Le commandant Ramon Arnaud et sa femme, Alicia Rovira Arnaud.
CLIPPERTON, le 14 avril 2016. Rien, mais alors rien au grand jamais n’aurait dû permettre à Victoriano Álvarez, Mexicain d’origine africaine, d’entrer un jour, même par la porte du faits divers le plus sordide, dans la petite histoire de l’atoll français de Clipperton. Et pourtant, une suite de hasards et de circonstances lui permit de s’en proclamer “roi”, avec pour seul souci d’humilier et d’abuser sexuellement de ses sujettes…
Victoriano Alvarez était un grand gaillard noir de peau, de nationalité mexicaine, sans doute descendant d’un de ces esclaves amenés en Amérique centrale par les Espagnols lorsqu’ils eurent exterminés les Indiens. On ignore sa date de naissance, de même que les grandes lignes de ce que fut sa vie avant qu’il n’atterrissent sur l’atoll de Clipperton, à 1300 km environ des côtes mexicaines ; le monstre, car c’en fut un, arriva en 1906, lorsque le gouvernement mexicain décida de donner à une société anglaise, la Pacific Island Company, les droits exclusifs de l’exploitation du gisement de guano formé par l’accumulation de fiente d’oiseaux marins depuis des centaines de milliers d’années. Outre des ingénieurs et ouvriers, le président Porfirio Diaz, qui craignait les revendications françaises sur l’atoll et qui ne voulait pas les reconnaître, expédia une petite garnison composée de treize hommes, commandés par un certain Ramon Arnaud, d’ascendance française (et dont Alvarez aurait été un serviteur).
Une centaine de personnes sur Clipperton
Arnaud, précédemment déserteur, avait fait amende honorable et avait été réintégré dans l’armée avec le grade de lieutenant et le titre de gouverneur de Clipperton, titre qu’il conserva de 1906 à 1916, année de sa mort tragique.
Sa jeune et belle femme, Alicia Rovira Arnaud, le rejoignit, ainsi que d’autres civils, des femmes et des enfants, liés aux mineurs ou aux militaires. Au plus fort de son occupation, Clipperton abrita un peu plus d’une centaine de personnes ; tant que les Anglais vinrent charger le guano, tout alla bien, mais en 1910, la compagnie fit faillite, le prix du guano ayant fortement chuté sur le marché international. Certains d’ouvriers, ne sachant où aller ni que faire s’ils retournaient sur le continent, décidèrent de demeurer sur place ; un bateau faisait tous les deux mois la navette entre le Mexique et Clipperton, permettant à la petite colonie, enrichie de quelques bébés, de se maintenir vaille que vaille en vie.
Abandonnés par la révolution
Ce que les colons de Clipperton ne pouvaient pas prévoir, c’est que leur pays entrait en ébullition : Pancho Villa, Emiliano Zapata, entre autres, fomentèrent une révolution contre Diaz ; la guerre civile éclata en 1910 et Porfirio Diaz quitta le pouvoir en 1911. Dans la pagaille créée par la révolution, les colons de Clipperton furent tout simplement oubliés. Le bateau de la marine qui les approvisionnait cessa ses rotations. De colons, les 26 habitants restés à Clipperton étaient devenus des naufragés, oubliés du reste du monde. En réalité, “oubliés” ils le furent du Mexique, mais pas tout à fait des Etats-Unis, concernés au premier chef par la révolution de leur grand voisin. En 1914, un bâtiment de la marine américaine, l’USS Cleveland, tenta de leur porter secours. Voyant les 26 Mexicains abandonnés et sans ressources ni aide médicale, le capitaine yankee proposa à Arnaud d’évacuer l’île, en profitant de son bateau. Mais Arnaud était fier, orgueilleux et avait surtout déjà une désertion dans son dossier militaire. Il refusa l’offre et se contenta de laisser partir le dernier ouvrier de la compagnie anglaise ayant exploité les phosphates.
