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Argent magique: des Indonésiens victimes des escroqueries de faux chamans


Crédit ADEK BERRY / AFP
Crédit ADEK BERRY / AFP
Karawang, Indonésie | AFP | vendredi 18/05/2023 - Quand elle était employée de maison à Dubaï, Aslem, une Indonésienne mère de trois enfants, a commencé à envoyer de l'argent à un chaman autoproclamé, espérant que son salaire durement gagné serait multiplié par magie.

Mais c'est sans un sou et en état de choc, qu'elle est rentrée chez elle l'année dernière en réalisant qu'elle avait été volée. Le faux chaman est désormais devant la justice pour répondre d'escroqueries et des meurtres de neuf personnes.

"Je n'ai plus rien", regrette la femme de 42 ans dans sa maison vétuste d'un village de l'Ouest de l'île de Java.

"Je voulais rénover cette petite maison que mes parents m'ont laissée. Je voulais les rendre heureux (...) mais je n'ai pas réussi avant qu'ils meurent", indique Aslem à l'AFP.

En Indonésie, où près de 10% de la population vit sous le seuil de pauvreté, certains consultent des chamans pour la médecine traditionnelle ou leurs pouvoirs magiques supposés.

Aslem a été victime d'un de ces charlatans qui disait pouvoir transformer ses économies en une grande fortune.

Certains escrocs vont jusqu'à supprimer leurs victimes, si elles viennent réclamer leur mise, selon la police.

Sur les réseaux sociaux de l'archipel d'Asie du Sud-Est on voit de nombreuses annonces pour ces escroqueries. 

Deux publications récentes sur Facebook, qui vantent ces "investissements", affichent plus de 1,4 million de vues, selon l'équipe de fact-checking de l'AFP à Jakarta. 

Cette équipe fait partie du réseau mondial de journalistes d'investigation numérique de l'AFP qui est un partenaire indépendant de Facebook et Whatsapp pour des programmes de fact-checking.

L'une des publications Facebook, vue plus de 643.000 fois en un mois, présente un "cheikh musulman" qui peut multiplier l'argent et assure que ces services suivent les enseignements de l'islam, religion majoritaire du pays.

Un journaliste de l'AFP a contacté un numéro Whatsapp fourni et a été invité à envoyer des photos de sa pièce d'identité pour bénéficier de l'offre "magique".

Somme astronomique

Après son arrivée à Dubaï en 2016, Aslem a commencé à échanger avec un homme qui disait être un chaman javanais et s'appeler Aki Banyu.

L'Indonésienne, qui vend aujourd'hui des friandises pour vivre, se rappelle sa première rencontre avec lui au cours d'un voyage dans son pays natal en 2019.

Après avoir fait des offrandes, chanté un mantra, il a promis que son argent commencerait vite à se multiplier, a-t-elle expliqué à l'AFP.

Elle lui a versé 288 millions de roupies au total (18.000 euros), croyant pouvoir obtenir la somme astronomique de 2 millions d'euros.

L'escroc a été ensuite identifié par la police, comme Wowon Erawan, un Indonésien de 60 ans qui avec deux complices extorquait de l'argent aux travailleurs migrants.

A une conférence de presse en janvier, la police a accusé ce trio d'avoir tué neuf personnes, dont l'épouse d'Erawan et ses enfants adoptifs pour cacher ses crimes.

Les trois hommes ont été arrêtés et ont avoué avoir assassiné leurs victimes avec des boissons contenant des pesticides.

Ils prévoyaient aussi de tuer Aslem, qui réclamait son argent, à la fin 2022, a indiqué la police.

Elle a décidé de ne pas se rendre à une rencontre prévue avec le trio après que ses amis l'ont prévenue qu'ils étaient des escrocs, selon la police.

"un cauchemar" 

Une autre migrante, Neng Hana Patiningrum, mère de trois enfants, a confié à l'AFP avoir échappé à la mort aux mains des mêmes escrocs.

La trentenaire a versé plus de 100 millions de roupies au même chaman, puis a cessé en 2021 quand ses questions sont restées sans réponse, dit-elle.

A son retour en Indonésie, elle devait aller le voir, mais a annulé sa visite à cause de pluies torrentielles.

Mais son amie, Siti Fatimah, n'a pas survécu. Son corps a été retrouvé près de Bali début 2021. Et la police a accusé le même trio.

"J'étais sous le choc. Comment peut on être aussi méchant et voler l'argent que nous avons gagné si difficilement", dit-elle.

Présenté aux journalistes, Wowon Erawan a demandé pardon aux familles des victimes. 

Il doit être jugé avec ses complices et risque la peine de mort.

En avril, la police a arrêté un autre chaman tueur en série de 45 ans, Slamet Tohari, après la disparition d'un homme.

Il est aussi accusé d'avoir prétendu pouvoir multiplier l'argent, et attirait des victimes avec des rituels avant de les empoisonner au cyanure de potassium si elles réclamaient leur mise.

Au moins 12 corps ont été retrouvés sur son terrain, selon la police, alors que 28 personnes sont encore portées disparues.

Les victimes doivent à présent vivre, sans leurs économies et avec la honte d'avoir été trompées.

"C'était un cauchemar. Les gens n'arrêtaient pas de me dire que j'étais stupide et imprudente, dit en pleurant la jeune femme. "Mais je n'avais jamais prévu ça".

le Dimanche 21 Mai 2023 à 18:47 | Lu 669 fois