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Comment les compagnies aériennes font décoller le prix des billets


PAPEETE, le 14 mai 2018 - Un nouvel avis de l'Autorité polynésienne de la concurrence sur le transport aérien international étudie pourquoi les billets sont si chers depuis la Polynésie. Une rareté artificielle aurait été créée sur certaines lignes, en particulier le trajet Papeete-Los Angeles, afin de tirer le prix des billets d'avion vers des sommets...

C'est par auto-saisine que l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC) a décidé de mettre son nez dans le secteur du transport aérien international (téléchargez l'avis complet sur le site de l'APC). Le gendarme de l'économie polynésienne a d'abord constaté que le prix des billets sur certaines lignes avait explosé entre 2013 et 2016, sans que la raison de cette hausse de prix soit évidente. L'APC explique ainsi que "le prix moyen pondéré n’a cessé d’augmenter entre 2013 et 2016 sur la ligne Papeete-Los Angeles dans un contexte de rareté de l’offre de sièges."

Une comparaison est édifiante. Ainsi, en trois ans le prix relatif d’un billet Papeete-Paris est passé de 2,2 semaines de salaire moyen à 3 semaines. Sauf que sur la période 2010-2016, un aller-retour sur les lignes reliant l’Australie à Londres s'est effondré, passant de 1,4 à 1,1 semaine de salaire moyen…

L'avis de l'APC passe ensuite 40 pages à étudier tous les facteurs qui pourraient expliquer cette différence. Les économistes établissent que ne sont pas les taxes, que ce n'est pas la réglementation locale, que ce ne sont pas les coûts d'exploitation qui auraient explosés… Et finalement le rapport met le doigt sur l'explication : le "yield management".

Quand les robots changent le prix des billets plusieurs milliers de fois par jour

L'APC explique ce qu'est le "yield management", traduit en français par "optimisation du rendement" :

"La pratique de l’optimisation du rendement consiste à vendre au mieux chaque billet d’une cabine. L’objectif est de maximiser la recette en obtenant la recette moyenne la plus élevée possible.

Pour ce faire, les compagnies utilisent des modèles mathématiques leur permettant, sur la base de statistiques passées, notamment du trafic en J-365, de déterminer une courbe de remplissage des différentes classes tarifaires au cours du temps. Toute variation entre le coefficient cible et le coefficient réel entraîne un ajustement du prix à la baisse ou à la hausse par l’ouverture ou la fermeture de classes tarifaires.

Par ailleurs, le prix du billet dépend aussi de l’aéroport de départ, de celui d’arrivée et du point de vente, les politiques tarifaires étant variables selon les lieux de vente. En effet, chaque revendeur possède sa propre politique d’optimisation de rendement qui se surajoute à celle de la compagnie aérienne et dont la résultante peut être positive ou négative sur le prix final. De même, les accords de coopération commerciale entre compagnies peuvent également avoir pour effet la juxtaposition de plusieurs politiques d’optimisation du rendement au sein du même avion."


En clair, ce sont des programmes informatiques qui déterminent en temps réel le prix du billet qui vous est proposé, afin d'assurer que l'avion se remplisse tout en maximisant le prix de vente de chaque billet. Quand le remplissage de l'avion avance plus vite que prévu, le prix des billets augmente à toute vitesse. Donc plus les places sont rares, plus vite les robots augmentent le prix des billets…

C'est justement une rareté des places sur certaines destinations, en particulier la ligne Papeete–Los Angeles, qui a conduit à une explosion du coût du transport aérien polynésien entre 2013 et 2016. Le prix moyen payé par les voyageurs a explosé sans que les compagnies n'aient réellement "augmenté leurs tarifs".

La rareté a été organisée

En soit, l'APC ne semble pas avoir de problème avec le "yield management". Par contre, ce qui l'a vraiment fait tiquer est la nature de cette rareté. En effet, en 2016 le coefficient de remplissage des avions est particulièrement élevé sur la ligne Papeete–Los Angeles (84,3 % un taux maintenu depuis au moins 2012), que ce soit en comparaison de la moyenne mondiale (80,3 %) ou même par rapport à la ligne Papeete–Auckland (72,9 % suite à une forte augmentation de ses capacités par Air New Zealand).

