Tahiti, le 25 novembre 2019 - Le président du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen), Alain Christnacht, débute cette semaine une mission en Polynésie française. Dans une interview à Tahiti Infos, il revient notamment sur l’incompréhension suscitée par l’amendement « Tetuanui », instaurant un seuil minimal d’exposition de 1mSv pour prétendre à une indemnisation via la Loi Morin.
Quel est l’objet de votre nouvelle mission en Polynésie française ?
« Je suis venu seul en 2017, après ma nomination, pour une prise de contacts avec les principaux acteurs de ce dossier. En 2019, je reviens accompagné de deux médecins membres du CIVEN et alors que la règle légale a changé. Il s’agit pour la délégation d’entendre les appréciations des responsables et des associations sur son action et de l’expliquer. »
Pouvez-vous nous dresser un bilan des indemnisations du CIVEN à ce jour ?
« 96 demandes acceptées de 2010 à 2017, dont 11 de demandeurs résidant en Polynésie. 231 pour les seules années 2018 et 2019, dont 110 pour la Polynésie. En raison du délai d’expertise médicale après admission, au 30 octobre 2019, environ 250 millions de Fcfp seulement ont été versés à des victimes reconnues résidant en Polynésie mais ce montant augmentera fortement en 2020 compte tenu du nombre de demandes admises en 2019, puisque le taux d’admission des demandes est en ce moment proche de une sur deux. »
Près d’un an après les modifications apportées à la loi Morin, à la suite des recommandations de la commission mise en place par la loi EROM, peut-on dire que ce toilettage a permis l’accélération des indemnisations ?
« La loi EROM a supprimé le risque négligeable mais aussi créé une commission de 12 membres, dont trois parlementaires polynésiens, pour faire des propositions au Gouvernement pour « réserver » l’indemnisation aux victimes des essais. En effet, la seule suppression du risque négligeable ne permettait pas de distinguer, parmi les personnes atteintes d’une maladie pouvant être radio-induite, celles dont la maladie avait été effectivement provoquée par les rayonnements dus aux essais. La règle maintenant claire a permis au CIVEN de travailler. Les chiffres montrent l’accélération. »
D’autres modifications de la loi Morin pourraient-elles, à votre avis, être envisagées pour améliorer les procédures d’indemnisation ?
« Le CIVEN est attentif à l’évolution des connaissances scientifiques et médicales. Si des connaissances nouvelles validées incitaient à améliorer le dispositif légal, le CIVEN en ferait part aux autorités. Actuellement, le dispositif paraît adapté, comme le montrent les résultants quantitatifs. L’effort doit porter, de la part du CIVEN, sur les délais d’instruction et d’indemnisation. »
Pour revenir sur l’amendement dit « Tetuanui » qui a fixé dans la loi, fin 2018, la méthodologie employée par le CIVEN et notamment le fameux seuil minimal d’exposition. En quoi ce nouveau seuil est-t-il différent de la notion de risque négligeable supprimée de la loi Morin en 2017 ?
« S’il n’y avait pas eu d’essais nucléaires en Polynésie, il y aurait eu des cancers du sein, du poumon, de l’estomac ou du côlon, comme partout ailleurs, malheureusement. Ces maladies peuvent être radio-induites mais ne le sont pas pour tous les malades. Il y a d’autres causes possibles. La loi Morin repose sur un régime de présomption. Si vous avez l’une des maladies pouvant être radio-induites inscrites sur une liste et que vous avez séjourné en Polynésie pendant les essais, vous êtes présumé victime des essais. Or ce n’est pas vrai dans tous les cas, puisque le cancer peut avoir d’autres causes. Il faut donc d’autres critères pour établir le lien entre les rayons et la maladie. Avec le critère du risque négligeable, même la personne ayant reçu une dose significative de rayonnements pouvait ne pas être indemnisée si son dossier médical montrait, par exemple, de l’alcoolisme ou du tabagisme, facteurs de risques pour certains cancers. Aujourd’hui, c’est impossible. Seule une dose inférieure à 1 mSv permet de renverser la présomption, si le CIVEN l’établit. Les résultats montrent aussi la différence des méthodes. Avec le risque négligeable, moins de 10% des demandes satisfaites. Avec le 1 mSv, près de 50%. »
Est-il envisageable, selon vous, de supprimer toute notion de « seuil minimum d’exposition » dans la loi d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, ou ceci modifierait-il l’esprit de la loi en allant vers un système d’indemnisation forfaitaire ?
