PAPEETE, le 9 septembre 2014 - Hier, lors du premier procès de cette session des assises, c’est un ancien champion de boxe qui a comparu. Il est accusé d’avoir volontairement donné la mort à l’un de ses amis à coup de poings, de pieds et de pierre, pour une histoire de ragots et d’honneur mal placé.
Eugène R., 27 ans en février 2013, était un grand boxeur admiré de tous. Cet habitant de Papara a été champion amateur de Polynésie, puis il avait arrêté les combats. Mais en 2012, il revient sur le ring. Ce devait être son grand retour… Mais il perd un match en décembre pendant les qualifications du championnat de Polynésie, à un doigt de la finale. Le coup est rude. Surtout quand il entend dire que Mauitua N., pourtant un grand ami, se moque de lui, le traitant de champion sur le déclin. D’autant que les enfants de Mauitua, que l’homme de 47 ans entraine lui-même à la maison avec beaucoup d’assiduité, sont des stars montantes de ce sport.
Eugène ne comprend pas que c’est simplement la fierté d’un père qui parle et que ce n’est pas une attaque contre lui. Pendant des semaines, la rancœur s’accumule. Un mois et demi après sa défaite, il n’en peut plus, et explique à sa compagne, mère de ses deux enfants, qu’il va se battre contre Mauitua : « je vais lui casser la gueule et lui fermer la bouche ! »
Il a changé depuis la mort de sa mère
Cette agressivité est peut-être due à une fierté sportive, mais d’autres facteurs ont pu jouer. Car Eugène est mal en point depuis trois ans. En fait, depuis la mort de sa mère, ses amis ne reconnaissent plus. Ses proches diront qu’il a commencé à beaucoup boire, et quand il boit, il est méchant. Il se bat désormais beaucoup, des combats de rue dans le quartier… Sa femme racontera au tribunal comment parfois, au milieu de la nuit, des amis l’appelaient pour lui demander un coup de main dans une bagarre en cours. Et il y allait.
Sa femme, elle, l’aime encore, mais elle est lucide. « C’est un homme bien, mais quand il a bu, c’est le contraire de lui. » Elle décrit le problème d’alcool de son mari, comment il abusait de plus en plus de psychotiques, paka et ice… « Je suis convaincue qu’il peut changer. Mais il a pris la vie d’une personne, on ne pourra pas la remplacer. Il faut qu’il paie. »
Ils étaient bons amis, il s’entrainait avec les fils de sa victime
Eugène et Mauitea étaient bons amis. Deux boxeurs de Papara, de deux générations différentes. Dans son club, Eugène recevait parfois les fils de Mauitea pour s’entrainer ensemble. La veuve de Mauitea assurera au juge que son mari avait encouragé Eugène : « Tu es un grand champion, veille sur les jeunes ! » lui avait-il enjoint un an avant sa mort.
Mais les malentendus ont fini par détruire cette amitié. C’est le 15 février 2013, au marae Mahaiatea, PK 39,1 à Papara, que tout a basculé. Mauitea, maçon de profession, avait restauré une partie du marae, à côté duquel un grand parking et un boulodrome servaient de lieu de bringue à certains groupes de la commune et où des jeux clandestins de kikiri avaient souvent lieu. Ce soir-là, le « banquier » de ce casino de l’ombre a décidé d’organiser, à ses frais, une grande fête. Un veau est cuit à la broche, les bières coulent à flots, une grosse vingtaine de personnes arrivent à la fête.
« Je ne voulais pas le tuer »
Mais très vite après le repas, la bagarre commence. Le ton monte rapidement entre l’accusé et sa future victime, et des coups sont échangés. Les personnes présentes séparent les deux boxeurs une, deux, trois, et même quatre fois, mais la bagarre reprend toujours. Voyant la mauvaise tournure que prend la fête, les convives « s’envolent comme des moineaux » remarquera l’avocat général, qui demandera à chaque témoin « pourquoi n’avez-vous pas appelé la gendarmerie ? » Car les forces de l’ordre ne seront convoquées qu’une fois qu’il sera trop tard.
