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Carnet de voyage - 1839 : J. Williams mangé à Erromango


Un portrait du missionnaire John Williams avant son retour dans le Pacifique Sud ; son débarquement à Erromango lui sera fatal.
Un portrait du missionnaire John Williams avant son retour dans le Pacifique Sud ; son débarquement à Erromango lui sera fatal.
PACIFIQUE, le 4 juillet 2019. L'affaire que nous allons évoquer dans les lignes qui suivent est bien connue des milieux missionnaires protestants du Pacifique, dans la mesure où le drame a concerné deux pasteurs, dont l'un était célèbre, et également parce que cette affaire a eu des prolongements cent soixante-dix ans plus tard.

John Williams, puisque c'est lui le principal héros malheureux de notre histoire, était membre de la London Missionnary Society, au sein de laquelle il avait été nommé missionnaire en 1816.

Né à Tottenham, près de Londres en 1796, il était voué à une vie de travail dans une fonderie, comme ouvrier, quand il eut l’opportunité d’intégrer les rangs de la LMS pour assouvir un besoin fort, une passion pressentie, une vocation certaine, porter la « bonne parole » à des peuplades lointaines ; aux antipodes, dans toutes les acceptions du terme, de la vie d’ouvrier fondeur à laquelle il avait eu peur d’être condamné.

Tahiti, Cook Islands, Samoa…

Dès 1817, quelques mois seulement après avoir été désigné pour partir dans les missions « exotiques », il fut envoyé avec son épouse, Mary Chawner, dans l'archipel de la Société (Polynésie française), accompagné par William Ellis. Il prit son premier poste à Raiatea, l’île sacrée, mais à partir de cette base, il circula beaucoup dans les autres îles de la région pour tenter de multiplier les conversions.

On le trouve ainsi à Aitutaki (au nord des îles Cook) en 1821, accompagné de convertis tahitiens qui l'aident dans sa tache (on appelait alors ces auxiliaires des « teachers »).

Visiblement, l'île principale, Rarotonga, la plus grande des îles Cook, plut énormément à la famille Williams (on dit d’ailleurs souvent -à tort- que c'est ce couple qui découvrit l'île) ; ils s'y installèrent (les Williams eurent onze enfants, mais seuls trois survécurent et parvinrent à l’âge adulte) et entreprirent leur travail d'évangélisation avec un total dévouement. John eut le temps de pousser plus à l’ouest, jusqu’aux Samoa, sa famille étant la première à débarquer dans cet archipel pour tenter de faire adhérer à la « vraie foi » la population indigène.

En 1834, John Williams repartit en Grande-Bretagne ; il n’avait pas perdu son temps aux îles Cook, puisqu’il avait appris la langue locale qu’il maîtrisait, aux yeux de sa hiérarchie, suffisamment bien pour qu’on lui demande de traduire en rarotongien le Nouveau Testament.

Il était accompagné, lors de ce très long périple, d'un Samoan qui ne supporta pas le climat froid de l’Angleterre et qui décéda à Londres ; finalement, la famille Williams fit une nouvelle fois route pour le Pacifique Sud en 1837, à bord du Camden (commandant Robert Clark Morgan).

Williams avait, en plus de son travail, eut le temps de rédiger un ouvrage de référence pendant son séjour londonien (Narrative of Missionnary Enterprises in the South Seas Islands) et, compte tenu de ses succès sur le terrain, le pasteur devint vite très connu et servit, en quelque sorte, de référence à tous les jeunes apprentis missionnaires désireux de marcher sur ses traces.

Bien reçus, mais tués le lendemain

En 1839, alors âgé seulement de 43 ans, John Williams eut l'opportunité de changer d'univers et d'abandonner momentanément la Polynésie pour la Mélanésie. Williams, en effet, n'était pas homme à s'enterrer dans sa paroisse de Ratotonga où il avait fait des merveilles ; il voulait, avant toute chose, continuer son travail de porteur de la bonne parole à des peuples vivant, comme on le disait alors, dans le péché et l'obscurantisme.

John Williams se rendit aux Nouvelles-Hébrides (le Vanuatu d'aujourd'hui) avec un autre missionnaire, James Harris.

Embarqués sur le Camden, les deux hommes purent se rendre sur l'île d'Erromango, au sud de l'archipel, une île où les insulaires belliqueux n'avaient entendu parler ni de Jésus ni de ce charismatique pasteur.