Sous-alimentation, scorbut, morts
A ce moment là de leur histoire, la petite colonie de Clipperton était composée de 12 soldats, de 12 femmes et enfants et de l’étrange gardien du phare construit par le Mexique en 1906, notre Victoriano Alvarez, vivant seul, à l’écart des autres. Pour toute nourriture, les Mexicains disposaient d’oiseaux de mer, d’œufs de ces mêmes oiseaux, de poissons quand ils en attrapaient, de crabes à foison et de quelques rares noix de coco, une petite poignée de cocotiers ayant survécu dans cet univers salé, brûlé par le soleil et les embruns. Certes, les cocos fournissaient un peu de vitamine C, mais en quantité bien insuffisante pour tout ce petit monde, et, très vite, les colons, spécialement les adultes, tombèrent malades, atteints par le scorbut. Bientôt, il fallut se résoudre à enterrer les morts. Profondément, pour ne pas que les crabes s’en régalent…
Tous les hommes noyés
Arnaud, face à l’inéluctable, ne parvenait pas à se résoudre à quitter l’île ; il ne disposait que d’un petit bateau et n’avait pas assez de gas-oil pour espérer atteindre Acapulco. Il n’avait plus que trois hommes avec lui, très mal en point, et un tel trajet à l’aviron lui semblait suicidaire. Un beau matin toutefois, Arnaud aperçut, ou crut apercevoir, un navire : c’était sa seule chance, pensa-t-il, et il fit mettre, malgré une mer forte, la baleinière à l’eau. Comme rendu fou par cette apparition, Arnaud fit ramer son équipage, mais bien vite, il fallut se rendre à l’évidence ; il n’y avait pas de bateau. Les marins tentèrent de raisonner Arnaud, lui confisquant même son arme, et essayèrent de revenir à la côte. Une vague retourna la barcasse et, devant les femmes réunies sur la grève, tous moururent noyés et tués contre le récif.
Quelques heures à peine après le drame, le temps empira. Un cyclone arrivait droit sur Clipperton. La femme d’Arnaud, pour couronner le tout, était sur le point d’accoucher. Les survivantes se réfugièrent dans ce qui servait de maison à Arnaud ; Alicia Rovira, veuve depuis quelques heures à peine, parvint, en pleine tempête, à donner la vie à un petit garçon baptisé Angel. Le cyclone passé, les survivants sortirent de leur abri pour découvrir que leur camp avait été rasé par la violence des vents et la montée des eaux.
Alvarez se proclame “roi”
Jusque-là invisible ou presque, le gardien de phare arriva brusquement au campement détruit. Il n’avait rien perdu du drame ayant coûté la vie à Arnaud et à ses hommes. Il savait les femmes et les enfants seuls et vulnérables. Son heure était venue. Il s’empressa de regrouper toutes les armes à feu et de les jeter au fond du lagon, gardant un fusil pour lui. Réunissant les survivants, il leur annonça qu’à dater de ce jour, il était le roi de Clipperton, avec les pleins pouvoirs. De suite, les femmes furent rabaissées au rang d’esclaves pour assouvir ses désirs. Deux d’entre elles se révoltèrent et refusèrent ; la sentence fut immédiate : le roi fou les viola toutes les deux et les tua avec son arme. Les autres furent battues régulièrement pour mieux obéir et se soumettre.
La terreur s’installa et dura de longs mois ; Alvarez prenait les femmes qu’il désirait, à tour de rôle, selon son bon plaisir “royal” : il se rassasia d’Altagracia Quiroz, 20 ans, puis se rabattit sur Rosalia Nava, 13 ans, avant de jeter son dévolu sur Tirza Randon, 20 ans.
Cette dernière était une femme de caractère, ne cachant pas sa haine envers Alvarez, mais elle ne voyait aucun moyen d’échapper à sa tyrannie ; quant au bourreau, il était conscient que son règne ne tiendrait que jusqu’au prochain bateau, sachant que la veuve Arnaud, leader naturel du groupe, le dénoncerait immédiatement. Alvarez, avec elle, était plus menaçant qu’avec aucune autre de ses prisonnières ; elle savait qu’il la tuerait dès qu’un navire apparaîtrait sur la ligne d’horizon.