Après la bagarre de trop, un des convives les plus lucides met Mauitea dans sa voiture – malgré ses 1,43 g/l d’alcool dans le sang – et l’enjoint à rentrer chez lui. L’entraineur, qui semblait en avoir assez de se battre et être plutôt fatigué, s’exécute et est sur le départ. Mais Eugène débarque de nulle part avec trois pierres, il en envoie deux sur le parebrise et une par la fenêtre latérale, qui a pu atteindre la victime.
Furieux, Mauitea sort de sa voiture, et se prend un énorme coup, peut-être avec une dernière pierre, qui le met à terre. Et là, il n’y a plus rien à faire. Eugène a perdu tout contrôle et s’acharne sur le corps inerte, lui assénant des coups de pieds, lui hurlant « a pohe au ia oe » (je vais te tuer).
La femme de la victime arrive au moment où son compagnon trouve la mort
Prévenue par des témoins, la femme de la victime et plusieurs de ses enfants se rendent au marae, s’attendant à ce que leur compagnon et père ne soit pas impliqué. « Quand il boit, il s’endort. Je pensais le trouver endormi dans sa voiture » racontera la veuve.
Mais à 50 mètres de la scène, elle entend la voix d’Eugène. Elle commence à paniquer, et c’est en arrivant au bout de l’allée qu’elle voit le corps allongé de son concubin, les yeux grands ouverts. Il ne reste plus que deux convives, qui tentent sans succès de calmer le boxeur et de s’interposer. « Ce soir-là, Eugène avait doublé de volume, c’était un monstre, ce n’était plus lui. Je comprends que les gens qui étaient là soient partis. »
Elle va prendre la main de son tane, échangeant avec lui ce qui sera leur dernier regard partagé. « Il ne pouvait plus parler, mais avec ses yeux, j’ai senti tout l‘amour qu’il avait pour nous. Il voulait nous protéger, et il m’a dit, toujours avec les yeux, que je devais courir me mettre à l’abri. » Car Eugène, dans sa folie, hurle au mourant de se relever, de revenir se battre, assurant qu’il allait le tuer. Il menace la femme de son ancien ami de la frapper, et pendant qu’elle court se réfugier avec sa fille, il leur balance une table en plastique.
Quand les gendarmes arrivent sur les lieux, ils trouvent le corps de Mauitea sans vie, le visage déformé par les coups, couvert de sang. Prostré, Eugène est hébété, il admettra immédiatement qu’il est le responsable.
Lors de son procès, abattu par le poids de la culpabilité, celui qui fut un monstre déchainé un soir de folie furieuse ne pouvait plus relever la tête. « Je ne voulais pas… je regrette ce que j’ai fait… Je demande pardon à toute la famille. » Ce seront ses seuls mots lors de sa déclaration spontanée pour ouvrir cette première journée de procès. Aujourd’hui, la cour dressera son profil psychologique et les délibérés auront lieu dans l’après-midi. Eugène risque 30 ans de réclusion criminelle.
Eugène R., 27 ans en février 2013, était un grand boxeur admiré de tous. Cet habitant de Papara a été champion amateur de Polynésie, puis il avait arrêté les combats. Mais en 2012, il revient sur le ring. Ce devait être son grand retour… Mais il perd un match en décembre pendant les qualifications du championnat de Polynésie, à un doigt de la finale. Le coup est rude. Surtout quand il entend dire que Mauitua N., pourtant un grand ami, se moque de lui, le traitant de champion sur le déclin. D’autant que les enfants de Mauitua, que l’homme de 47 ans entraine lui-même à la maison avec beaucoup d’assiduité, sont des stars montantes de ce sport.
