Le docteur Lucille Chauveau présentant son étude à l'amphithéâtre du CHPF, ce mercredi. Crédit photo : Thibault Segalard.
Tahiti, le 16 février 2023 – Le docteur Lucille Chauveau a présenté, mercredi soir dans l'amphithéâtre du CHPF, les résultats de son étude sur les causes du retard de la prise en charge du cancer du sein en Polynésie. L’étude met en évidence le problème de compréhension des soins et de la maladie dans la population.
Dans l'amphithéâtre du CHPF mercredi soir, le docteur Lucille Chauveau a présenté les conclusions de son étude sur le cancer du soin et plus spécifiquement sur les freins à la prise en charge de cette maladie. Financée par la Maison des sciences de l'Homme du Pacifique, cette étude s'est basée sur des témoignages et le vécu de femmes à travers différents archipels du pays. Ainsi, pendant un an et demi, Lucille Chauveau s'est rendue au chevet de femmes atteintes du cancer du sein, à Tahiti, Moorea, Raiatea, Kaukura et même Tubuai. “Ce n'est que de l'expérience de terrain. J'ai recueilli beaucoup de témoignages à travers des réunions, des entretiens, des rencontres avec d'anciennes patientes, qui sont en rémission et d'autres qui sont encore en convalescence, a expliqué le docteur Chauveau, en préambule de sa présentation. Avec elles, j'ai abordé plusieurs thèmes, les mêmes à chaque fois, pour essayer de comprendre quels étaient les problèmes qui revenaient le plus souvent. J'ai compilé plus de 200 pages d'entretien pour cette enquête”.
Son objectif était de réussir à appréhender les différents freins psychologiques, culturels et parfois même matériels qui agissent sur les personnes souffrantes du cancer du sein. Ceux-ci sont, d'après son étude, le poids de la parole, l'incompréhension de la maladie ou encore tout simplement la peur. Ce cancer pour lequel le taux de guérison est pourtant de 9/10 en métropole, est de seulement 5 à 6 femmes sur 10 en Polynésie. “Même si toutes les formes de traitements sont disponibles en Polynésie, les femmes consultent trop tardivement. Mon étude cherche à comprendre pourquoi”, a-t-elle indiqué.
Un bon vécu du parcours de soins
En tout premier lieu, le docteur Chauveau a tenu à expliquer que ce retard de prise en charge ne venait pas de la non-volonté de se soigner. “La quasi-totalité des femmes que j'ai interrogées se disent prêtes à se soigner si leur taote le préconise”, a-t-elle noté. Alors que certaines femmes restent très peu enclines à effectuer des consultations gynécologiques, celle du haut du corps comme des palpations mammaires sont, elles, très acceptées. “Quand on demande aux femmes si ça leur pose un problème de faire une palpation des seins, même si c'est un homme elles répondent que ce n'est pas un souci”. Pour le parcours de soins et le diagnostic de la maladie, Lucille Chauveau a observé que c'est la douleur, ou l’apparition d'une boule qui pousse les patientes à consulter. Même si la plupart attendent longtemps avant d'aller voir un spécialiste “les femmes déjà prises en charge décrivent toutes que ça s'est bien passé : Elles se sont senties épaulées”. Seul bémol, le turn-over médical, qui est trop fréquent selon les femmes interrogées.
Incompréhension de la maladie
L'un des problèmes qui ressort énormément de ces entretiens est l'incompréhension de la maladie. “Quand on évoque le cancer avec une patiente, elle se dit d'instinct qu'elle va mourir, a constaté le docteur Lucille Chauveau. On se rend compte qu'en Polynésie, il y a une approche de la maladie qui est assez dichotomique, c’est-à-dire qu'être malade, c'est limité dans le temps et qu'on en sort soit guérie, soit mort. C'est une pensée très ancrée. De plus ici, on pense que c'est un mal qui s'abat et qui ne peut pas être évité. Ça fait donc très peur.” Les termes évoqués par les médecins sont souvent trop techniques de l’aveu de nombreuses patientes : elles ressortent ainsi souvent des consultations sans avoir réellement compris ce que leur taote leur a expliqué. “Les femmes qui rentrent chez elles, après avoir consulté, n'ont souvent pas tout compris, tout intégré. Les mots ne résonnent pas pareil des deux côtés”. Ainsi, le mot ‘morphine’ est signe d'extrême gravité par exemple. La chimiothérapie et son efficacité différée est aussi difficile à faire comprendre : “Beaucoup de femmes à qui j'ai parlé et qui avaient refusé la chimio, m'ont avoué qu'elles ne savaient pas ce que c'était.” Cette incompréhension amène souvent à un gros retard de soins et parfois même à un refus total.