L'avis étudie donc l'explication avancée devant les législateurs par les compagnies aériennes concernées. Elles assurent en effet que le taux de remplissage est directement lié à nos capacités hôtelières classées (excluant les pensions de famille et petits hôtels) : "En l'état, c’est donc la fermeture, même temporaire, de chambres ou d’hôtels qui contraint la demande de sièges, et donc l’offre. A cet égard, les grands projets haut de gamme type Mahana Beach sont porteurs à long terme pour la fréquentation des lignes" assurait ainsi l'un des transporteurs aériens locaux.

Sauf que l'explication ne tient pas face à l'étude rigoureuse menée par les économistes de l'APC : "En premier lieu, l’examen des données statistiques en termes d’évolution des nuitées et des sièges offerts montre une très faible corrélation entre les deux séries. (...) En second lieu, les touristes transportés sollicitant un hébergement hôtelier ne composent qu’une partie des passagers en provenance ou à destination de la Polynésie française. (…) Enfin, l’un des déterminants de la demande de transport est l’importance de la population locale et son revenu réel. Or, avec la reprise économique constatée depuis 2015, le revenu disponible des ménages (et le nombre de passagers) a progressé en 2015 comme en 2016." L'APC conclut dans son avis que "la demande potentielle en transport aérien n’est pas saturée. Elle est limitée par les prix élevés que permet une offre de sièges qui elle est proche de la saturation."

Le président de l'APC, Jacques Mérot, nous confirme dans son interview que selon lui "on voit que c'est la rareté de l'offre qui cause des coûts élevés, et que cette rareté est organisée." Quand on lui demande pourquoi les autres compagnies aériennes n'ont pas augmenté leur nombre de sièges en conséquence, et s'il pourrait y avoir eu une entente entre concurrents pour maintenir cette rareté, il répond malicieusement "c'est une très bonne question… Et on voit qu'il suffit qu'un nouveau concurrent arrive pour que toutes les anciennes explications sur le prix des billets disparaissent d'un coup."

Au final, l'APC se félicite de l'arrivée de nouvelles compagnies aériennes internationales pour dynamiser la concurrence dans ce secteur. On lit entre les lignes dans l'avis et dans l'interview de Jacques Mérot que l'arrivée de nouveaux concurrents sur le segment Tahiti-Californie semble régler le problème à court terme, et donc que l'APC n'envisage pas d'actions sur le marché du transport aérien pour le moment. L'Autorité adresse tout de même un message on ne peut plus clair aux compagnies aériennes desservant la Polynésie : "L’Autorité polynésienne de la concurrence recommande en conséquence (...) d’effectuer une autoévaluation des risques au regard du droit de la concurrence de leurs accords afin de se mettre en conformité en corrigeant les éventuels aspects anticoncurrentiels dans les meilleurs délais. L’Autorité recommande également à la Polynésie française de développer une approche plus dynamique sur l’évaluation des risques concurrentiels posés par les accords impactant la desserte de la Polynésie française."

Jacques Mérot, président de l'Autorité polynésienne de la concurrence

"On voit qu'il suffit qu'un concurrent arrive pour que toutes les anciennes explications sur le prix des billets et la rareté de l'offre de sièges disparaissent d'un coup"

Pourquoi l'APC s'est-elle saisie du sujet du transport aérien international ?

"Je dois replacer cet examen dans notre mission. Ici il s'agit d'un avis sur la manière dont le marché aérien s'organise, nous ne sommes pas dans la recherche et la sanction d’infractions au droit de la concurrence dans ce secteur. Nous avons étudié trois éléments principaux sur ce marché pour déterminer ce qui pouvait causer des problèmes ou influencer le prix des billets d'avions.

Pour commencer, nous avons regardé si la réglementation existante cause problème. On constate qu'elle pourrait poser quelques difficultés, mais que comme la pratique est différente des textes publiés, ça ne pose pas de problème au quotidien… Mais nous recommandons tout de même au gouvernement d'adapter les textes à la pratique. Par exemple la réglementation dit que les programmes de vol et les tarifs des compagnies aérienne doivent être approuvés par la Polynésie, y compris les promotions… On voit bien que c'est impossible, désormais le système des compagnies, le yield management, fixe les prix automatiquement par des ordinateurs qui changent les tarifs des milliers de fois par jour !