« La loi Morin permet la réparation intégrale des préjudices des personnes dont les maladies ont été provoquées par les rayonnements dus aux essais. Il faut donc établir ce lien. La dose de 1 mSv a été reconnue par toutes les institutions internationales comme celle en deçà de laquelle une maladie radio-induite ne pouvait être déclenchée. Si on supprime ce critère toutes les demandes sont acceptées, alors même qu’il est certain que, pour une proportion significative des personnes atteintes d’une maladie pouvant être radio-induite, les rayons n’en sont pas la cause. Ce serait donc une négation du principe même de la loi Morin. La question de l’indemnisation forfaitaire est différente. C’est le système américain. Est-il juste au regard de nos principes ? Le CIVEN verse des indemnisations entre 1 et 50 millions de Fcfp. Où fixer un forfait ? »
Comprenez-vous la surprise et l’incompréhension de certaines associations de défense des victimes du nucléaire en Polynésie française lorsque cet « amendement Tetuanui » a été pris, puisque le politique avait largement annoncé que la suppression du « risque négligeable » en 2017 devait supprimer tout verrou possible à l’indemnisation ?
« Il y a peut-être eu une communication insuffisante sur cette question complexe. Cet amendement n’est pourtant pas tombé du ciel. L’objectif de la commission était fixé dans la loi EROM : recommander les moyens de « réserver » l’indemnisation aux victimes. Elle s’est rendue en Polynésie. Ses recommandations ont été publiques. Et quel est ce « verrou » qui permet d’indemniser près de la moitié des demandeurs ! D’autant que le CIVEN utilise cette dose comme une référence, non comme une valeur comptable. Il accepte des demandes pour lesquelles la dose est inférieure à 1 mSv en prenant en compte la nature de la maladie, l’âge d’exposition ou le poste de travail. Certains ont sans doute pensé et dit que tous les demandeurs seraient indemnisés. Ce n’est pas la loi Morin. »
Enfin, êtes-vous favorable à la mise en place d’une étude sur les maladies transgénérationnelles et les essais nucléaires ?
« La transmission éventuelle de modifications radio-induites à la descendance fait l’objet d’études scientifiques et médicales depuis plusieurs décennies. Les études jusqu’à présent publiées n’indiquent pas qu’une exposition parentale conduise à des effets néfastes dans la descendance. Il est naturellement de l’intérêt de tous que ces études se poursuivent dans un cadre national et international, avec des groupes bien suivis et qui ont été exposés à des doses et types d’irradiation différents. Ce sujet ne doit pas être confondu avec les prédispositions héréditaires à certains cancers, connues depuis longtemps. »
Quel est l’objet de votre nouvelle mission en Polynésie française ?
« Je suis venu seul en 2017, après ma nomination, pour une prise de contacts avec les principaux acteurs de ce dossier. En 2019, je reviens accompagné de deux médecins membres du CIVEN et alors que la règle légale a changé. Il s’agit pour la délégation d’entendre les appréciations des responsables et des associations sur son action et de l’expliquer. »
Pouvez-vous nous dresser un bilan des indemnisations du CIVEN à ce jour ?
« 96 demandes acceptées de 2010 à 2017, dont 11 de demandeurs résidant en Polynésie. 231 pour les seules années 2018 et 2019, dont 110 pour la Polynésie. En raison du délai d’expertise médicale après admission, au 30 octobre 2019, environ 250 millions de Fcfp seulement ont été versés à des victimes reconnues résidant en Polynésie mais ce montant augmentera fortement en 2020 compte tenu du nombre de demandes admises en 2019, puisque le taux d’admission des demandes est en ce moment proche de une sur deux. »
Près d’un an après les modifications apportées à la loi Morin, à la suite des recommandations de la commission mise en place par la loi EROM, peut-on dire que ce toilettage a permis l’accélération des indemnisations ?
« La loi EROM a supprimé le risque négligeable mais aussi créé une commission de 12 membres, dont trois parlementaires polynésiens, pour faire des propositions au Gouvernement pour « réserver » l’indemnisation aux victimes des essais. En effet, la seule suppression du risque négligeable ne permettait pas de distinguer, parmi les personnes atteintes d’une maladie pouvant être radio-induite, celles dont la maladie avait été effectivement provoquée par les rayonnements dus aux essais. La règle maintenant claire a permis au CIVEN de travailler. Les chiffres montrent l’accélération. »
D’autres modifications de la loi Morin pourraient-elles, à votre avis, être envisagées pour améliorer les procédures d’indemnisation ?
