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Baleine, un sanctuaire polynésien qui s'oxyde


Le nombre de prestataires de whales watching au Fenua est passé de 13 en 2008 à 88 en 2023. Crédit photo : Mata Tohora.
Le nombre de prestataires de whales watching au Fenua est passé de 13 en 2008 à 88 en 2023. Crédit photo : Mata Tohora.
Tahiti, le 26 février 2024 – Alors que l'association de protection des mammifères marins, Mata Tohora, vient de publier son bilan d'activité 2023, sa présidente, Agnès Benet, est revenue pour Tahiti Infos sur le changement de comportement des baleines ces 15 dernières années. Des modifications d'habitudes dû notamment à une importante augmentation (+256% en 10 ans) du nombre de bateaux de whales watching en Polynésie, en particulier sur Moorea et Tahiti. Le sanctuaire que se voulait être la Polynésie pour les baleines devient de plus en plus inamical pour ces cétacés.
 
La semaine dernière, l'association de protection des mammifères marins en Polynésie, Mata Tohora, a dévoilé son bilan d'activité de l'année 2023. À cette occasion, Tahiti Infos a rencontré ce lundi Agnès Benet, la présidente de l'association. Celle-ci met le doigt sur une question épineuse : la Polynésie, et en particulier la zone Tahiti-Moorea, est-elle toujours un sanctuaire pour les mammifères marins et surtout les baleines ? Une interrogation légitime, sachant que les pressions anthropiques (causées par l'Homme) sont la troisième cause de stress chez les baleines, et que le nombre de bateaux de prestataires de whales watching au Fenua a augmenté de 256% au cours des 10 dernières années. “En 2008, il y avait 13 bateaux, maintenant, on en est à 88. Dont la moitié est concentrée à Moorea”, constate-t-elle, “J'ai pu calculer que sur une période de 12 heures, une baleine n'a que 28 minutes de quiétude, sans bateau ni prestataire autour d'elle. Dans un endroit qui se dit être un sanctuaire, c'est trop peu. J'alerte là-dessus, car il faut se poser les bonnes questions. Surtout quand on sait qu'autour de Moorea et Tahiti, on voit principalement des bébés et leur maman, et que les baleineaux ont besoin de téter 40 fois par jour... S'ils sont tout le temps dérangés, ils ne peuvent pas s'alimenter correctement.”
 
D'autant que la présidente de Mata Tohora a remarqué que ces quinze dernières années, le comportement des baleines avait évolué. En effet, celles-ci, sous la pression du whales watching, fuient de plus en plus à l'arrivée des bateaux. “Il n'y a pas une sortie en mer où je n'observe pas de fuites... ça fait de la peine de voir ça, surtout qu'en allant au large, elles s'exposent aux prédateurs, notamment les orques”, nous explique la scientifique. “Alors, on est en droit de se poser la question. Est-on encore dans un sanctuaire ? Car malgré les multiples interdictions, elles sont quand même dérangées.”
 
Whales watching, Whales disturbing
 
L'augmentation du whales watching n'est pas inhérente à la Polynésie, c'est le cas partout dans le monde. Cependant, cette activité est beaucoup plus réglementée ailleurs, où il est quasiment partout interdit de se mettre à l'eau pour les observer, comme c'est autorisé au Fenua. C'est notamment le cas depuis longtemps en Nouvelle-Calédonie, qui a également décrété il y a peu l'interdiction de s'approcher à moins de 300 mètres d'un baleineau et de sa mère. “Les baleines sont stressées dès qu'elles entendent un bateau naviguer à plus de trois nœuds dans un rayon de 300 mètres”, ajoute Agnes Benet “En Polynésie, il n'y a pas de limite de temps d'observation, ni de limite de bateaux comme c'est souvent le cas ailleurs.”

 

Le whale watching génère des pressions anthropiques fortes sur les baleines. Crédit photo : Mata Tohora.
Le whale watching génère des pressions anthropiques fortes sur les baleines. Crédit photo : Mata Tohora.
D'autant qu'au Fenua, la réglementation, déjà laxiste, n'est pas réellement respectée par tous. “Il ne faut pas bloquer les baleines contre le récif. On ne doit pas les encercler. C'est interdit de les observer dans les passes... Mais il y a beaucoup d'abus. D'ailleurs, cette année, de nombreuses contraventions ont été distribuées par la brigade nautique de Faa'a.”
 
Cependant, la présidente de Mata Tohora reconnaît que malgré l'impact significatif du whales watching sur les baleines, il est compliqué désormais de faire machine arrière. “Il y a eu une mauvaise gestion. On a accordé tellement d'agréments. Comment fait-on désormais pour réduire ? On tire au sort ceux qu'on stoppe ? C'est une activité économique qui fonctionne très bien en plus... Mais on pourrait faire des choses simples, comme enlever pendant une année l'agrément à certains prestataires qui ne respectent pas le code de l'environnement. Un an sans activité, ça devrait faire réfléchir.” Forcément, une refonte du code de l'environnement s'impose par rapport au whales watching, au risque de voir le sanctuaire, qu'est la Polynésie pour les baleines, s'oxyder.
 

Une hotline sous haute pression

: Agnès Benet, la présidente de Mata Tohora. Crédit photo : Thibault Segalard.
: Agnès Benet, la présidente de Mata Tohora. Crédit photo : Thibault Segalard.
 En 2023 encore, en pleine saison des baleines, le téléphone d'Agnès Benet a surchauffé. En effet, elle a reçu, en l'espace de deux mois, 480 appels, sans compter les nombreux SMS et messages sur les réseaux sociaux. “La plupart des appels nous signalent des dérangements de baleines, sur Tahiti et Moorea, indique-t-elle, ensuite, ce sont des alertes de personnes qui sont paniquées de voir une baleine qui ne bouge plus. Heureusement, dans ces cas-là, dans 95% il n'y a pas vraiment d'urgences, la baleine dort simplement, mais ça nous arrive d'intervenir quand elles sont prises dans des filets ou des lignes perlières.”

Des urgences qu'elles ne devraient plus traiter, puisque la Diren a redonné la gouvernance de ce réseau d'urgence, cette hotline, qu'Agnès a créée en 2012, à ... une agence de voyage. “J'ai mis en place ce réseau en 2012. À l'époque, la Diren elle-même n'y croyait pas. Mais ça à super fonctionné. Puis, comme c'est eux qui donnent ou non les autorisations sur ces sujets, ils me l'ont enlevé en 2017, puis redonné en 2019 et encore enlevé en 2023”, regrette-t-elle. “Ils l'ont renommé Réseau des gardiens de l'océan. Mais ils ont transféré la gouvernance à une agence de voyage, qui n'a aucune compétence scientifique et biologique pour gérer ce genre d'urgences. Nous, nous sommes vétérinaires et biologistes diplômés. D'autant que la gestion des mammifères marins est un métier qui demande des qualifications...” Forcément, les appels finissent inexorablement par revenir vers Agnès, qui ne touche donc plus les subventions que ses associations percevaient auparavant pour traiter ces urgences, mais qui continue à les gérer et à envoyer des scientifiques et des vétérinaires partout en Polynésie, si besoin il y a. “J'aimerais d'ailleurs bien savoir pourquoi ils ont pris cette décision.” À noter que la présidente de Mata Tohora et son équipe rencontrent la Diren ce mardi pour proposer de repasser à un système “basé sur des compétences scientifiques et médicales”.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Lundi 26 Février 2024 à 19:10 | Lu 4251 fois