Poids de la parole
L'autre problème principal du retard de diagnostic présenté par le docteur Chauveau est le poids de la parole. “Les femmes ne veulent pas mettre de mot sur leur cancer car, pour elles, c'est pire et c'est effrayant. Elles pensent que parler d'un mal ça le fait venir et qu’en parler peut également le faire revivre”, a aussi constaté la praticienne lors de son enquête. “Il y a même une femme qui a refusé de m'en parler, en disant que maintenant c'était derrière elle et qu'elle ne voulait pas le revivre.” De plus les avis, discours et les “sons de cloches” des proches, mari, amis ou membres de la famille ont souvent un impact sur les décisions des patientes. Elles se trouvent ainsi souvent induites en erreur. “Une femme m'a dit qu'elle avait peur que son sein reste plat même après les soins, car quelqu'un le lui avait dit. Alors que non. De même que si leur mari dit qu'il n'est pas prêt à la voir chauve, elles ne vont pas se soigner”. A contrario, les discussions collectives, notamment entre femmes, peuvent être positives, note Lucille Chauveau. Elle s’explique : “Certaines femmes se motivent entres elles, elles vont aller faire leur mammographie ensemble. Elles sont rassurées quand elles se parlent entre femmes. Celles qui ont vécu la chimio rassurent aussi les autres en leur montrant que leurs cheveux repoussent, etc.”
Première cause de décès par cancer chez les femmes en Polynésie, le cancer du sein est un sujet de premier plan pour la santé publique. Aussi, le bilan du docteur Chauveau montre-t-il que son dépistage et sa prise en charge peuvent encore faire l’objet d’améliorations, par la prise en compte des particularités culturelles des patientes, par l’adaptation du message de prévention et la “promotion de santé” pour apprendre aux femmes à adopter les comportements adéquats face à cette maladie qui tue encore trop d’entre elles.
Dans l'amphithéâtre du CHPF mercredi soir, le docteur Lucille Chauveau a présenté les conclusions de son étude sur le cancer du soin et plus spécifiquement sur les freins à la prise en charge de cette maladie. Financée par la Maison des sciences de l'Homme du Pacifique, cette étude s'est basée sur des témoignages et le vécu de femmes à travers différents archipels du pays. Ainsi, pendant un an et demi, Lucille Chauveau s'est rendue au chevet de femmes atteintes du cancer du sein, à Tahiti, Moorea, Raiatea, Kaukura et même Tubuai. “Ce n'est que de l'expérience de terrain. J'ai recueilli beaucoup de témoignages à travers des réunions, des entretiens, des rencontres avec d'anciennes patientes, qui sont en rémission et d'autres qui sont encore en convalescence, a expliqué le docteur Chauveau, en préambule de sa présentation. Avec elles, j'ai abordé plusieurs thèmes, les mêmes à chaque fois, pour essayer de comprendre quels étaient les problèmes qui revenaient le plus souvent. J'ai compilé plus de 200 pages d'entretien pour cette enquête”.
Son objectif était de réussir à appréhender les différents freins psychologiques, culturels et parfois même matériels qui agissent sur les personnes souffrantes du cancer du sein. Ceux-ci sont, d'après son étude, le poids de la parole, l'incompréhension de la maladie ou encore tout simplement la peur. Ce cancer pour lequel le taux de guérison est pourtant de 9/10 en métropole, est de seulement 5 à 6 femmes sur 10 en Polynésie. “Même si toutes les formes de traitements sont disponibles en Polynésie, les femmes consultent trop tardivement. Mon étude cherche à comprendre pourquoi”, a-t-elle indiqué.