On sait peu de choses sur ce qu'il s'est réellement passé ce 20 novembre 1839, sinon que les deux hommes n'eurent guère le temps de commencer à dispenser la bonne parole. Ils furent bien reçus le jour de leur arrivée, mais le lendemain, ils tombèrent sous les coups des casse-tête de leur tribu d’accueil. Les guerriers, ravis de leur facile victoire, décidèrent de tout simplement la fêter en mettant au four les corps des deux malheureux missionnaires, qui furent mangés de suite.

En 1839, une stèle put être érigée à l'endroit du crime, et elle s'y trouve d'ailleurs toujours. Mais à Erromango, le drame était resté dans les mémoires, et, une fois convertis, les habitants gardèrent sur la conscience ce double meurtre qui ne pouvait rester sans pardon.

170 ans après…

C'est ainsi que le drame de John Williams refit surface en décembre 2009, les descendants du pasteur et de sa femme Mary ayant accepté de se rendre à Erromango pour participer à une cérémonie de réconciliation entre les descendants des cannibales et ceux des missionnaires sacrifiés.

La cérémonie marquait le 170e anniversaire de la mort des deux religieux. Les habitants de l'île, très pauvre dans un pays lui-même du Tiers Monde, croyaient depuis longtemps que leur situation précaire était due au fait que leurs ancêtres avaient tué et mangé ces deux missionnaires et que Dieu, du haut du ciel, les avait maudits et leur faisait payer leur acte lâche. Il devenait donc essentiel, à leurs yeux, d'obtenir le pardon des descendants : l'occasion pour eux de se remémorer le drame ; lorsque les indigènes virent les deux missionnaires revenir vers eux sur la plage, au lendemain de leur arrivée, ils étaient tous armés de casse-tête, de lances et autres armes et l'histoire locale, transmise oralement, rapporte que Harris fut immédiatement mis à mort alors que Williams, qui avait pu prendre ses jambes à son cou, fut rattrapé plus loin en bord de mer et fut à son tour massacré sans avoir eu le temps de dire ou de faire quoi que ce soit.

La faute à des santaliers

Les habitants d'Erromango confirmèrent par la même occasion les récits des anciens, à savoir que les deux corps avaient été dévorés. Ce que les coupables avaient d'ailleurs reconnu lorsque, quinze mois après le drame, un navire anglais avait fait escale devant l'île. Les habitants avaient alors expliqué qu'à leurs yeux, ces deux hommes représentaient une menace pour la communauté ; et pour cause ! Quelques jours seulement avant l'arrivée des deux missionnaires, une bande de récolteurs de bois de santal avait fait escale à Erromango et avait allègrement massacré la population, pour ne pas avoir à négocier des droits de récolte du précieux bois.

Dans un tel contexte, outre un désir de vengeance bien légitime, les habitants de l'île, lorsqu'ils virent réapparaître après la tragédie initiale d'autres hommes blancs, ne pensèrent qu'à une chose, les tuer au plus vite et les manger pour acquérir leurs pouvoirs et se débarrasser d'eux à jamais.
En 2009, ils furent exactement dix-huit descendants de John Williams à s’être déplacés au bout du monde pour participer à cette grande et officielle réconciliation. Lors de la cérémonie, des dizaines et des dizaines de descendants des cannibales de 1839 vinrent silencieusement, en file indienne, demander pardon à chacun des descendants du pasteur.

Respect, contrition, réconciliation

La communauté alla même beaucoup plus loin dans sa démarche, en demandant aux Williams d'accepter de prendre en charge, pour assurer son éducation, une petite fille de sept ans, en échange de la perte de John. Une responsabilité très lourde que la famille du pasteur martyrisé accepta de prendre.

Enfin, pour clore ces gestes d'excuses, la communauté d'Erromango annonça que la baie où la tuerie avait eu lieu, Dillon’s Bay, serait, à dater de ce jour, rebaptisée Williams Bay, en mémoire de celui qui voulut les sortir du paganisme.