A coups de marteau
Deux ans ; c’est la période de violence qu’imposa le gardien de phare à ses sujettes : les femmes et les enfants, pour survivre, se partageaient les rares cocos et récupérèrent, tant bien que mal, les débris du campement détruits par le cyclone pour se mettre à l’abri des intempéries. Altagracia, Tirza, Rosalia… Alvarez avait besoin de changement et décida, un beau jour, de jeter son dévolu sur Alicia Rovina Arnaud elle-même, dont il n’avait pas encore abusé. C’était à la mi-juillet 1917. Il prit son fusil, se rendit au camp des femmes avec Tirza Randon et informa Alicia qu’elle devait se présenter le lendemain matin au phare. “C’est maintenant le moment” lança Tirza à Alicia.
Le 18 juillet 1917, Alicia, son fils de 7 ans, Ramon Arnaud Junior, et Tirza Randon se rendirent au phare, pour y trouver Alvarez en train de griller un oiseau de mer. Apercevant Tirza, mécontent, il lui demanda ce qu’elle était revenue faire et tenta de la chasser. Celle-ci se précipita dans la hutte d’Alvarez, y prit un marteau et en ressortit guettant le signal d’Alicia qui lui fit un petit geste : Tirza prit l’outil à deux mains et l’écrasa par deux fois sur le crâne de son bourreau. Celui-ci n’était pas mort ; blessé, il tenta de s’en prendre à Alicia. Le fils de celle-ci s’empara à temps du fusil du gardien de phare, tandis que Tirza, une troisième fois, la bonne, frappa à nouveau Alvarez. Il retomba, probablement mort. Mais la justicière avait la rage ; saisissant un couteau, elle frappa plusieurs fois le corps du Noir, avant de lui lacérer le visage. Le dictateur de Clipperton, défiguré, avait terminé son règne…
Sauvés par un chasseur de sous-marins
Les trois protagonistes de la scène étaient encore aux côtés du cadavre lorsque le petit Ramon vit, au loin, ce que le groupe martyr attendait depuis deux ans : un bateau. Il s’agissait du USS Yorktown, un navire de guerre US sillonnant les côtes de l’Amérique du nord et du sud, à la recherche de sous-marins allemands (on était alors en pleine Première Guerre mondiale). Les Américains pensaient, en outre, que Clipperton pouvait servir de base secrète aux Allemands.
Après un tour d’observation prudent de l’atoll, le Yorktown envoya une barque à la côte, mais les vagues étaient trop fortes, et l’annexe revint au bateau. Les survivants étaient alors désespérés à l’idée de voir le navire reprendre le large. Le second essai de débarquement fut le bon et, à peine au contact de leurs sauveteurs, les femmes leur firent savoir leur détresse et leur désir de quitter l’île au plus vite.
Elles ne cachèrent rien de ce qui venait de se passer et elles conduisirent une patrouille au phare. Trois femmes, huit enfants rachitiques et sous-alimentés ; les Américains notèrent, entre autres, que le petit Angel, deux ans, ne pouvait même pas marcher tant il était petit et faible. Tous les rescapés, bien entendu, furent embarqués sur le Yorktown, et le corps d’Alvarez abandonné aux crabes.
