise. Sa crainte: une altercation, la provocation de trop et que "ça dérape".
- "L'étincelle" -
Impression partagée par les habitants de Bourail. "Vu qu'on est tous armés, il faudrait juste une étincelle pour que ça parte en vrille", prévient Andrew Bone, pondéré agriculteur néo-zélandais de 51 ans qui précise que "des deux côtés, on veut éviter le pire".
Arrivé à Bourail en 1995, Andrew Bone, bien intégré dans la commune, n'a pas connu les "Evénements", la quasi-guerre civile qui a fait près de 90 morts de 1984 à 1988 en Nouvelle-Calédonie et a touché essentiellement la "brousse". Mais d'autres les ont vécus dans leur chair.
André Mazurier, 71 ans, avait dû quitter sa maison d'Houaïlou en une matinée en janvier 1985, abandonnant tout derrière lui après avoir été menacé par des Kanak. Figure locale, haut en couleur, il a refait sa vie à Bourail mais n'a pas oublié.
Durant les émeutes de mai, lui et quelques Caldoches ont monté un barrage fait de bottes de paille surmontées de drapeaux tricolores, à l'entrée sud de Bourail. Sur des containers, des positions de tirs derrière des sacs de sable avaient été installées.
"L'histoire se répète", dit-il aujourd'hui, regrettant la réponse trop molle des autorités vis-a-vis des émeutiers mais reconnaissant à demi-mot que Bourail n'est pas menacé. "Ils n'ont rien contre nous. Ce qu'ils veulent, c'était faire partir un maximum de Blancs de Nouméa".
Passée l'anxiété, une vie quasi-normale a repris à Bourail. Le Passage, l'incontournable supermarché qui anime la rue traversant le bourg, est resté ouvert tout le long de la crise malgré les difficultés d'approvisionnement, quand la route reliant Bourail à Nouméa, constellée d'obstacles, était impraticable.
La peur de manquer est partie. Reste un immense "besoin de parler", explique sa directrice, Sylvia Barket: "Les gens ont besoin d'échanger sur ce qu'ils vivent, sur leurs angoisses. Surtout, ils ont besoin de partager, de montrer qu'ils se respectent".
Bourail a retrouvé un semblant de sérénité, mais le groupe de Valérie et Graziella continue de veiller, espérant mobiliser la "majorité silencieuse", favorable selon eux au dialogue entre les indépendantistes et les loyalistes radicaux.
"On est obligés de continuer d'y croire. Ça n'enlève pas la peur, ça n'enlève pas l'inquiétude, mais ça doit pas non plus enlever l'espoir ni la volonté de faire".
Personne n'avait vu venir la déflagration. Chacun a son interprétation: la preuve que les indépendantistes de Bourail sont violents, comme le disent certains? Ou au contraire, la faute au démantèlement de leur barrage par les gendarmes, quelques jours plus tôt, qui a laissé le champ libre aux militants plus radicaux de Houaïlou, à une heure de route ?
Les 23 et 24 juin, dans la foulée de l'arrestation et du transfert en Hexagone du leader de la CCAT Christian Tein, Bourail a pour la première fois connu des violences. Plusieurs maisons et des entrepôts ont été brûlés et dans le village, tout le monde a craint le pire.
Pourtant, tout avait bien commencé. Quand le grand Nouméa a brûlé, lundi 13 mai, des barrages indépendantistes tenus par la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) se sont tout aussi subitement érigés dans le reste de l'archipel. A Bourail, il s'est installé à la sortie nord du village.
Dès le premier jour, un groupe d'habitants est parti à la rencontre des militants du barrage. Pour s'assurer qu'ils étaient sur la même longueur d'onde: hors de question de répéter ici les violences de Nouméa.
"On avait besoin de continuer à croire les uns en les autres", explique Valérie Ali Ben El Hadj, qui menait la petite troupe avec son amie Graziella Novella. Elles en sont revenues rassurées: "On a été accueillis comme d'habitude. Parce qu'on était entre nous et ce +nous+, il est crucial", dit-elle.
Car face à elle, l'enseignante a retrouvé des collègues de travail, des parents d'élève, d'anciens camarades de classe. Alors elle y est retournée chaque jour, avec des habitants de bonne volonté désireux de maintenir le dialogue.
Dans les locaux de l'entreprise de BTP de Graziella Novella, à l'arrêt à cause de la crise, le petit groupe réuni tient à souligner sa différence avec Nouméa. Ici, tout le monde se côtoie, connaît les traditions et les codes des autres communautés. Tout le monde ou presque est métissé aussi, assure Valérie Ali Ben El Hadj.
De quoi "préserver le vivre-ensemble" ? Tous l'espèrent, mais "c'est clair que ça tient à un fil", reconnaît Graziella Novella. Car la période est propice aux extrémistes des deux camps, poursuit la cheffe d'entreprise. Sa crainte: une altercation, la provocation de trop et que "ça dérape".
- "L'étincelle" -
Impression partagée par les habitants de Bourail. "Vu qu'on est tous armés, il faudrait juste une étincelle pour que ça parte en vrille", prévient Andrew Bone, pondéré agriculteur néo-zélandais de 51 ans qui précise que "des deux côtés, on veut éviter le pire".
Arrivé à Bourail en 1995, Andrew Bone, bien intégré dans la commune, n'a pas connu les "Evénements", la quasi-guerre civile qui a fait près de 90 morts de 1984 à 1988 en Nouvelle-Calédonie et a touché essentiellement la "brousse". Mais d'autres les ont vécus dans leur chair.
André Mazurier, 71 ans, avait dû quitter sa maison d'Houaïlou en une matinée en janvier 1985, abandonnant tout derrière lui après avoir été menacé par des Kanak. Figure locale, haut en couleur, il a refait sa vie à Bourail mais n'a pas oublié.
Durant les émeutes de mai, lui et quelques Caldoches ont monté un barrage fait de bottes de paille surmontées de drapeaux tricolores, à l'entrée sud de Bourail. Sur des containers, des positions de tirs derrière des sacs de sable avaient été installées.
"L'histoire se répète", dit-il aujourd'hui, regrettant la réponse trop molle des autorités vis-a-vis des émeutiers mais reconnaissant à demi-mot que Bourail n'est pas menacé. "Ils n'ont rien contre nous. Ce qu'ils veulent, c'était faire partir un maximum de Blancs de Nouméa".
Passée l'anxiété, une vie quasi-normale a repris à Bourail. Le Passage, l'incontournable supermarché qui anime la rue traversant le bourg, est resté ouvert tout le long de la crise malgré les difficultés d'approvisionnement, quand la route reliant Bourail à Nouméa, constellée d'obstacles, était impraticable.
La peur de manquer est partie. Reste un immense "besoin de parler", explique sa directrice, Sylvia Barket: "Les gens ont besoin d'échanger sur ce qu'ils vivent, sur leurs angoisses. Surtout, ils ont besoin de partager, de montrer qu'ils se respectent".
Bourail a retrouvé un semblant de sérénité, mais le groupe de Valérie et Graziella continue de veiller, espérant mobiliser la "majorité silencieuse", favorable selon eux au dialogue entre les indépendantistes et les loyalistes radicaux.
"On est obligés de continuer d'y croire. Ça n'enlève pas la peur, ça n'enlève pas l'inquiétude, mais ça doit pas non plus enlever l'espoir ni la volonté de faire".