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Audiovisuel : le plan d'action


Tahiti, le 10 février 2022 – Récemment structurée en une Fédération polynésienne de l'audiovisuel et du cinéma, la filière audiovisuelle locale doit présenter vendredi au Fifo son “livre blanc” issu d'une vaste étude sur le secteur en Polynésie française. État des lieux, potentiel et surtout actions à mener… Les professionnels de la filière misent surtout sur ce rassemblement inédit pour faire grandir leur secteur.
 
Alors que le Festival international du film documentaire océanien (Fifo) bat son plein à la Maison de la culture, la filière audiovisuelle polynésienne s'est lancée dans un vaste mouvement de structuration et un ambitieux projet destiné à développer tout son potentiel au fenua. Constituée en novembre dernier, la Fédération polynésienne de l'audiovisuel et du cinéma (Fpac) –rassemblant les trois associations du secteur ATPA, SPAPF et APTAC ainsi que les professionnels indépendants– va présenter vendredi matin au Fifo son “livre blanc” issu d'une vaste étude menée par un cabinet de consultant sur l'état des lieux et le potentiel de l'audiovisuel polynésien.
 
Un document particulièrement exhaustif que Tahiti Infos a pu consulter et qui détaille avec précision le poids économique et social d'une filière dont les retombées “directes” dépassent les chiffres d'affaires des secteurs de la vanille ou du coprah en Polynésie… Le livre blanc pose également les enjeux du développement de la filière, notamment par rapport à nos voisins du Pacifique, et synthétise des “leviers prioritaires” avec à la clé une feuille de route concrète pour la nouvelle fédération.
 
Un état des lieux de la filière
 
L'étude, menée par le cabinet AS & JB, porte spécifiquement sur les professionnels polynésiens intervenant dans les phases d'écriture (scénario, synopsis), de développement (repérage, auditions, pilotes), de production (tournage, post-production) et de distribution (monétisation et promotion) d'une création audiovisuelle en Polynésie. Elle exclut de fait la partie “diffusion”, et ne comptabilise donc pas dans ses chiffres les chaînes de télévision locales et nationales, ou les programmateurs et exploitants de cinémas et les services de médias à la demande. Localement, la filière est constituée de “204 professionnels représentant 150 équivalents temps plein”. En effet, seuls 54% des professionnels exercent cette activité à temps complet. La majorité d'entre eux sont des techniciens des métiers de l'audiovisuel. Et un quart des professionnels se déclarent “polyvalents” et exercent à la fois des activités de réalisateurs, auteurs, cadreur, producteurs, monteur, etc.
 
Le modèle économique de la filière repose sur deux grands types de projets : d'un côté les “productions et co-productions locales”, de l'autre les “productions extérieures”. Les premiers, dont l'activité est “relativement stable” dans le temps, sont caractérisés par des tournages principalement locaux, une forte proportion d'emploi de professionnels locaux et une diffusion majoritairement locale. Les seconds, plus irréguliers, ont des budgets généralement plus élevés, une proportion assez variable de professionnels locaux et étrangers, et surtout de fortes retombées économiques locales hors filière (logement et transport notamment). Selon les estimations de l'étude, on peut évaluer la production annuelle locale moyenne à 25 documentaires, 30 magazines, 2 fictions télévisées et 40 films institutionnels ou publicités, contre des productions extérieures à 2 films, 4 publicités et 2 émissions de télé-réalité par an. Surtout, le livre blanc chiffre à 1,19 milliard de Fcfp, les “retombées économiques directes” de la filière audiovisuelle polynésienne chaque année (voir encadré).
 
Une forte demande de production
 
Cet état des lieux posé, la filière a mené une vaste réflexion sur le “potentiel économique” de l'audiovisuel polynésien. L'étude relève en effet que le secteur a connu en 2021 une importante “demande de contact” de la part de producteurs locaux, nationaux et étrangers, qu'il s'agisse de téléréalités, fictions ou films. Dans le même temps, le livre blanc constate une “guerre des dispositifs incitatifs” chez nos voisins du Pacifique, pour attirer les grosses productions extérieures, notamment avec l'explosion de la demande liée au développement des grandes plateformes de vidéo à la demande de type Netflix, Disney+ ou Amazon Prime.
 
Présente dans le livre blanc, la question des dispositifs de soutiens financiers de la filière, jugés “limités en nombre et en impact", doit d'ailleurs permettre de rivaliser avec les territoires voisins. Aujourd'hui, le Soutien à la création audiovisuelle (SCA) est le principal outil du Pays et a représenté une enveloppe annuelle moyenne de 131 millions de Fcfp ces quatre dernières années. Un aspect sur lequel la présidente de la nouvelle fédération, la scénariste et réalisatrice Claire Schwob, ne tient pourtant pas à insister outre-mesure : “On n'est pas du tout dans l'optique de demander plus d'argent. Ce n'est pas du tout l'idée générale”, insiste la présidente de la Fpac. “On n'est pas dans une démarche de revendications. En tout cas, ce n'est pas le propos premier de ce livre blanc et de ce rassemblement.”
 
Feuille de route
 
Trois axes de développement ont finalement été identifiés pour la filière locale : créer les conditions pour davantage de productions et co-productions locales, augmenter le nombre des productions extérieures au fenua et enfin structurer et professionnaliser la filière pour rendre son activité plus efficace.
 