Daniel Pardon
Victoriano Alvarez était un grand gaillard noir de peau, de nationalité mexicaine, sans doute descendant d’un de ces esclaves amenés en Amérique centrale par les Espagnols lorsqu’ils eurent exterminés les Indiens. On ignore sa date de naissance, de même que les grandes lignes de ce que fut sa vie avant qu’il n’atterrissent sur l’atoll de Clipperton, à 1300 km environ des côtes mexicaines ; le monstre, car c’en fut un, arriva en 1906, lorsque le gouvernement mexicain décida de donner à une société anglaise, la Pacific Island Company, les droits exclusifs de l’exploitation du gisement de guano formé par l’accumulation de fiente d’oiseaux marins depuis des centaines de milliers d’années. Outre des ingénieurs et ouvriers, le président Porfirio Diaz, qui craignait les revendications françaises sur l’atoll et qui ne voulait pas les reconnaître, expédia une petite garnison composée de treize hommes, commandés par un certain Ramon Arnaud, d’ascendance française (et dont Alvarez aurait été un serviteur).
Une centaine de personnes sur Clipperton
Arnaud, précédemment déserteur, avait fait amende honorable et avait été réintégré dans l’armée avec le grade de lieutenant et le titre de gouverneur de Clipperton, titre qu’il conserva de 1906 à 1916, année de sa mort tragique.
Sa jeune et belle femme, Alicia Rovira Arnaud, le rejoignit, ainsi que d’autres civils, des femmes et des enfants, liés aux mineurs ou aux militaires. Au plus fort de son occupation, Clipperton abrita un peu plus d’une centaine de personnes ; tant que les Anglais vinrent charger le guano, tout alla bien, mais en 1910, la compagnie fit faillite, le prix du guano ayant fortement chuté sur le marché international. Certains d’ouvriers, ne sachant où aller ni que faire s’ils retournaient sur le continent, décidèrent de demeurer sur place ; un bateau faisait tous les deux mois la navette entre le Mexique et Clipperton, permettant à la petite colonie, enrichie de quelques bébés, de se maintenir vaille que vaille en vie.
Abandonnés par la révolution
Ce que les colons de Clipperton ne pouvaient pas prévoir, c’est que leur pays entrait en ébullition : Pancho Villa, Emiliano Zapata, entre autres, fomentèrent une révolution contre Diaz ; la guerre civile éclata en 1910 et Porfirio Diaz quitta le pouvoir en 1911. Dans la pagaille créée par la révolution, les colons de Clipperton furent tout simplement oubliés. Le bateau de la marine qui les approvisionnait cessa ses rotations. De colons, les 26 habitants restés à Clipperton étaient devenus des naufragés, oubliés du reste du monde. En réalité, “oubliés” ils le furent du Mexique, mais pas tout à fait des Etats-Unis, concernés au premier chef par la révolution de leur grand voisin. En 1914, un bâtiment de la marine américaine, l’USS Cleveland, tenta de leur porter secours. Voyant les 26 Mexicains abandonnés et sans ressources ni aide médicale, le capitaine yankee proposa à Arnaud d’évacuer l’île, en profitant de son bateau. Mais Arnaud était fier, orgueilleux et avait surtout déjà une désertion dans son dossier militaire. Il refusa l’offre et se contenta de laisser partir le dernier ouvrier de la compagnie anglaise ayant exploité les phosphates.
Sous-alimentation, scorbut, morts
A ce moment là de leur histoire, la petite colonie de Clipperton était composée de 12 soldats, de 12 femmes et enfants et de l’étrange gardien du phare construit par le Mexique en 1906, notre Victoriano Alvarez, vivant seul, à l’écart des autres. Pour toute nourriture, les Mexicains disposaient d’oiseaux de mer, d’œufs de ces mêmes oiseaux, de poissons quand ils en attrapaient, de crabes à foison et de quelques rares noix de coco, une petite poignée de cocotiers ayant survécu dans cet univers salé, brûlé par le soleil et les embruns. Certes, les cocos fournissaient un peu de vitamine C, mais en quantité bien insuffisante pour tout ce petit monde, et, très vite, les colons, spécialement les adultes, tombèrent malades, atteints par le scorbut. Bientôt, il fallut se résoudre à enterrer les morts. Profondément, pour ne pas que les crabes s’en régalent…
Tous les hommes noyés
Arnaud, face à l’inéluctable, ne parvenait pas à se résoudre à quitter l’île ; il ne disposait que d’un petit bateau et n’avait pas assez de gas-oil pour espérer atteindre Acapulco. Il n’avait plus que trois hommes avec lui, très mal en point, et un tel trajet à l’aviron lui semblait suicidaire. Un beau matin toutefois, Arnaud aperçut, ou crut apercevoir, un navire : c’était sa seule chance, pensa-t-il, et il fit mettre, malgré une mer forte, la baleinière à l’eau. Comme rendu fou par cette apparition, Arnaud fit ramer son équipage, mais bien vite, il fallut se rendre à l’évidence ; il n’y avait pas de bateau. Les marins tentèrent de raisonner Arnaud, lui confisquant même son arme, et essayèrent de revenir à la côte. Une vague retourna la barcasse et, devant les femmes réunies sur la grève, tous moururent noyés et tués contre le récif.
