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Arioi, un hommage à la caste oubliée


Arioi, un hommage à la caste oubliée
PAPEETE, le 7 juillet 2016 - En juillet, l’ouverture du Heiva i Tahiti et l’organisation de spectacles vivants au marae Arahurahu de Paea sont autant d’occasions festives de rendre un hommage aux arts traditionnels polynésiens de la danse, de la musique, de la parole et du chant. Autant de talents et de beautés que réunissaient jadis la caste des Arioi. Ces femmes et ces hommes d’une rare magnificence, artistes idolâtrés aux talents reconnus, que nous invite à découvrir Mireille Nicolas dans ce roman tissé de passions multiples et de charmes resplendissants.

Une femme seule, Vahinetua no Ra’iatea, s’échoue de nuit sur une plage de Maupiti. Elle se précipite désespérément dans la forêt si dense et obscure de fara qui l’entoure. Pour se perdre dans le dédale tortueux de la brousse environnante ; pour fuir ces bourreaux qui la recherchent sans relâche depuis plusieurs lunes déjà… Car s’ils sont souvent considérés comme des semi-dieux, dévoués au culte de ‘Oro, les Arioi sont intransigeants à l’heure de faire respecter leur code de conduite, notamment lorsqu’il s’agit de préserver leurs membres de toute déformation de leur "force vitale".

Arioi admirée, artiste du premier cercle et chérie de tous (surtout de Tevai-i-te-Ra’iatea, le ra’atira de sa troupe itinérante d’Arioi), Vahinetua voit sa vie basculer lorsqu’elle se voit confrontée au dilemme le plus délicat auquel une femme puisse jamais être soumise… Elle est enceinte. Pourtant, elles savaient les règles quand elle s’était engagée auprès du ra’atira : dès lors que l’on accepte de s’initier aux apprentissages des Arioi et de rejoindre une des célèbres troupes aucun enfant n’est toléré, au risque de se trouver rejetée de tous et de redevenir une manahune quelconque.

Empreint d’histoire, de tradition et de nostalgie, le parcours personnel de Vahinetua laisse présager le futur sombre qui s’abattra rapidement sur les Arioi en Polynésie. Ces artistes itinérants ont été les premiers à pâtir des restrictions culturelles imposées par les missionnaires : interdiction de se produire, confiscation et destruction de leurs costumes, accessoires et instruments. Leur identité et des traditions ancestrales qu’ils perpétuaient ainsi, porteurs de savoirs et de connaissances orales, se sont perdus à jamais… ou presque !

Arioi, hymne à la vie et à la beauté

Plongé dans un cadre authentique de la fin du XIXème siècle entre Maupiti, Ra’iatea et Tahiti, c’est avec nostalgie que l’on découvre le quotidien exaltant mais rigoureux des Arioi, leurs rivalités et leurs talents sans pareil dans la pratique des arts traditionnels. Le parcours exigeant de formation et d’apprentissage (le maintien, la danse, le port de tête, le chant, les intonations de la voix, le devoir de mémoire orale) auquel ils étaient soumis est fidèlement reconstitué, de même l’aspiration spirituelle des Arioi est fidèlement retranscrite dans le réalisme des paysages décrits, les cérémonies évoquées, les spectacles aux milles couleurs et les déclamations réalisées.

"Une pirogue à double balancier, toute fleurie de frais. Si grande elle était, (…) toute verte et jaune des feuillages qu’on lui avait partout tressés, elle reposait sur le bleu du lagon (…). Et sur ce décor plus beau encore que les montagnes belles de la baie, ils étaient tous apparus, les Arioi, dansant, chantant, le visage fardé, le visage masqué. (…) Le soir, le spectacle avait commencé. Soixante femmes et soixante hommes, tous plus beaux les uns que les autres."

En marchant et en dansant dans les pas de Vahinetua, porteuse de "la fluidité de la vie", le lecteur s’immisce dans l’intimité de la protagoniste qui brille de mille feux sous les torches des représentations festives de l’époque. "Nous étions un monde dans un monde, et rien ne comptait que les arts", confie Vahinetua, nostalgique dans sa fuite coupable. À la fois élitistes et très populaires, les Arioi jouissaient d’une réputation et d’un respect hors norme lors de leurs déplacements et pendant les représentations qu’ils offraient aux populations charmées.

Entre littérature, poésie et culture traditionnelle

Mireille Nicolas est professeure de littérature et ethnologue. Elle est née en 1942. D’origine algérienne, elle n’a cessé de sillonner le globe, de Haïti au Mexique, jusqu’à obtenir sa dernière affectation au lycée de Ra’iatea. Elle découvre sur l’île sacrée la caste oubliée des Arioi, qui inspirent son acte d’écriture au plus haut point, réalisant ainsi un travail minutieux et documenté -tant bien que mal compte tenu du peu que l’histoire a retenu d’eux-, afin de "rétablir leur mémoire pour que renaissent et se perpétuent tous leurs arts".

Le lecteur pressent dès les premières pages le profond respect de l’écrivain envers cette caste adulée qu’étaient les Arioi, tout en se délectant de son style poétique tout autant que littéraire, élégant, tout à fait accessible, qui flirte souvent avec le lyrisme d’un ton plus onirique. Peut-être une manière de leur rendre hommage, ou de leur témoigner son admiration, la même qu’ils inspiraient autrefois à leurs contemporains.

Ravissante surprise que ce petit livre de 124 pages, publié par la maison d’édition Au vent des îles, cet ouvrage soigné (et sublimé par un cliché de Franck Brouillet en couverture) ne laissera pas insensible toutes celles et ceux désireux d’en savoir plus sur le mode de vie des Arioi. Et ainsi perpétuer leur mémoire, celle du "peuple de la parole", et participer à rétablir leur souvenir dans une société en proie à la question intrinsèque de l’identité et de la culture ancestrale.



Rédigé par Delphine Barrais le Jeudi 7 Juillet 2016 à 10:13 | Lu 3279 fois