Une liste de 15 actions prioritaires et une feuille de route pour les mettre en place ont été élaborées. Parmi les principales actions, on évoque énormément la formation des compétences locales et on retrouve pêle-mêle la création d'un annuaire logistique des moyens mobilisables pour un tournage, d'un annuaire des professionnels, d'un rapport annuel de la filière, de la participation collective des professionnels locaux à des salons étrangers ou la création d'un bureau d'accueil local pour les productions extérieures. Mais la première et la principale réalisation déjà effectuée il y a quelques mois, c'est la création de la fédération locale. Et pour Claire Schwob, c'était bien là “l'axe principal” : “À partir du moment où les gens se rendent compte qu'on a réellement un secteur, que l'on peut travailler ensemble les uns et les autres, évidemment ça va faire évoluer la filière”.
 

1,19 milliard de Fcfp de “retombées directes”

Le livre blanc chiffre à 1,19 milliard de Fcfp, les “retombées économiques directes” de la filière audiovisuelle polynésienne chaque année. Soit 510 millions de Fcfp de chiffre d'affaires des productions et co-productions locales et 680 millions de Fcfp de dépenses additionnelles locales pour les productions extérieures (dont 200 millions pour des personnels locaux de l'audiovisuel). Mais ce que met notamment en lumière cette étude, c'est la place significative et souvent sous-évaluée qu'occupe la filière audiovisuelle dans l'économie locale. Ses retombées économiques directes la placent ainsi aux niveaux de secteurs mieux connus comme la vanille (790 millions de Fcfp/an), le monoï (650 millions de Fcfp/an), le coprah (489 millions de Fcfp/an) ou même les exportations issues de la pêche (1,8 milliard de Fcfp/an). Ceci sans compter les retombées économiques indirectes, par exemple touristiques, en termes de médiatisation et de promotion de l'image de la Polynésie à l'extérieur du territoire.
 

Claire Schwob, présidente de la Fpac : “L'axe principal, c'est de se regrouper”

La filière audiovisuelle polynésienne s'est récemment restructurée en fédération et présente aujourd'hui son livre blanc. C'est un vrai pas en avant ?

“Complètement. Dans le sens où ce travail est très complet et très récent. Donc on a vraiment un état des lieux extrêmement pointu sur cette filière. Même s'il y a eu plusieurs petits états des lieux par les différentes associations ces dernières années, là on a quelque chose de très global qui n'a jamais eu lieu avant que l'on se rassemble.”
 
L'ambition de ce travail, c'est de valoriser le potentiel économique d'un secteur qui paraît sous-estimé car mal connu ?

“Très sincèrement, pas uniquement. Ce serait plutôt de rassembler les professionnels. De façon sous jacente, évidemment ça permettra de mettre en avant le secteur auprès des politiques et des institutions. Mais l'axe principal, c'est de se regrouper et parler d'une seule voix. Mettre en avant l'économie du secteur, bien sûr ça fait partie du livre blanc. Mais ce n'est pas la première optique à mon sens. Ça a surtout permis de rassembler tout le monde autour d'un projet commun.”
 
Est-ce que cette restructuration de la filière et ce nouvel élan peuvent tout de même avoir pour effet de doper le développement l'audiovisuel polynésien ?

“Bien sûr et on l'a d'ailleurs vu depuis cette étude. En fait, beaucoup de gens se sont rencontrés et on a l'impression d'avoir créé un collectif. Avant, il y avait certes quelques grosses sociétés sur la place, mais il y avait aussi beaucoup de plus petits satellites. C'est-à-dire que chacun faisait son petit truc dans son coin. A partir du moment où les gens se rendent compte qu'on a réellement un secteur, que l'on peut travailler ensemble les uns et les autres, évidemment ça va faire évoluer la filière.”
 
Quels sont les principaux freins et les problèmes que rencontre la filière audiovisuelle polynésienne aujourd'hui ?

“Sans rentrer dans les détails, c'est par exemple le manque de formation. A chaque fois qu'il y a eu des co-productions métropolitaines ou américaines, on a constaté qu'on avait finalement pas mal d'assistants ou de postes “adjoints”, mais très peu de chefs de postes sur des gros projets. Après, la problématique de la filière, si on parle d'attirer des productions parce que c'est ça aussi qui permet aussi de former les jeunes, on manque clairement de mesures incitatives qui sont en relation avec le Pays.”
 
C'est ce qui ressort du livre blanc sur le manque d'incitations…

“Alors, je fais volontairement attention avec cet aspect. Parce qu'on n'est pas du tout dans l'optique de demander plus d'argent. Ce n'est pas du tout l'idée générale. C'est un fait qui est clair et net, mais ce n'est surtout pas la priorité et le fer de lance de la fédération. Notre démarche, elle est davantage de former les jeunes générations et les moins jeunes. On n'est pas dans une démarche de revendications. En tous cas, ce n'est pas le propos premier de ce livre blanc et de ce rassemblement.”
 
Concrètement, quelles sont les principales actions que vous prévoyez ?

“Aujourd'hui, notre premier objectif c'est de fédérer et d'informer le maximum de personnes qui ne connaissent pas encore forcément nos associations qu'on existe. On pense vraiment que l'union fait la force. La formation, j'en ai parlé. On peut évoquer sur ce point l'aide aux jeunes entreprises qui sont un peu perdues dans les démarches administratives et juridiques dans la production de leurs projets. On peut les accompagner. Ensuite, sans dresser une grande liste, le point essentiel, ce sera évidemment un bureau d'accueil des tournages. Ça va permettre d'attirer des grandes productions étrangères et, pour la filière, ça va permettre des formations sur le tas. Parce qu'on peut faire des stages, des masterclass… Mais mettre quelqu'un sur un film avec un chef de poste au dessus, il n'y a pas de meilleure formation. Qui plus est, cette formation, au lieu de coûter de l'argent au Pays, elle est gratuite et c'est un levier économique extrêmement intéressant.”
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Jeudi 10 Février 2022 à 21:20 | Lu 1301 fois