PARIS, le 13 juin 2016. Benjamin Bachelier (dessin) et Stéphane Melchior (scénario) ont adapté l'œuvre Taïpi d'Herman Melville. Tom et Toby arrivent aux Marquises à bord d'un baleinier. Ils n'ont qu'un rêver : déserter leur navire. Profitant d'une permission, ils fuient et se retrouvent dans cette nature luxuriante qui leur est inconnue. Ils tombent alors nez à nez avec la tribu Taïpi, réputée cannibale. Stéphane Melchior raconte la genèse de cette bande dessinée.
Comment est né le projet d'adapter le roman d'Herman Melville en bande dessinée ?
Stéphane Melchior : Melville fait partie de mes auteurs favoris. "Taïpi" n'est pas son roman le plus connu, et pourtant c'est celui qui le rendra célèbre. Je l'ai lu quand j'avais dix ans et il m'a beaucoup marqué: c'est un roman qui renverse le point de vue classique du récit d'aventure. Les héros sont des anti-héros (Tom et Toby ratent presque tout ce qu'ils entreprennent) et cet état d'extrême faiblesse les oblige à porter un regard humble sur le peuple et la civilisation qui les recueillent. "Taïpi", c'est l'anti "Tintin au Congo". C'est ça que je voulais partager en adaptant ce livre.
Comment est né le projet d'adapter le roman d'Herman Melville en bande dessinée ?
Stéphane Melchior : Melville fait partie de mes auteurs favoris. "Taïpi" n'est pas son roman le plus connu, et pourtant c'est celui qui le rendra célèbre. Je l'ai lu quand j'avais dix ans et il m'a beaucoup marqué: c'est un roman qui renverse le point de vue classique du récit d'aventure. Les héros sont des anti-héros (Tom et Toby ratent presque tout ce qu'ils entreprennent) et cet état d'extrême faiblesse les oblige à porter un regard humble sur le peuple et la civilisation qui les recueillent. "Taïpi", c'est l'anti "Tintin au Congo". C'est ça que je voulais partager en adaptant ce livre.
Êtes-vous déjà venu en Polynésie, aux Marquises ? Vous êtes-vous documenté pour l'écriture de ce livre ?
Je ne suis jamais venu en Polynésie. L'idéal aurait été de visiter les Marquises avant d'écrire le scénario, mais un séjour là-bas m'aurait coûté le montant de mes droits d'auteur pour réaliser cette adaptation. Je me suis donc beaucoup documenté en livre et vidéos sur Nuku Hiva, ses paysages, son peuple et son histoire. Tout ce que j'ai lu et vu m'a donné l'envie d'approfondir mes connaissances. J'aimerais beaucoup pouvoir m'y installer quelques années dans ce but. Cependant, pour écrire une bonne histoire, il faut aussi savoir s'écarter de la réalité. Je ne voulais pas faire une bande dessinée documentaire, mais plutôt un poème visuel à la gloire des Marquises et de son peuple.
Avez-vous travaillé en même temps que le dessinateur Benjamin Bachelier ou avez-vous travaillé chacun de votre côté ?
Benjamin et moi avons déjà travaillé ensemble (Gatsby le magnifique) et nous nous connaissons bien. Nous avons travaillé l'un après l'autre, mais nous avons finalisé l'album ensemble. J'ai écrit seul le scénario, et Benjamin a préféré ne pas lire le roman afin de préserver un point de vue naïf sur le récit et les atmosphères. Je comprends très bien sa démarche: lire et relire le même texte, c'est mon travail, pas celui du dessinateur. Néanmoins, j'avais mis à sa disposition mon énorme documentation et il a puisé dedans chaque fois qu'il en avait besoin.
Pourquoi avoir retranscrit la langue des Marquisiens par des idéogrammes ?
Je voulais mettre le lecteur dans la même situation que Tom et Toby: ils ne comprennent rien à ce que disent les Taïpis, et ils sont dans la paranoïa totale. Plutôt que de faire des gribouillis dans les "bulles" des Taïpis, je voulais mettre du sens et évoquer une autre dimension passionnante de leur culture: celle du tatouage. Les idéogrammes ont été puisés dans ce vocabulaire symbolique et graphique. Puis en "traduisant" ces dialogues/tatouages à la fin du livre, je voulais obliger le lecteur à une relecture de cette aventure et montrer que les Taïpis sont tout sauf des "sauvages": ils sont sages, perspicaces, pleins d'humour et parfaitement conscients des enjeux politiques de la colonisation. Les "grands enfants", ce sont Tom et Toby. Pas les Taïpis.