Eugène ne comprend pas que c’est simplement la fierté d’un père qui parle et que ce n’est pas une attaque contre lui. Pendant des semaines, la rancœur s’accumule. Un mois et demi après sa défaite, il n’en peut plus, et explique à sa compagne, mère de ses deux enfants, qu’il va se battre contre Mauitua : « je vais lui casser la gueule et lui fermer la bouche ! »
Il a changé depuis la mort de sa mère
Cette agressivité est peut-être due à une fierté sportive, mais d’autres facteurs ont pu jouer. Car Eugène est mal en point depuis trois ans. En fait, depuis la mort de sa mère, ses amis ne reconnaissent plus. Ses proches diront qu’il a commencé à beaucoup boire, et quand il boit, il est méchant. Il se bat désormais beaucoup, des combats de rue dans le quartier… Sa femme racontera au tribunal comment parfois, au milieu de la nuit, des amis l’appelaient pour lui demander un coup de main dans une bagarre en cours. Et il y allait.
Sa femme, elle, l’aime encore, mais elle est lucide. « C’est un homme bien, mais quand il a bu, c’est le contraire de lui. » Elle décrit le problème d’alcool de son mari, comment il abusait de plus en plus de psychotiques, paka et ice… « Je suis convaincue qu’il peut changer. Mais il a pris la vie d’une personne, on ne pourra pas la remplacer. Il faut qu’il paie. »
Ils étaient bons amis, il s’entrainait avec les fils de sa victime
Eugène et Mauitea étaient bons amis. Deux boxeurs de Papara, de deux générations différentes. Dans son club, Eugène recevait parfois les fils de Mauitea pour s’entrainer ensemble. La veuve de Mauitea assurera au juge que son mari avait encouragé Eugène : « Tu es un grand champion, veille sur les jeunes ! » lui avait-il enjoint un an avant sa mort.
Mais les malentendus ont fini par détruire cette amitié. C’est le 15 février 2013, au marae Mahaiatea, PK 39,1 à Papara, que tout a basculé. Mauitea, maçon de profession, avait restauré une partie du marae, à côté duquel un grand parking et un boulodrome servaient de lieu de bringue à certains groupes de la commune et où des jeux clandestins de kikiri avaient souvent lieu. Ce soir-là, le « banquier » de ce casino de l’ombre a décidé d’organiser, à ses frais, une grande fête. Un veau est cuit à la broche, les bières coulent à flots, une grosse vingtaine de personnes arrivent à la fête.
« Je ne voulais pas le tuer »
Mais très vite après le repas, la bagarre commence. Le ton monte rapidement entre l’accusé et sa future victime, et des coups sont échangés. Les personnes présentes séparent les deux boxeurs une, deux, trois, et même quatre fois, mais la bagarre reprend toujours. Voyant la mauvaise tournure que prend la fête, les convives « s’envolent comme des moineaux » remarquera l’avocat général, qui demandera à chaque témoin « pourquoi n’avez-vous pas appelé la gendarmerie ? » Car les forces de l’ordre ne seront convoquées qu’une fois qu’il sera trop tard.
Après la bagarre de trop, un des convives les plus lucides met Mauitea dans sa voiture – malgré ses 1,43 g/l d’alcool dans le sang – et l’enjoint à rentrer chez lui. L’entraineur, qui semblait en avoir assez de se battre et être plutôt fatigué, s’exécute et est sur le départ. Mais Eugène débarque de nulle part avec trois pierres, il en envoie deux sur le parebrise et une par la fenêtre latérale, qui a pu atteindre la victime.
Furieux, Mauitea sort de sa voiture, et se prend un énorme coup, peut-être avec une dernière pierre, qui le met à terre. Et là, il n’y a plus rien à faire. Eugène a perdu tout contrôle et s’acharne sur le corps inerte, lui assénant des coups de pieds, lui hurlant « a pohe au ia oe » (je vais te tuer).
La femme de la victime arrive au moment où son compagnon trouve la mort
Prévenue par des témoins, la femme de la victime et plusieurs de ses enfants se rendent au marae, s’attendant à ce que leur compagnon et père ne soit pas impliqué. « Quand il boit, il s’endort. Je pensais le trouver endormi dans sa voiture » racontera la veuve.