Le deuxième point, où il n'y a pas de problème pour l'instant, a consisté à étudier de façon globale l’impact anticoncurrentiel des accords de code share entre compagnies. Nous avons constaté que ce pourrait être soit tout blanc, ou tout noir : soit ces accords n'ont aucun impact, soit ils peuvent être très impactant. Donc nous recommandons aux compagnies d'examiner leurs accords actuels, parce qu'un jour nous pourrions aller voir le détail de ces accords et s’ils ont un impact anticoncurrentiel éventuellement les sanctionner. Mais ce n'est pas notre mission pour le moment, nous sommes dans le cadre dun avis, d'autant que les autorités de la concurrence étrangères ont examiné la plupart des accords existants, et en ont déjà interdit un par exemple qui aurait causé problème… Donc nous recommandons aux compagnies d'examiner en interne leurs propres accords. Au Pays nous recommandons que lorsqu'il est amené à approuver de nouveaux programmes de vols et qu'ils incluent des accords entres les compagnies, qu'il demande l’avis de l’APC sur l'éventuel impact anticoncurrentiel de ces accords.

Enfin, dans cet avis nous examinons ce qui provoque le prix des billets. Nous avons examiné les charges qui étaient comparables entre les compagnies, soit les taxes, le carburant et les frais d'escale. Ca représente en moyenne 40 % des coûts de la compagnie. Une dernière partie qui rassemble le coût de possession et de maintenance des avions, les frais de structure et les frais de personnel sont trop différents entre les compagnies et les comparer n'auraient pas eu de sens. Avec cet exercice on a vu que les coûts des frais d'escale, dont Air Tahiti a le monopole, sont chers et pourraient poser des problèmes de concurrence dans le sens où c'est une vente groupée. Tous les services doivent être pris ensemble, ou rien, alors qu'en divisant ces services certaines prestations pourraient être ouvertes à la concurrence. Néanmoins, ce surcoût de l'escale tahitienne ne permet pas d'expliquer le prix élevé des billets… Il résulte plus globalement de l'organisation et de l’efficience des compagnies : plus on a de personnel ou moins leur organisation est efficace, plus il y a de coûts à couvrir.

Surtout cet avis montre la pratique du yield management par toutes les compagnies. Elles cherchent à vendre leurs billets le plus cher possible, tout en gérant la rareté. Plus le taux de remplissage est élevé, plus le prix du billet monte… Et le prix monte d'autant plus vite que l'on ferme certaines catégories de tarif dans les avions. Il y a eu une rareté des billets sur la ligne Papeete – Los Angeles, et c'est ça qui explique la hausse du prix des billets sur la période étudiée.

Pourquoi y-a-t-il une raréfaction des sièges offerts ?
"Alors ça concerne seulement certaines lignes somme Papeete vers Los Angeles. On voit que vers Auckland, Air New Zealand a augmenté sa capacité et il n'y a pas eu cette hausse des prix. Pour Los Angeles, on nous dit que c'est lié à la disponibilité des offres hôtelières… Mais nous avons fait les études statistiques et il y a très peu de corrélation entre les deux séries. Ils ont présupposé que le nombre de billets vendus est lié à l'offre hôtelière et ils ont établi le nombre de places disponibles en conséquence… On voit que c'est la rareté de l'offre qui a causé des prix élevés, et que cette rareté a été organisée.

Il suffit qu'un concurrent arrive pour que toutes les anciennes explications sur le prix des billets et la rareté de l'offre de sièges s’atténue brutalement. Ce qui n'était pas possible avant, maintenant le devient !

On suppose aussi que certaines compagnies ont des coûts très élevés, et il est probable que ces coûts ne permettront ont pas de s'ajuster rapidement pour rejoindre ceux des compagnies à bas coût. Ça va prendre un moment et elles auront plus de mal à répliquer, au moins au début."

Quels sont les coûts des compagnies locales ?

Cette infographie de l'APC à partir des données 2015 illustre les  différents coûts moyens des compagnies aériennes polynésiennes polynésiennes, représentés en nombre de sièges par avion. Ainsi, l'assistance d'escale  d'Air Tahiti représente 18 sièges, soit autant que les redevances aéroportuaires. Le carburant à lui seul représentait un coût cinq fois plus important avec 90 sièges.
Cette infographie de l'APC à partir des données 2015 illustre les différents coûts moyens des compagnies aériennes polynésiennes polynésiennes, représentés en nombre de sièges par avion. Ainsi, l'assistance d'escale d'Air Tahiti représente 18 sièges, soit autant que les redevances aéroportuaires. Le carburant à lui seul représentait un coût cinq fois plus important avec 90 sièges.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Lundi 14 Mai 2018 à 18:50 | Lu 45141 fois