Quelques heures à peine après le drame, le temps empira. Un cyclone arrivait droit sur Clipperton. La femme d’Arnaud, pour couronner le tout, était sur le point d’accoucher. Les survivantes se réfugièrent dans ce qui servait de maison à Arnaud ; Alicia Rovira, veuve depuis quelques heures à peine, parvint, en pleine tempête, à donner la vie à un petit garçon baptisé Angel. Le cyclone passé, les survivants sortirent de leur abri pour découvrir que leur camp avait été rasé par la violence des vents et la montée des eaux.
Alvarez se proclame “roi”
Jusque-là invisible ou presque, le gardien de phare arriva brusquement au campement détruit. Il n’avait rien perdu du drame ayant coûté la vie à Arnaud et à ses hommes. Il savait les femmes et les enfants seuls et vulnérables. Son heure était venue. Il s’empressa de regrouper toutes les armes à feu et de les jeter au fond du lagon, gardant un fusil pour lui. Réunissant les survivants, il leur annonça qu’à dater de ce jour, il était le roi de Clipperton, avec les pleins pouvoirs. De suite, les femmes furent rabaissées au rang d’esclaves pour assouvir ses désirs. Deux d’entre elles se révoltèrent et refusèrent ; la sentence fut immédiate : le roi fou les viola toutes les deux et les tua avec son arme. Les autres furent battues régulièrement pour mieux obéir et se soumettre.
La terreur s’installa et dura de longs mois ; Alvarez prenait les femmes qu’il désirait, à tour de rôle, selon son bon plaisir “royal” : il se rassasia d’Altagracia Quiroz, 20 ans, puis se rabattit sur Rosalia Nava, 13 ans, avant de jeter son dévolu sur Tirza Randon, 20 ans.
Cette dernière était une femme de caractère, ne cachant pas sa haine envers Alvarez, mais elle ne voyait aucun moyen d’échapper à sa tyrannie ; quant au bourreau, il était conscient que son règne ne tiendrait que jusqu’au prochain bateau, sachant que la veuve Arnaud, leader naturel du groupe, le dénoncerait immédiatement. Alvarez, avec elle, était plus menaçant qu’avec aucune autre de ses prisonnières ; elle savait qu’il la tuerait dès qu’un navire apparaîtrait sur la ligne d’horizon.
A coups de marteau
Deux ans ; c’est la période de violence qu’imposa le gardien de phare à ses sujettes : les femmes et les enfants, pour survivre, se partageaient les rares cocos et récupérèrent, tant bien que mal, les débris du campement détruits par le cyclone pour se mettre à l’abri des intempéries. Altagracia, Tirza, Rosalia… Alvarez avait besoin de changement et décida, un beau jour, de jeter son dévolu sur Alicia Rovina Arnaud elle-même, dont il n’avait pas encore abusé. C’était à la mi-juillet 1917. Il prit son fusil, se rendit au camp des femmes avec Tirza Randon et informa Alicia qu’elle devait se présenter le lendemain matin au phare. “C’est maintenant le moment” lança Tirza à Alicia.