« Le CIVEN est attentif à l’évolution des connaissances scientifiques et médicales. Si des connaissances nouvelles validées incitaient à améliorer le dispositif légal, le CIVEN en ferait part aux autorités. Actuellement, le dispositif paraît adapté, comme le montrent les résultants quantitatifs. L’effort doit porter, de la part du CIVEN, sur les délais d’instruction et d’indemnisation. »
Pour revenir sur l’amendement dit « Tetuanui » qui a fixé dans la loi, fin 2018, la méthodologie employée par le CIVEN et notamment le fameux seuil minimal d’exposition. En quoi ce nouveau seuil est-t-il différent de la notion de risque négligeable supprimée de la loi Morin en 2017 ?
« S’il n’y avait pas eu d’essais nucléaires en Polynésie, il y aurait eu des cancers du sein, du poumon, de l’estomac ou du côlon, comme partout ailleurs, malheureusement. Ces maladies peuvent être radio-induites mais ne le sont pas pour tous les malades. Il y a d’autres causes possibles. La loi Morin repose sur un régime de présomption. Si vous avez l’une des maladies pouvant être radio-induites inscrites sur une liste et que vous avez séjourné en Polynésie pendant les essais, vous êtes présumé victime des essais. Or ce n’est pas vrai dans tous les cas, puisque le cancer peut avoir d’autres causes. Il faut donc d’autres critères pour établir le lien entre les rayons et la maladie. Avec le critère du risque négligeable, même la personne ayant reçu une dose significative de rayonnements pouvait ne pas être indemnisée si son dossier médical montrait, par exemple, de l’alcoolisme ou du tabagisme, facteurs de risques pour certains cancers. Aujourd’hui, c’est impossible. Seule une dose inférieure à 1 mSv permet de renverser la présomption, si le CIVEN l’établit. Les résultats montrent aussi la différence des méthodes. Avec le risque négligeable, moins de 10% des demandes satisfaites. Avec le 1 mSv, près de 50%. »
Est-il envisageable, selon vous, de supprimer toute notion de « seuil minimum d’exposition » dans la loi d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, ou ceci modifierait-il l’esprit de la loi en allant vers un système d’indemnisation forfaitaire ?
« La loi Morin permet la réparation intégrale des préjudices des personnes dont les maladies ont été provoquées par les rayonnements dus aux essais. Il faut donc établir ce lien. La dose de 1 mSv a été reconnue par toutes les institutions internationales comme celle en deçà de laquelle une maladie radio-induite ne pouvait être déclenchée. Si on supprime ce critère toutes les demandes sont acceptées, alors même qu’il est certain que, pour une proportion significative des personnes atteintes d’une maladie pouvant être radio-induite, les rayons n’en sont pas la cause. Ce serait donc une négation du principe même de la loi Morin. La question de l’indemnisation forfaitaire est différente. C’est le système américain. Est-il juste au regard de nos principes ? Le CIVEN verse des indemnisations entre 1 et 50 millions de Fcfp. Où fixer un forfait ? »
Comprenez-vous la surprise et l’incompréhension de certaines associations de défense des victimes du nucléaire en Polynésie française lorsque cet « amendement Tetuanui » a été pris, puisque le politique avait largement annoncé que la suppression du « risque négligeable » en 2017 devait supprimer tout verrou possible à l’indemnisation ?
« Il y a peut-être eu une communication insuffisante sur cette question complexe. Cet amendement n’est pourtant pas tombé du ciel. L’objectif de la commission était fixé dans la loi EROM : recommander les moyens de « réserver » l’indemnisation aux victimes. Elle s’est rendue en Polynésie. Ses recommandations ont été publiques. Et quel est ce « verrou » qui permet d’indemniser près de la moitié des demandeurs ! D’autant que le CIVEN utilise cette dose comme une référence, non comme une valeur comptable. Il accepte des demandes pour lesquelles la dose est inférieure à 1 mSv en prenant en compte la nature de la maladie, l’âge d’exposition ou le poste de travail. Certains ont sans doute pensé et dit que tous les demandeurs seraient indemnisés. Ce n’est pas la loi Morin. »
Enfin, êtes-vous favorable à la mise en place d’une étude sur les maladies transgénérationnelles et les essais nucléaires ?
« La transmission éventuelle de modifications radio-induites à la descendance fait l’objet d’études scientifiques et médicales depuis plusieurs décennies. Les études jusqu’à présent publiées n’indiquent pas qu’une exposition parentale conduise à des effets néfastes dans la descendance. Il est naturellement de l’intérêt de tous que ces études se poursuivent dans un cadre national et international, avec des groupes bien suivis et qui ont été exposés à des doses et types d’irradiation différents. Ce sujet ne doit pas être confondu avec les prédispositions héréditaires à certains cancers, connues depuis longtemps. »