Je ne suis jamais venu en Polynésie. L'idéal aurait été de visiter les Marquises avant d'écrire le scénario, mais un séjour là-bas m'aurait coûté le montant de mes droits d'auteur pour réaliser cette adaptation. Je me suis donc beaucoup documenté en livre et vidéos sur Nuku Hiva, ses paysages, son peuple et son histoire. Tout ce que j'ai lu et vu m'a donné l'envie d'approfondir mes connaissances. J'aimerais beaucoup pouvoir m'y installer quelques années dans ce but. Cependant, pour écrire une bonne histoire, il faut aussi savoir s'écarter de la réalité. Je ne voulais pas faire une bande dessinée documentaire, mais plutôt un poème visuel à la gloire des Marquises et de son peuple.
Avez-vous travaillé en même temps que le dessinateur Benjamin Bachelier ou avez-vous travaillé chacun de votre côté ?
Benjamin et moi avons déjà travaillé ensemble (Gatsby le magnifique) et nous nous connaissons bien. Nous avons travaillé l'un après l'autre, mais nous avons finalisé l'album ensemble. J'ai écrit seul le scénario, et Benjamin a préféré ne pas lire le roman afin de préserver un point de vue naïf sur le récit et les atmosphères. Je comprends très bien sa démarche: lire et relire le même texte, c'est mon travail, pas celui du dessinateur. Néanmoins, j'avais mis à sa disposition mon énorme documentation et il a puisé dedans chaque fois qu'il en avait besoin.
Pourquoi avoir retranscrit la langue des Marquisiens par des idéogrammes ?
Je voulais mettre le lecteur dans la même situation que Tom et Toby: ils ne comprennent rien à ce que disent les Taïpis, et ils sont dans la paranoïa totale. Plutôt que de faire des gribouillis dans les "bulles" des Taïpis, je voulais mettre du sens et évoquer une autre dimension passionnante de leur culture: celle du tatouage. Les idéogrammes ont été puisés dans ce vocabulaire symbolique et graphique. Puis en "traduisant" ces dialogues/tatouages à la fin du livre, je voulais obliger le lecteur à une relecture de cette aventure et montrer que les Taïpis sont tout sauf des "sauvages": ils sont sages, perspicaces, pleins d'humour et parfaitement conscients des enjeux politiques de la colonisation. Les "grands enfants", ce sont Tom et Toby. Pas les Taïpis.
Avez-vous souhaité rester fidèle à l'esprit d'Herman Melville ?
Oui, bien sûr. Mais la bande dessinée a son propre langage. Faire un copié-collé du livre original n'aurait pas de sens. Ce serait même la façon la plus sûre de trahir l'esprit du récit. Il a fallu imaginer des scènes qui n'existent pas dans le roman: la scène du milieu entre Tom et sa fiancée américaine, puis la scène finale avec la prostituée sont inventées. Mais elles expriment ce que l'on comprend entre les lignes de la personnalité de Tom/Melville à la lecture du roman.
Aimeriez-vous travailler sur d'autres projets ayant un lien avec la Polynésie ?
J'aimerais beaucoup. En fait, je rêve de mettre en images les contes et légendes de la Polynésie mais en les faisant vivre à l'époque contemporaine et d'une façon une peu terrible et mystérieuse. (…) J'aimerais raconter la puissance de la nature et de la culture polynésienne. On montre toujours la beauté de cette culture, et il y a de bonnes raisons de le faire mais on ne parle presque jamais de sa puissance. Alors oui, je voudrais un récit qui montrerait cette puissance d'abord.
Oui, bien sûr. Mais la bande dessinée a son propre langage. Faire un copié-collé du livre original n'aurait pas de sens. Ce serait même la façon la plus sûre de trahir l'esprit du récit. Il a fallu imaginer des scènes qui n'existent pas dans le roman: la scène du milieu entre Tom et sa fiancée américaine, puis la scène finale avec la prostituée sont inventées. Mais elles expriment ce que l'on comprend entre les lignes de la personnalité de Tom/Melville à la lecture du roman.
Aimeriez-vous travailler sur d'autres projets ayant un lien avec la Polynésie ?
J'aimerais beaucoup. En fait, je rêve de mettre en images les contes et légendes de la Polynésie mais en les faisant vivre à l'époque contemporaine et d'une façon une peu terrible et mystérieuse. (…) J'aimerais raconter la puissance de la nature et de la culture polynésienne. On montre toujours la beauté de cette culture, et il y a de bonnes raisons de le faire mais on ne parle presque jamais de sa puissance. Alors oui, je voudrais un récit qui montrerait cette puissance d'abord.