Respect, contrition, réconciliation : 170 ans après un repas qui avait secoué le monde des missions dans le Pacifique Sud, les eaux de Williams Bay sont devenues totalement accueillantes pour les étrangers…

Daniel Pardon

L’île maudite des missionnaires

Dans la longue histoire de l’évangélisation des Mers du Sud, Erromango, à juste titre, s’est inscrite comme l’ile maudite pour les missions. La Mélanésie en général, Papouasie, Salomon, Nouvelle-Calédonie et bien entendu Fidji, avaient une fort mauvaise réputation, mais Erromango détenait la palme, car le drame de John Williams et de James Harris ne fut pas le seul. N’allez pas croire, à la lecture de ce petit préambule que nous cataloguons les habitants de cette île du sud du Vanuatu actuel comme les pires sauvages du Pacifique, car s’ils se montrèrent hostiles aux Européens et à leurs envoyés, ce ne sont pas les bonnes raisons qui leur faisaient défaut.

Un couple bible à la main

Après la tragédie du 20 novembre 1839, les missionnaires ne se bousculèrent pas pour revenir sur l’île, mais furent loin de renoncer ; bien au contraire et très vite, ils envoyèrent sur place, pour tenter de calmer les esprits, les « teachers » des îles Cook et surtout des Samoa. Hommes, femmes, enfants, les archives font état de quarante personnes tuées par les habitants d’Erromango, hostiles à toute intrusion.
En juin 1857, sans rien ignorer du drame de 1839 et des nombreuses victimes qui avaient suivi, George N. Gordon missionnaire protestant d’origine canadienne débarqua avec son épouse, Ellen Catherine Powell, sa bible comme seule arme de défense. Il arrivait d’Halifax, après avoir passé une année en Angleterre à étudier la médecine tropicale pour être sûr de pouvoir faire face au climat des Nouvelles-Hébrides. Il était membre de l’église presbytérienne et c’est d’ailleurs durant son séjour à Londres qu’il rencontra celle qui devait devenir sa femme.
Alors âgé de trente-cinq ans, le jeune religieux, fort de la conviction que la foi peut soulever des montagnes, affronta sans la moindre peur les tribus locales pour le moins sur la défensive. Il installa sa mission à la baie de Dillon après un voyage qui dura dix mois, au cours duquel, grâce aux travaux de ses prédécesseurs, il apprit quelques rudiments de deux langues parlées sur place, ce qui lui sauva très probablement la vie à son arrivée. Le couple acheta même un terrain au chef Kowiowi, celui-là même qui était responsable du massacre de 1839. En effet, cette île, comme de très nombreuses autres, avaient fait l’objet de raids des santaliers d’abord puis des blackbirders, qui enlevaient, la plupart du temps en toute illégalité, de la main d’œuvre « noire » pour les plantations du Queensland.

La rougeole volontairement introduite

Gordon était doux mais ferme et la présence de cette femme blanche était en soi une curiosité : le missionnaire parvint à convertir une quarantaine de Mélanésiens en moins de quatre ans. Mais en mars 1861, alors que l’entente était très bonne entre Gordon, ses ouailles et les autres Mélanésiens, des santaliers débarquèrent bien décidés à mettre au pas cette population rebelle, qui n’avait jamais accepté de se soumettre au pillage imposé par ces équipages. Plutôt que de provoquer un conflit frontal toujours risqué, les santaliers avaient à bord un virus qu’ils savaient très contagieux et même mortel, celui de la rougeole. Deux hommes à bord, touchés par la maladie, furent mis au contact du plus grand nombre d’habitants possible et ceux-ci, comme une traînée de poudre, attrapèrent la rougeole contre laquelle ils n’avaient aucune défense.
Gordon, affolé par les ravages de la maladie, consacra tout son temps, avec son épouse à ses côtés, à tenter de soulager les malades dont beaucoup mourraient (on parle de centaines de morts à partir du mois de mars 1861). Parmi les patients de Gordon se trouvaient les deux fils d’un chef puissant qui passèrent de vie à trépas malgré les soins qui leur furent prodigués. Ils furent les deux seuls décès enregistrés par le couple. Fou de rage et de douleur, le chef jugea que c’était les Gordon qui étaient responsables de la mort de ses deux fils ; il arma aussitôt une troupe de ses guerriers et le 20 mai 1861, Gordon et sa femme furent tous les deux assassinés.