Un bon vécu du parcours de soins
En tout premier lieu, le docteur Chauveau a tenu à expliquer que ce retard de prise en charge ne venait pas de la non-volonté de se soigner. “La quasi-totalité des femmes que j'ai interrogées se disent prêtes à se soigner si leur taote le préconise”, a-t-elle noté. Alors que certaines femmes restent très peu enclines à effectuer des consultations gynécologiques, celle du haut du corps comme des palpations mammaires sont, elles, très acceptées. “Quand on demande aux femmes si ça leur pose un problème de faire une palpation des seins, même si c'est un homme elles répondent que ce n'est pas un souci”. Pour le parcours de soins et le diagnostic de la maladie, Lucille Chauveau a observé que c'est la douleur, ou l’apparition d'une boule qui pousse les patientes à consulter. Même si la plupart attendent longtemps avant d'aller voir un spécialiste “les femmes déjà prises en charge décrivent toutes que ça s'est bien passé : Elles se sont senties épaulées”. Seul bémol, le turn-over médical, qui est trop fréquent selon les femmes interrogées.
Incompréhension de la maladie
L'un des problèmes qui ressort énormément de ces entretiens est l'incompréhension de la maladie. “Quand on évoque le cancer avec une patiente, elle se dit d'instinct qu'elle va mourir, a constaté le docteur Lucille Chauveau. On se rend compte qu'en Polynésie, il y a une approche de la maladie qui est assez dichotomique, c’est-à-dire qu'être malade, c'est limité dans le temps et qu'on en sort soit guérie, soit mort. C'est une pensée très ancrée. De plus ici, on pense que c'est un mal qui s'abat et qui ne peut pas être évité. Ça fait donc très peur.” Les termes évoqués par les médecins sont souvent trop techniques de l’aveu de nombreuses patientes : elles ressortent ainsi souvent des consultations sans avoir réellement compris ce que leur taote leur a expliqué. “Les femmes qui rentrent chez elles, après avoir consulté, n'ont souvent pas tout compris, tout intégré. Les mots ne résonnent pas pareil des deux côtés”. Ainsi, le mot ‘morphine’ est signe d'extrême gravité par exemple. La chimiothérapie et son efficacité différée est aussi difficile à faire comprendre : “Beaucoup de femmes à qui j'ai parlé et qui avaient refusé la chimio, m'ont avoué qu'elles ne savaient pas ce que c'était.” Cette incompréhension amène souvent à un gros retard de soins et parfois même à un refus total.
Poids de la parole
L'autre problème principal du retard de diagnostic présenté par le docteur Chauveau est le poids de la parole. “Les femmes ne veulent pas mettre de mot sur leur cancer car, pour elles, c'est pire et c'est effrayant. Elles pensent que parler d'un mal ça le fait venir et qu’en parler peut également le faire revivre”, a aussi constaté la praticienne lors de son enquête. “Il y a même une femme qui a refusé de m'en parler, en disant que maintenant c'était derrière elle et qu'elle ne voulait pas le revivre.” De plus les avis, discours et les “sons de cloches” des proches, mari, amis ou membres de la famille ont souvent un impact sur les décisions des patientes. Elles se trouvent ainsi souvent induites en erreur. “Une femme m'a dit qu'elle avait peur que son sein reste plat même après les soins, car quelqu'un le lui avait dit. Alors que non. De même que si leur mari dit qu'il n'est pas prêt à la voir chauve, elles ne vont pas se soigner”. A contrario, les discussions collectives, notamment entre femmes, peuvent être positives, note Lucille Chauveau. Elle s’explique : “Certaines femmes se motivent entres elles, elles vont aller faire leur mammographie ensemble. Elles sont rassurées quand elles se parlent entre femmes. Celles qui ont vécu la chimio rassurent aussi les autres en leur montrant que leurs cheveux repoussent, etc.”
Première cause de décès par cancer chez les femmes en Polynésie, le cancer du sein est un sujet de premier plan pour la santé publique. Aussi, le bilan du docteur Chauveau montre-t-il que son dépistage et sa prise en charge peuvent encore faire l’objet d’améliorations, par la prise en compte des particularités culturelles des patientes, par l’adaptation du message de prévention et la “promotion de santé” pour apprendre aux femmes à adopter les comportements adéquats face à cette maladie qui tue encore trop d’entre elles.