Mais à 50 mètres de la scène, elle entend la voix d’Eugène. Elle commence à paniquer, et c’est en arrivant au bout de l’allée qu’elle voit le corps allongé de son concubin, les yeux grands ouverts. Il ne reste plus que deux convives, qui tentent sans succès de calmer le boxeur et de s’interposer. « Ce soir-là, Eugène avait doublé de volume, c’était un monstre, ce n’était plus lui. Je comprends que les gens qui étaient là soient partis. »
Elle va prendre la main de son tane, échangeant avec lui ce qui sera leur dernier regard partagé. « Il ne pouvait plus parler, mais avec ses yeux, j’ai senti tout l‘amour qu’il avait pour nous. Il voulait nous protéger, et il m’a dit, toujours avec les yeux, que je devais courir me mettre à l’abri. » Car Eugène, dans sa folie, hurle au mourant de se relever, de revenir se battre, assurant qu’il allait le tuer. Il menace la femme de son ancien ami de la frapper, et pendant qu’elle court se réfugier avec sa fille, il leur balance une table en plastique.
Quand les gendarmes arrivent sur les lieux, ils trouvent le corps de Mauitea sans vie, le visage déformé par les coups, couvert de sang. Prostré, Eugène est hébété, il admettra immédiatement qu’il est le responsable.
Lors de son procès, abattu par le poids de la culpabilité, celui qui fut un monstre déchainé un soir de folie furieuse ne pouvait plus relever la tête. « Je ne voulais pas… je regrette ce que j’ai fait… Je demande pardon à toute la famille. » Ce seront ses seuls mots lors de sa déclaration spontanée pour ouvrir cette première journée de procès. Aujourd’hui, la cour dressera son profil psychologique et les délibérés auront lieu dans l’après-midi. Eugène risque 30 ans de réclusion criminelle.
Le marae Mahaiatea, spot de bringues et casino clandestin
Sur la commune de Papara, le marae Mahaiatea, encaissé dans un quartier et accessible uniquement par une servitude, était au moment des faits devenu un lieu de rendez-vous incontournable pour les bringueurs de la commune. La commune n’y peut pas grand-chose : le lieu appartient au Pays. Avec son boulodrome et ses nombreuses places de parking, c’est un lieu de rendez-vous isolé et pratique. Avec quelques guetteurs sur la servitude, la place est déserte avant que les gendarmes n’atteignent le marae. Consommation d’alcool ou de paka, musique à fond… Les fêtes y étaient nombreuses et se terminaient régulièrement en bagarre.
Toute une économie souterraine s’y était aussi développée, en particulier des jeux de kikiri, une sorte de roulette se jouant avec des dés. Après le drame, le banquier qui gérait ce casino clandestin a arrêté son activité. Mais une des voisines du lieu, qui a assisté aux dernières scènes de la bagarre, a confirmé à la cour que, depuis, les bringues et les jeux avaient repris, « mais maintenant ce sont deux femmes qui les gèrent. »
Sur la commune de Papara, le marae Mahaiatea, encaissé dans un quartier et accessible uniquement par une servitude, était au moment des faits devenu un lieu de rendez-vous incontournable pour les bringueurs de la commune. La commune n’y peut pas grand-chose : le lieu appartient au Pays. Avec son boulodrome et ses nombreuses places de parking, c’est un lieu de rendez-vous isolé et pratique. Avec quelques guetteurs sur la servitude, la place est déserte avant que les gendarmes n’atteignent le marae. Consommation d’alcool ou de paka, musique à fond… Les fêtes y étaient nombreuses et se terminaient régulièrement en bagarre.
Toute une économie souterraine s’y était aussi développée, en particulier des jeux de kikiri, une sorte de roulette se jouant avec des dés. Après le drame, le banquier qui gérait ce casino clandestin a arrêté son activité. Mais une des voisines du lieu, qui a assisté aux dernières scènes de la bagarre, a confirmé à la cour que, depuis, les bringues et les jeux avaient repris, « mais maintenant ce sont deux femmes qui les gèrent. »