Le 18 juillet 1917, Alicia, son fils de 7 ans, Ramon Arnaud Junior, et Tirza Randon se rendirent au phare, pour y trouver Alvarez en train de griller un oiseau de mer. Apercevant Tirza, mécontent, il lui demanda ce qu’elle était revenue faire et tenta de la chasser. Celle-ci se précipita dans la hutte d’Alvarez, y prit un marteau et en ressortit guettant le signal d’Alicia qui lui fit un petit geste : Tirza prit l’outil à deux mains et l’écrasa par deux fois sur le crâne de son bourreau. Celui-ci n’était pas mort ; blessé, il tenta de s’en prendre à Alicia. Le fils de celle-ci s’empara à temps du fusil du gardien de phare, tandis que Tirza, une troisième fois, la bonne, frappa à nouveau Alvarez. Il retomba, probablement mort. Mais la justicière avait la rage ; saisissant un couteau, elle frappa plusieurs fois le corps du Noir, avant de lui lacérer le visage. Le dictateur de Clipperton, défiguré, avait terminé son règne…
Sauvés par un chasseur de sous-marins
Les trois protagonistes de la scène étaient encore aux côtés du cadavre lorsque le petit Ramon vit, au loin, ce que le groupe martyr attendait depuis deux ans : un bateau. Il s’agissait du USS Yorktown, un navire de guerre US sillonnant les côtes de l’Amérique du nord et du sud, à la recherche de sous-marins allemands (on était alors en pleine Première Guerre mondiale). Les Américains pensaient, en outre, que Clipperton pouvait servir de base secrète aux Allemands.
Après un tour d’observation prudent de l’atoll, le Yorktown envoya une barque à la côte, mais les vagues étaient trop fortes, et l’annexe revint au bateau. Les survivants étaient alors désespérés à l’idée de voir le navire reprendre le large. Le second essai de débarquement fut le bon et, à peine au contact de leurs sauveteurs, les femmes leur firent savoir leur détresse et leur désir de quitter l’île au plus vite.
Elles ne cachèrent rien de ce qui venait de se passer et elles conduisirent une patrouille au phare. Trois femmes, huit enfants rachitiques et sous-alimentés ; les Américains notèrent, entre autres, que le petit Angel, deux ans, ne pouvait même pas marcher tant il était petit et faible. Tous les rescapés, bien entendu, furent embarqués sur le Yorktown, et le corps d’Alvarez abandonné aux crabes.
Daniel Pardon
L’atoll de Clipperton, à plus de 1 000 km au large des côtes mexicaines, où eut lieu la tragédie ; cette terre est aujourd’hui à la France, rattachée à la Polynésie française.
Le gouverneur de Clipperton, Ramon Arnaud, qui ne voulut pas quitter l’île et qui fut, à cause de son entêtement, à l’origine de la tragédie.
Le phare de l’atoll, d’où le “roi” Alvarez faisait régner la terreur.
Trois des femmes survivantes de Clipperton, ayant été, pendant deux ans, les proies du sadique Victoriano Alvarez ; de gauche à droite Alicia Arnaud, Altagracia Quiroz et Tirza Randon, celle qui mania le marteau ayant tué le tyran.
Epilogue heureux…
Une fois à bord, les femmes et leurs enfants squelettiques purent raconter leur terrible séjour sur Clipperton. “Déchirant” fut le commentaire du lieutenant Kerr, chargé d’établir un rapport. Son capitaine, Perrill, et lui-même firent tout ce qui était en leur pouvoir pour atténuer la responsabilité de Tirza devant un éventuel juge. Pendant 17 ans, aucun d’eux ne dit un mot sur le drame qui s’était noué entre 1914 et 1917 sur l’atoll. Le Yorktown cessa sa course aux Allemands pour rallier le port de Salina Cruz, au Mexique, où des membres des familles des rescapés avaient été prévenus par radio. Le 22 juillet 1917, le Yorktown frappa ses amarres au quai de Salina Cruz. Felix Rovira attendait sa fille, Alicia. Il croyait que toute la petite colonie était morte, ce que lui avaient déclaré les autorités mexicaines.