Une église des martyrs…

Les tragédies n’étaient pas terminées pour les missionnaires choisissant Erromango. En 1864, le jeune frère de George Gordon, James, lui aussi membre de l’église presbytérienne, s’investit aux Nouvelles-Hébrides, et plus particulièrement à Erromango dès qu’il fut mis au courant du drame ayant provoqué la mort de son frère et de sa belle-sœur. James avait dix ans de moins que son frère et prêcha, de suite, le pardon pour les meurtriers. Son travail sur le terrain (il parla très vite quasiment couramment les quatre langues de l’île) fut remarquable. Il fut ensuite envoyé à Santo, où il établit une solide base pour son église avant d’être rapatrié en Nouvelle-Galles-du-Sud. Mais James refusa de se plier aux desideratas de l’église presbytérienne et décida de devenir missionnaire indépendant de toute chapelle, retournant dès 1870 à Erromango. Il y poursuivit son double travail de conversions et de traduction de la bible. Mais pour des raisons qui sont demeurées obscures jusqu’à nos jours, le 7 mars 1872, alors qu’il traduisait un texte sacré, il fut brutalement assassiné.

Les efforts des frères Gordon ne furent pas vains, puisque la foi progressa grâce aux convertis sur l’île. En 1880, une église fut même bâtie, baptisée « l’église des martyrs »… En 1900, 95 % de la population de l’île était devenue chrétienne.

Erromango, au sud du Vanuatu

Mesurant 88,1 km2, peuplée par un peu moins de deux mille habitants, Erromango est une île de l’actuel Vanuatu (ex Nouvelles-Hébrides), située à une trentaine de kilomètres au nord de Tanna, célèbre pour son volcan perpétuellement actif, le Yasur. Île volcanique, Erromango culmine à 886 m (mont Santop). Sa découverte par Cook en août 1774 se solde par un affrontement avec les indigènes, l’explorateur surnommant alors Erromango la « Tête des Traîtres ».

C’est à Peter Dillon, inlassable baroudeur du Pacifique Sud, que les ressources en santal d’Erromango furent révélées en 1825 ; jusqu’en 1865, les santaliers, sans foi ni loi ni morale, écumèrent cette terre en multipliant les violences, rendant la population très méfiante, puis franchement hostile aux Blancs. En 1865, la ressource en santal était épuisée, mais survinrent alors les blackbirders, surtout Australiens, décidés à recruter par tous les moyens, y compris la force, des travailleurs pour les plantations de Fidji et surtout du Queensland. Aujourd’hui, les ressources d’Erromango sont maigres, le tourisme étant encore embryonnaire et les exportations limitées, même si la culture du kava y est développée.

Peinte au XIXe siècle, la mort du révérend Williams et de son assistant Harris eut un large écho dans le monde protestant.
Peinte au XIXe siècle, la mort du révérend Williams et de son assistant Harris eut un large écho dans le monde protestant.

A Tanna, où il s’était rendu, l’accueil du missionnaire John Williams fut nettement plus cordial que celui qui lui fut réservé à Erromango.
A Tanna, où il s’était rendu, l’accueil du missionnaire John Williams fut nettement plus cordial que celui qui lui fut réservé à Erromango.

James Cook découvrit Erromango en 1774. Le premier contact fut cordial, mais la visite s’acheva de manière violente (4 morts et 2 blessés côté mélanésiens). Cook appela alors l’île « Tête des Traîtres ».
James Cook découvrit Erromango en 1774. Le premier contact fut cordial, mais la visite s’acheva de manière violente (4 morts et 2 blessés côté mélanésiens). Cook appela alors l’île « Tête des Traîtres ».

Une vue de Dillons’Bay, à l’époque du drame ayant coûté la vie à deux religieux. Vers 1800, la population d’Erromango était estimée à dix mille personnes. En 1913, on comptait tout juste quatre cents habitants…
Une vue de Dillons’Bay, à l’époque du drame ayant coûté la vie à deux religieux. Vers 1800, la population d’Erromango était estimée à dix mille personnes. En 1913, on comptait tout juste quatre cents habitants…

Ce double portrait serait celui de George et d’Ellen Gordon.
Ce double portrait serait celui de George et d’Ellen Gordon.

John Williams en route pour les Nouvelles-Hébrides, après avoir quitté les îles Cook. Il ignorait que son voyage serait sans retour et que sa fin serait si brutale.
John Williams en route pour les Nouvelles-Hébrides, après avoir quitté les îles Cook. Il ignorait que son voyage serait sans retour et que sa fin serait si brutale.

Rédigé par Daniel PARDON le Jeudi 4 Juillet 2019 à 17:30 | Lu 1724 fois