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Conflit des infirmiers libéraux : la guerre des chiffres et l'extension de la grogne (mise à jour)


PAPEETE, mercredi 18 décembre 2013. Symptomatique du conflit des infirmiers libéraux avec la CPS et le gouvernement, au sujet des retards de paiement du RSPF, ce sont via les médias que les deux parties dialoguent sans se rencontrer. Or, faute d’une entrevue en face-à-face, les chiffres lancés par les uns et les autres peuvent être partiellement manipulés et ne servir qu’à présenter favorablement l’un ou l’autre des points de vue. Dans le même temps, cette partie de ping-pong à distance ne règle en rien le problème sur le fond et envenime au contraire la situation.

Hier, la volonté des ministres de la santé Béatrice Chansin et de la solidarité Manolita Ly, en conférence de presse, était clairement de présenter les infirmiers libéraux comme des professionnels bien payés. Pourtant, et c’est un rapport du pôle analyse et développement de la CPS qui le dit, l’évolution tarifaire des actes des soins infirmiers n’a fait que baisser depuis 1995. Ainsi les tarifs des AMI (actes techniques : injection, pansements) ont baissé de 10,6% ; les tarifs des AIS (nursing, soins corporels, prévention escarres) ont baissé de 25% et les tarifs des indemnités kilométriques payées aux infirmiers libéraux ont baissé de 88,8% de 2006 à 2013. Dans ce rapport, le pôle analyse et développement de la CPS constatait «une baisse globale des montants versés aux infirmiers libéraux de 3,2% » au premier semestre 2013.

Les infirmiers libéraux qui ont subi entre 2012 et 2013 une nouvelle baisse des tarifs de leurs prestations de 5% devraient, en outre, accepter sans broncher d’être payés en retard de leurs actes. A ce sujet la CPS avait sciemment introduit une clause l’an dernier prévoyant «que la CPS ne peut s’engager à garantir le respect des délais de paiement conventionnels s’agissant du RSPF». Une petite phrase qui permet d’éviter les poursuites, mais reporte les problèmes de trésorerie de ce régime de solidarité sur les infirmiers libéraux qui eux, poursuivent leurs tournées auprès des patients et effectuent leurs actes sans savoir à quel moment ils seront payés pour le travail fourni.

Ce mardi les deux ministres contestaient le retard accumulé pour les patients du RSPF. Ce n’était pas sept mois comme avancé par les infirmiers libéraux, mais trois mois. Effectivement, certains infirmiers libéraux ont découvert mardi en fin de journée que des prestations RSPF en retard de quelques mois avaient été payées le matin même ! Les ministres ont admis qu’il restait un reliquat de 85 millions de Fcfp à verser aux infirmiers libéraux, «la situation va être progressivement et le plus rapidement possible, réglée ». La somme reste coquette, et divisée par les 131 infirmiers libéraux du territoire, cela constitue une dette non nulle d’environ 650 000 Fcfp par infirmier. Une somme qui représente environ un mois et demi du salaire net d’un infirmier libéral, ce qui peut faire des dégâts sur les finances millimétrées d’une famille.

Bref, que les ministres rappellent aux infirmiers libéraux que «les malades ne doivent pas être pris en otage» dans ce conflit c’est du bon sens, mais qu’il n’y ait pas de discussions directes entre les parties est un non sens absolu. Car la CPS, reste néanmoins débitrice de 85 millions de Fcfp dus aux infirmiers libéraux, et le gouvernement actuel se retrouve à gérer un «héritage» difficile, avec l’arrêt de la participation de l’Etat au financement du RSPF depuis 2008. Dans le communiqué de presse officiel, la ministre de la santé Béatrice Chansin insiste sur l’obligation faite aux infirmiers d’assurer la «continuité de service» inscrite dans les «dispositions conventionnelles liant ces professionnels de santé à la CPS» mais ne fait aucune critique publique en tout à l’égard de la CPS qui s’est désengagée du «respect des délais de paiement conventionnels s’agissant du RSPF». Deux poids, deux mesures.

Cette grogne des infirmiers libéraux est à présent soutenue par l'ensemble des professionnels de santé qui signent ce mercredi une lettre ouverte au gouvernement paraphée par différents syndicats de professions médicales : celui des pharmacies des Îles et de Tahiti, des pharmacies de Polynésie française, des sage-femmes, médecins libéraux, kinésithérapeutes, orthophonistes et les infirmiers libéraux. "La semaine dernière, la Ministre de la Solidarité a annoncé qu’une fois de plus, le budget du RSPF allait être voté en déséquilibre. Cette situation est dangereuse car elle met en péril l’ensemble de l’offre de soins en Polynésie Française et en particulier dans les îles. L’ensemble des Professionnels de Santé continue à accuser des retards de paiements de plusieurs mois, mettant clairement en jeu la survie économique de nombreux praticiens. Nous tenons, de manière unanime et solidaire, à manifester au Gouvernement notre inquiétude quant à notre capacité à continuer à absorber les retards de paiements". Ce collectif des professionnels libéraux de santé "demande donc au Gouvernement qu’il s’engage, dès aujourd’hui, à prendre les mesures nécessaires visant à leur garantir qu’en 2014, les délais de paiements conventionnels seront respectés".

A l'issue du Conseil des ministres de ce mercredi, le porte-parole du gouvernement a annoncé que le budget 2014 du RSPF présenté par la ministre de la solidarité, Manolita Ly, n'avait pas encore été validé. "Vous connaissez la situation, nous devons être particulièrement vigilants, compte tenu de la situation préoccupante de ce régime, tout doit être fait pour sécuriser et veiller au bon fonctionnement de ce régime de solidarité" a déclaré Marcel Tuihani.


Rédigé par Mireille Loubet le Mercredi 18 Décembre 2013 à 11:27 | Lu 2980 fois