Les retrouvailles furent si poignantes que même les marins du Yorktown en pleurèrent et offrirent une petite somme d’argent aux rescapés pour les aider à leur retour à terre. Marins et survivants furent invités à une fête à l’hôtel de la ville. Peryll, le capitaine, estimait qu’Alicia avait 40 ans. Elle avait été si marquée par son séjour qu’elle faisait plus vieille que son âge puisqu’elle n’avait, en réalité que 29 ans, les autres femmes étant encore plus jeunes.
Elles venaient de passer neuf années sur Clipperton, dont les dernières furent cauchemardesques, tenaillées par la faim et les désirs sadiques et obscènes du “roi Alvarez”.
Une fois à bord, les femmes et leurs enfants squelettiques purent raconter leur terrible séjour sur Clipperton. “Déchirant” fut le commentaire du lieutenant Kerr, chargé d’établir un rapport. Son capitaine, Perrill, et lui-même firent tout ce qui était en leur pouvoir pour atténuer la responsabilité de Tirza devant un éventuel juge. Pendant 17 ans, aucun d’eux ne dit un mot sur le drame qui s’était noué entre 1914 et 1917 sur l’atoll. Le Yorktown cessa sa course aux Allemands pour rallier le port de Salina Cruz, au Mexique, où des membres des familles des rescapés avaient été prévenus par radio. Le 22 juillet 1917, le Yorktown frappa ses amarres au quai de Salina Cruz. Felix Rovira attendait sa fille, Alicia. Il croyait que toute la petite colonie était morte, ce que lui avaient déclaré les autorités mexicaines.
Les retrouvailles furent si poignantes que même les marins du Yorktown en pleurèrent et offrirent une petite somme d’argent aux rescapés pour les aider à leur retour à terre. Marins et survivants furent invités à une fête à l’hôtel de la ville. Peryll, le capitaine, estimait qu’Alicia avait 40 ans. Elle avait été si marquée par son séjour qu’elle faisait plus vieille que son âge puisqu’elle n’avait, en réalité que 29 ans, les autres femmes étant encore plus jeunes.
Elles venaient de passer neuf années sur Clipperton, dont les dernières furent cauchemardesques, tenaillées par la faim et les désirs sadiques et obscènes du “roi Alvarez”.
Porfirio Diaz, le président du Mexique ; c’est lui qui eut l’idée d’installer une petite garnison sur l’atoll déjà revendiqué par les Français (et qui fut définitivement attribué à la France le 28 janvier 1931).
A lire
La tragédie de Clipperton a inspiré autant les historiens que les romanciers. Voici quelques livres (essais et romans) ayant pour objet le drame des oubliés de Clipperton.
- Clipperton l’île tragique, André Rossfelder (Albin Michel)
- Les Oubliés de Clipperton, Claude Labarraque Reyssac (ED. André Bonne)
- L’homme de Clipperton, Gil Pastor (Luneau Ascot Editeurs (1987)
- Le Roi de Clipperton, Jean-Hugues Lime (Le Cherche Midi)
- Agua verde, Anne Vallaeys (Fayard)
- L’île aux fous, Ana García Bergua (Mercure de France ; bibliothèque étrangère)
La tragédie de Clipperton a inspiré autant les historiens que les romanciers. Voici quelques livres (essais et romans) ayant pour objet le drame des oubliés de Clipperton.
- Clipperton l’île tragique, André Rossfelder (Albin Michel)
- Les Oubliés de Clipperton, Claude Labarraque Reyssac (ED. André Bonne)
- L’homme de Clipperton, Gil Pastor (Luneau Ascot Editeurs (1987)
- Le Roi de Clipperton, Jean-Hugues Lime (Le Cherche Midi)
- Agua verde, Anne Vallaeys (Fayard)
- L’île aux fous, Ana García Bergua (Mercure de France ; bibliothèque étrangère)